Une 4e année d’internat pour les médecins généralistes : au Sénat, droite et gauche fustigent la méthode « brutale » du gouvernement

Une 4e année d’internat pour les médecins généralistes : au Sénat, droite et gauche fustigent la méthode « brutale » du gouvernement

Le gouvernement souhaite inscrire dans le budget de la Sécurité sociale une quatrième année d’internat pour les médecins généralistes, année qu’ils seront incités à effectuer dans des territoires en manque de praticiens. La droite sénatoriale, qui travaille sur une proposition de loi similaire, y voit un cavalier législatif. De son côté, le sénateur Bernard Jomier (app. PS) dénonce un passage en force susceptible de braquer le secteur.
Romain David

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Une mesure de dernière minute… qui soulève interrogations et inquiétudes. Présenté lundi, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2023 (PLFSS) propose d’allonger d’un an l’internat des médecins généralistes avec un stage effectué en médecine de ville, en priorité dans les zones sous tension. Une mesure notamment destinée à lutter contre la pénurie de généralistes, et qui avait été défendue par Emmanuel Macron pendant sa campagne de réélection. La durée des études pour devenir généraliste passerait ainsi de 9 à 10 ans. « J’ai souhaité que cette année se fasse exclusivement chez tous les médecins libéraux qui sont maîtres de stage universitaire, et non pas à l’hôpital. Bien entendu, pour répondre en partie à cette problématique de déserts médicaux, nous allons inciter très fortement les étudiants à faire ce stage dans les déserts médicaux », a détaillé le ministre de la Santé François Braun sur franceinfo mardi matin.

L’envoi dans un territoire sous-doté ne sera donc pas obligatoire, mais favorisé par une série de dispositifs qui doivent encore être précisés. François Braun a notamment évoqué des « rémunérations différentes » et des « possibilités de logement ». « Avec Sylvie Retailleau [la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, ndlr] nous avons missionné quatre professionnels reconnus de la médecine générale qui, d’ici la fin de l’année, vont nous donner leurs conclusions sur ces modalités d’organisation », a-t-il encore précisé. Il s’agit aussi pour les jeunes médecins d’appréhender la gestion d’un cabinet médical en vue de faciliter leur installation à la sortie d’études, et faire reculer la pratique de l’intérim. La réforme, si elle est adoptée, entrera en vigueur en 2023 pour les étudiants qui arrivent en première année de spécialisation, afin de ne pas pénaliser ceux qui sont déjà engagés dans leur troisième cycle. En clair, cette quatrième année ne verrait pas le jour avant 2027.

L’Intersyndicale nationale des internes a déjà lancé un « appel à une grande mobilisation au mois d’octobre », et évoque la possibilité d’une grève des internes face à ce qu’elle dénonce comme une tentative de passage en force. « Les promesses de campagne ne font pas toujours de bonnes réformes. Celle-ci, menée sans concertation avec les principaux intéressés, les futurs médecins et sans prise en compte des besoins de la population, des soignés, court au désastre », écrit le syndicat dans un communiqué relayé sur les réseaux sociaux.

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« Le gouvernement essaye de nous couper l’herbe sous le pied »

Pas de grogne mais un certain étonnement du côté du Sénat, où les élus ont abondamment travaillé sur cette question – au moins six rapports traitant de près ou de loin la problématique des déserts médicaux ont été produits par la Chambre Haute au cours du précédent quinquennat. Par ailleurs, les Républicains ont déposé en janvier dernier une proposition de loi visant précisément à mettre en place une quatrième année de troisième cycle, et qui doit être examinée en séance publique le 18 octobre, avant le PLFSS. « Le gouvernement intègre au PLFSS un amendement pour créer une quatrième année de médecine alors qu’un texte sur ce sujet est déjà inscrit à l’ordre du jour au Sénat », a tempêté sur Twitter Bruno Retailleau, le président du groupe LR au Sénat. « Cette méthode n’est ni respectueuse du Parlement ni efficace : le Conseil constitutionnel risque d’annuler ce cavalier au PLFSS. »

À défaut de pouvoir attaquer sur le fond une mesure qu’elle-même entend défendre, la droite, majoritaire au Sénat, concentre ses critiques sur la forme, c’est-à-dire l’inscription dans un texte budgétaire d’un dispositif qui concerne à la fois l’enseignement supérieur et l’aménagement du territoire. « C’est une bonne mesure… mais qui n’a rien à faire dans un PLFSS, ce n’est même pas une mesure de financement », a relevé le sénateur LR Jérôme Bascher, spécialiste des questions budgétaires, dans la matinale de Public Sénat. « Le gouvernement essaye de nous couper l’herbe sous le pied, sauf que sa mesure est clairement un cavalier du budget de la Sécurité sociale, c’est-à-dire quelque chose qui ne doit pas être dans une loi comme celle-là. C’est comme si vous mettiez une mesure médicale dans une loi sur la Défense, cela n’a aucun sens. »

Avec un texte indépendant, LR entend faire valoir sa rigueur et surtout sa volonté de dialogue avec les professionnels, alors que la rapporteure du texte, Corinne Imbert, est toujours en train d’auditionner. « C’est un peu comme avec la réforme des retraites, on essaye de mettre tout et n’importe quoi dans le budget de la sécu », soupire auprès de Public Sénat Catherine Deroche, la présidente LR de la commission des Affaires sociales. « C’est la raison pour laquelle nous tenons à notre texte. Le sujet mérite une proposition de loi sérieuse », fait-elle valoir. Et comme pour se prémunir de la grogne des internes qui menace désormais l’exécutif, elle ajoute : « Nous allons assurer aux étudiants que cette quatrième année ne sera pas une année de punition. Même s’il s’agit de formation, elle devra être différente des autres années d’internat ».

D’autant que l’ajout d’une quatrième année permet de contourner l’épineuse question de la liberté d’installation des libéraux, une piste généralement jugée trop coercitive. « Si les internes ne font pas un pas pour résoudre le problème d’offre, ils s’exposent, dans un avenir plus ou moins lointain, à des propositions bien plus contraignantes », avertit Catherine Deroche.

« Même s’il y a une vraie urgence à régler ce problème, la méthode du gouvernement me laisse pantois »

Dans les rangs de la gauche sénatoriale, l’annonce du gouvernement suscite le même agacement. Sénateur de Paris apparenté socialiste, Bernard Jomier regrette les approximations de l’exécutif sur un sujet aussi délicat. « La façon dont le débat a été posé est dangereuse et brutale. Le ministre annonce une mission et des concertations durant deux mois, tout en ayant déjà décidé d’un dispositif. On laisse la porte ouverte à toutes les interprétations », soupire-t-il. « Même s’il y a une vraie urgence à régler ce problème, la méthode du gouvernement me laisse pantois. Il compromet déjà la négociation avec les parties prenantes. On ne peut que faire le parallèle avec les retraites ».

Surtout qu’à ce jour, l’exécutif a laissé de côté certains des outils dont il dispose déjà pour inciter les jeunes praticiens à se répartir dans les territoires en peine de soignants. Ainsi, la loi du 24 juillet 2019, relative à l’organisation et à la transformation du système de santé, prévoit que les six derniers mois de stage d’internat se déroulent dans des zones sous dotées. Or, cette mesure n’est toujours pas appliquée.

Pour Bernard Jomier, la mise en place d’un nouveau dispositif doit se faire via une négociation avec les secteurs concernés et les collectivités, mettant sur un pied d’égalité la question de la professionnalisation de la fin du cursus – sans nécessairement passer par une quatrième année d’internat - et l’augmentation de l’offre de soins dans les territoires. Le tout avec un certain nombre de garanties : un encadrement pédagogique adapté, une rémunération à hauteur d’au moins 3 500 euros net par mois et la prise en compte des problématiques de logement et de transport. « Le texte déposé par les LR n’est pas plus adapté au sujet que ce que semble proposer le gouvernement », balaye-t-il.

Une pénurie de l’offre médicale qui concerne aussi les spécialistes

Par ailleurs, l’exécutif et la droite sénatoriale ne se penchent que sur la pénurie de généralistes. Or, les trous dans l’offre de soin concernent bien d‘autres secteurs. Dans un article publié ce mardi, le journal Le Monde se fait le relais des travaux du géographe de la santé Emmanuel Vigneron, mettant en lumière l’inquiétante stagnation du nombre de spécialistes en France au regard de l’évolution démographique du pays. Une quarantaine de départements seraient passés sous le seuil critique de 40 spécialistes pour 100 000 habitants. Les territoires ruraux sont les plus touchés, mais aussi les zones semi-urbaines. Certaines disciplines sont marquées par un recul plus important que d’autres : gynécologues, rhumatologues et dermatologues en particulier. Inversement, « le phénomène de métropolisation est très net, avec des spécialistes qui continuent de s’y concentrer, de même que la forte attractivité méridionale et celle du Sud-Ouest, entre Bayonne, Biarritz, Anglet », pointe Emmanuel Vigneron auprès du quotidien du soir.

« 90 % du territoire est sous doté en offre ambulatoire. Faire une moyenne ne sert pas à grand-chose, car les besoins varient selon les populations et les spécificités des territoires », explique Bernard Jomier, lui-même médecin de profession. En clair : la cartographie des besoins varie constamment. « Une zone peut paraître très bien dotée, mais si la moitié des praticiens a plus de 60 ans, cela signifie qu’elle basculera dans quelques années. C’est ce qui rend assez vain la mise en place d’une politique de coercition, car selon les critères retenus, la quasi-totalité du territoire est concernée ». Dans ces conditions, la réflexion sur la professionnalisation de la fin du cursus devrait concerner l’ensemble des spécialités ambulatoires, et pas les seuls généralistes. « Mais attention à ne pas appliquer à tout le monde un même parti pris. Chaque formation a ses particularités. Il ne faut pas forcément ajouter une année », insiste le sénateur Jomier. Bref, un travail d’ajustement et de précision qui semblent nécessiter un peu plus qu’un simple amendement.

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