Travailleurs détachés : « Macron veut envoyer un message à la France de gauche et d’en bas »

Travailleurs détachés : « Macron veut envoyer un message à la France de gauche et d’en bas »

Les 28 États membres cherchent un accord pour réformer la directive sur les travailleurs détachés. Une lutte contre le dumping social fortement encouragée par Emmanuel Macron à laquelle s’opposent les pays de l’Est.
Public Sénat

Temps de lecture :

7 min

Publié le

Mis à jour le

Depuis des années, la question des travailleurs détachés occupe beaucoup les Européens. Les 28 pays de l’Union européenne tentent ce lundi, via leurs ministres du Travail, de trouver un terrain d’entente pour réviser cette directive, cause de dumping sociale entre travailleurs au sein même de l’Europe. « La France souhaite que nous aboutissions à un accord ambitieux aujourd'hui, permettant de doter l'Europe de règles efficaces », a déclaré la ministre française, Muriel Pénicaud.

Emmanuel Macron a fait du sujet l’un de ses chevaux de bataille. Il a lancé l’offensive en août, lors d’un déplacement en Autriche. Le président Français s’oppose sur la question aux pays de l’Est, à commencer par la Pologne, qui ne veulent pas revenir sur la mesure. Le chef de l’Etat français défend l’idée « à travail égal, rémunération égale ». Sujet sur lequel le leader de FO soutient l’exécutif. « J’espère qu’on aura une majorité qualifiée pour modifier cette directive. (…) A travail égal, salaire égal, c’est ça la règle » affirme Jean-Claude Mailly, invité de Territoires d’Infos ce lundi matin sur Public Sénat. Invité de Sénat 360, Isabelle Jégouzo, chef de la représentation en France de la Commission européenne, résume cet enjeu du « travail égal, salaire égal » :

Isabelle Jégouzo, chef de la représentation en France de la Commission européenne, sur les travailleurs détachés
01:15

Durée du détachement

La discussion se fait aussi sur la durée du détachement. L'exécutif européen a déjà proposé de le limiter à 24 mois. La France, appuyée par l'Allemagne, les pays du Benelux et l'Autriche, plaide pour 12 mois. L'Estonie, qui assure la présidence tournante de l'UE, a suggéré aujourd’hui 20 mois. « Le diable est dans les détails, mais si tout le monde met de la bonne volonté, on peut avoir un accord », a estimé avant la réunion la commissaire européenne aux affaires sociales, Marianne Thyssen.

Le sénateur PS Jean-Yves Leconte « espère » aussi « qu’un accord sera trouvé au Conseil européen ». Mais « la manière de négocier d’Emmanuel Macron a conduit à braquer un certain nombre de pays de l’Est et l’Espagne » sur les transporteurs routiers, met en garde le socialiste sur Public Sénat.

La directive incriminée date de 1996. On parle alors de la directive Bolkenstein. Elle permet à un travailleur de l’UE d’exercer dans un autre pays membre pour y fournir un service temporaire. Il doit au moins être payé au salaire minimum du pays d’accueil, mais continue de payer les cotisations sociales de son pays d’origine. Pour un travailleur Français, le système est donc source de forte concurrence sur certains secteurs. Celui de la construction regroupe à lui seul 43,7% du nombre total de détachements. Vient ensuite l'industrie manufacturière avec 21,8%. Reste qu’au total, le nombre de travailleurs détachés ne représente que 0,7% du nombre d’emplois dans l’Union.

« Double langage du Président »

Pour le président LR de la commission des affaires européennes du Sénat, Jean Bizet, il y a sur cette affaire « un double langage du Président. Il veut parler aux autres Français, pas ceux des start-up. Il a des accents populistes ici ». Le sénateur de la Manche souligne que « la plupart des États membres veulent un durée de détachement de 2 ans. Le Président veut 12 mois. Mais dans la réalité, la durée moyenne est de 98 jours. N’exagérons rien. Et de mémoire, on accueille 170.000 travailleurs par an, mais on en envoie à hauteur de 130.000 ».

Selon Jean Bizet, « le Président veut d’abord un affichage. Il veut envoyer un message à la France de gauche et d’en bas ». Emmanuel Macron a en effet besoin d’un marqueur de gauche, dans un début de quinquennat marqué par les mesures libérales. La réforme de l’ISF et la « flat tax » sur le capital donnent depuis la rentrée une image de « Président des riches » à Emmanuel Macron, que la gauche cherche à entretenir. L’exécutif rappelle à qui veut l’entendre les mesures déjà estampillées sociales. Mais revoir la directive des travailleurs détachés serait davantage payant sur le plan politique. L’image du plombier polonais avait marqué les esprits. Et mieux encadrer les travailleurs détachés pourrait plaire à son électorat de gauche.

« La bataille sera rude »

Le sénateur PCF du Nord, Eric Bocquet, aurait justement tendance à défendre  – une fois n’est pas coutume – l’action d’Emmanuel Macron. « On ne peut que la soutenir » dit-il, avant d’ajouter aussitôt : « Mais je n’ai pas beaucoup d’illusions », car « la bataille sera rude ». Pas dupe, il souligne qu’« on peut avoir un discours de gauche à Varsovie et mener une politique de droite à Paris ». Eric Bocquet rappelle l’impact grandissant de la directive :

« Le nombre de travailleurs détachés a été multiplié par 10. Entre 2005 et 2015, il a augmenté de 980 % ! Avec la directive, vous créez une distorsion et les conditions d’une concurrence déloyale, qui s’est largement aggravée avec l’élargissement de 2004. Avant, les écarts de salaire allaient de 1 à 4 et tout d’un coup, ils sont passés de 1 à 10 ».

Reste qu’avec 0,7% des travailleurs européens qui profitent du détachement, les effets de la directive sont peut-être plus limités qu’on ne croit. « Mais ça fragilise tout l’édifice. C’est un peu le cheval de Troie. Si on prouve qu’on peut faire travailler des gens pour moins cher, on va tout tirer vers le bas » met en garde Eric Bocquet.

« La directive d’origine, en 1996, était un peu hard. Il y avait vraiment du dumping social. Mais aujourd’hui, il faut relativiser »

Jean Bizet ne craint pas l’effet de la directive sur le niveau des cotisations, au contraire. « Pourquoi y a-t-il des travailleurs détachés ? Car le coût du travail est trop cher pour un certain nombre d’activités » selon le sénateur LR de la Manche, « et il y a des filières où on ne trouve pas de gens pour travailler ». Selon Jean Bizet, « la directive d’origine, en 1996, était un peu hard. Il y avait vraiment du dumping social. Mais aujourd’hui, il faut relativiser. Et la directive d’application de 2014 est très bien. Elle encadre déjà et chasse les dérives ».

Mais à l’heure où l’Europe suscite craintes et inquiétudes depuis des années, un peu de protection ne serait pas de trop, souligne Eric Bocquet : « Il ne faut pas ramener tout le monde au plus bas niveau mais tirer tout le monde vers le haut. (…) Les traités ont inscrit dans le marbre le principe de la concurrence libre et non-faussée ». Le sénateur communiste ajoute : « Il ne faut pas s’étonner que si l’Europe nivelle par le bas, cela amène des réactions électorales qui ont de quoi inquiéter avec l’extrême droite ».

Bocquet : "Les traités ont inscrit dans le marbre le principe de la concurrence libre et non-faussée"
00:44

Dans la même thématique

French PM gathers the government for a seminar on work
10min

Politique

Réforme de l’assurance chômage : « Depuis 2017, les partenaires sociaux se sont fait balader et avec Gabriel Attal, ça sera la même chose »

La nouvelle réforme de l’assurance chômage que prépare le gouvernement passe mal chez les sénateurs. « On a dévoyé la gouvernance de l’assurance chômage », dénonce la sénatrice LR Frédérique Puissat, qui défend le rôle des syndicats et du patronat. « Attaché » aussi au paritarisme, le centriste Olivier Henno, « comprend » en revanche l’idée de réduire la durée des indemnisations. Quant à la socialiste Monique Lubin, elle se dit « atterrée » que le gouvernement relaye « cette espèce de légende selon laquelle les gens profiteraient du chômage ».

Le

Travailleurs détachés : « Macron veut envoyer un message à la France de gauche et d’en bas »
2min

Politique

Départ du proviseur du lycée Maurice-Ravel : « Dans un monde normal, celle qui aurait dû partir, c’est l’élève », dénonce Bruno Retailleau

Menacé de mort après une altercation avec une élève à qui il avait demandé de retirer son voile, le proviseur du lycée parisien Maurice-Ravel a quitté ses fonctions. Une situation inacceptable pour le président des Républicains au Sénat, qui demande à la ministre de l’Éducation nationale d’« appliquer la loi jusqu’au bout ».

Le