Vaccination : « La menace n’est pas une bonne technique », met en garde Bernard Thellier

Vaccination : « La menace n’est pas une bonne technique », met en garde Bernard Thellier

Entretien avec Bernard Thellier, ancien négociateur du GIGN, chargé de cours en psychologie comportementale à l’Université Panthéon-Assas.
Public Sénat

Par Rebecca Fitoussi

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15 min

Publié le

Depuis quelques jours, le gouvernement tente de convaincre les Français d’aller se faire vacciner. Il s’y emploie avec force, il répète le même message à chaque intervention médiatique. Est-ce qu’il s’y prend bien ?

 

Boris Cyrulnik disait que lorsque la récitation est mille fois répétée, elle devient la réalité. Et on voit que là, ils sont en train de répéter et de répéter encore pour que ça devienne la réalité, pour que ça rentre dans la tête des Français. Et c’est vrai que ça marche. Par ailleurs dans une crise, il ne faut jamais rester immobile, sinon on cogite et on fait des bêtises. Or là, ils ne nous disent plus de rester chez nous ou de ne plus bouger, ils nous disent au contraire de faire quelque chose, d’aller se faire vacciner. C’est une bonne chose parce qu’il va y avoir un mouvement et les gens vont avoir un but, un objectif à atteindre. Lors du confinement, la consigne était « restez chez vous », il n’y avait rien à atteindre, donc c’était dramatique, catastrophique même. Deuxième élément de leur discours qui me semble très bien, c’est ce qui touche à l’émotionnel. « Protégez les autres », cela fonctionne parce que ça va toucher beaucoup plus de personnes. Donc ils vont sur un terrain rationnel et sur un terrain émotionnel, c’est ce qu’on utilise en psychologie.

 

Et le discours de la peur, ça peut marcher ? Lors du premier confinement, on a tous tellement eu peur qu’on a obéi sans discuter… Aujourd’hui le discours de la peur, on y est moins sensible, non ?

 

Je ne pense pas que ce soit la bonne solution. Si on va sur le terrain de la peur, les gens ont l’impression qu’on les manipule et ça fait complètement l’effet inverse. Il vaut mieux toucher leur côté empathique pour qu’ils adhèrent.

 

Et la menace ? Est-ce que ça marche ? En ce moment, ce qu’on entend c’est soit le vaccin, soit le confinement. C’est une bonne technique de négociation ?

 

La menace n’est pas une bonne technique parce que ça provoque souvent l’effet inverse là aussi. Les gens par opposition vont encore moins se faire vacciner. Ça marche très bien dans une dictature, mais en France, ça ne peut pas marcher, les gens vont au contraire s’enfoncer dans le syndrome du déni. En langage psy, on appelle ça le « coping ». C’est une méthode d’ajustement de son comportement par rapport à son environnement. Donc, si on est trop présent, si on fait peur, si on menace, les gens vont avoir un « coping » inadapté. L’essentiel, c’est d’avoir un « coping » adapté.

 

Emmanuel Macron va prendre la parole en début de semaine, peut-être pour annoncer des nouvelles peu réjouissantes, des restrictions, des obligations… Quels mots, quel ton doit-il employer selon vous ?

 

Je n’ai pas de leçon à donner au Président, je n’oserais jamais faire ça, mais je pense qu’il faut qu’il aille plus sur le terrain émotionnel. L’émotion, c’est le seul point d’entrée dans l’inconscient des gens. Donc, aller sur ce domaine émotionnel, je pense que c’est vraiment la chose à faire.

 

Et les flatter ? Leur dire qu’ils peuvent être fiers d’eux, leur dire bravo pour tout ce qu’ils font depuis un an, les encourager ?

 

Les « flatter », je n’aime pas ce mot parce que lorsqu’on dit « flatter », il y a manipulation.

 

Mais il y a toujours un peu de manipulation dans les discours politiques, non ?

 

Du moment qu’on parle, il y a de la manipulation. Dès qu’il y a communication, il y a manipulation. Mais plutôt que « flatter », je dirais reconnaître les efforts de certains pour la patrie, pour les autres. C’est-à-dire donner de l’énergie à ces personnes qui ont fait des choses pour que les autres se sentent peut-être un peu gênés. Ne pas montrer ceux qui ont fait mal, mais féliciter ceux qui ont fait bien. Et c’est ça qui peut faire la différence.

 

Il y a le cas particulier des soignants. Là aussi, le gouvernement ne cesse de les appeler à se faire vacciner. Mais certains se sentent trahis par le gouvernement sur le manque de moyens et de reconnaissance. Il y a une rupture de confiance, refuser le vaccin est devenu presque une affaire de principe.

 

Vous avez employé le bon mot, la confiance. On revient sur la confiance. Mais ce qui est sous-jacent dans ce discours, c’est le chantage. « Vous nous avez promis quelque chose. On ne l’a pas eu donc je ne ferai rien. » Là, ils se sentent lésés, manipulés et rentrent donc en opposition. Ne pas se faire vacciner, c’est leur seule façon de montrer qu’ils ne sont pas contents.

 

Sortons du sanitaire. Il y a quelques jours, dans le Val d’Oise, un homme menaçant, armé d’un couteau, a été tué par des agents de sûreté ferroviaire. Il rôdait autour d’un groupe d’enfants près de la gare d’Ermont Eaubonne. Deux agents de la brigade de sûreté ferroviaire de la SNCF sont aujourd’hui mis en examen pour meurtre. Est-ce que c’est une situation qui aurait pu tourner différemment ?

 

Ça peut toujours tourner différemment. Il aurait aussi pu tuer tous les enfants. Quand on est sur une crise comme celle-là, qu’est-ce qu’on fait ? Est-ce qu’on attend qu’un enfant meure avant de réagir ? Ils étaient dans une difficulté terrible, ces agents. Ils ont préféré tirer pour épargner la vie des enfants. C’est vrai que dans la vidéo, on voit qu’il n’est pas si agressif que ça. Mais quand vous êtes sur le terrain ce n’est pas si simple de faire cette analyse, c’est facile de faire une critique dans un studio de télé. C’était peut-être simplement un « suicide by cop » c’est-à-dire qu’il faisait tout pour se faire tuer. Mais comment voulez-vous faire la distinction entre une réelle agression et une fausse agression ? Quand vous avez quelqu’un d’armé qui menace des enfants, c’est très difficile parce qu’encore une fois, vous êtes submergé par les émotions.

 

Le fait que ces agents soient armés, cela change la donne ? Cela rend la négociation presque impossible, non ?

 

Le problème d’une arme, c’est que c’est la facilité, on utilise moins les mots et on utilise peut-être plus les balles. Mais je pense qu’actuellement, en France, c’est important qu’ils soient armés, on voit qu’on se fait agresser de tous côtés. Il y a deux sortes de choses qu’il ne faut jamais négliger, c’est la santé et la sécurité. Les gouvernements successifs ont négligé ces deux choses-là. On a retiré des gendarmes, des policiers et on s’est fait attaquer par des terroristes. On a baissé les moyens dans notre système de santé. Pas de chance, c’est un virus qui arrive et là, on voit qu’on est vraiment limité. Là, on reprend conscience de ça et on augmente tout cela. Donc, non, ne retirerons pas les armes. Ces agents ferroviaires rencontrent réellement des difficultés au quotidien. Ils peuvent tomber sur un terroriste. C’est à eux d’avoir une formation. Une arme n’est pas dangereuse, c’est la personne qui tient l’arme qui est dangereuse. Donc, il y a une formation à faire avec ces gens-là.

 

On est en effet dans un contexte de menace terroriste qui met à cran les agents, les policiers, les gendarmes… Ils n’ont plus la force de négocier.

 

Le problème, c’est que l’on observe un terrorisme « low cost ». C’est-à-dire qu’on utilise une arme qui ne coûte pas cher pour faire un grand nombre de victimes : un camion, un couteau. Donc dès qu’on voit quelqu’un avec un couteau, forcément, on pense à un terroriste. Or, on sait très bien qu’avec le terrorisme islamiste, la négociation est impossible parce qu’ils se battent pour mourir. Comment voulez-vous négocier avec quelqu’un qui se bat pour mourir ? Ce n’est pas possible. Donc, il n’y a plus qu’une chose à faire, c’est lancer un assaut et on l’a vu sur toutes les missions, c’est même eux qui vont à l’assaut contre les forces de l’ordre en général. A partir de là, quand vous voyez quelqu’un avec un couteau, vous pensez tout de suite au terrorisme. Vous savez qu’il va faire un grand nombre de victimes, la formation revient rapidement et la facilité l’emporte peut-être.

 

On voit que certains maires suivent des formations avec des gendarmes pour apprendre à gérer les conflits de plus en plus fréquents avec leurs administrés. Faut-il que ces formations deviennent systématiques, voire obligatoires pour les élus locaux ?

 

On a vu en effet que l’agressivité augmentait dans notre pays à cause de plein de facteurs, la misère, le confinement, etc. Les gens ont besoin d’extérioriser ce mal-être et ils ont besoin d’une cible. Quand vous avez besoin d’extérioriser votre mal-être, vous ne pouvez pas le faire comme ça. Il vous faut une cible et les maires sont bien placés pour être cette cible.

 

Comment gère-t-on un administré agressif ? Quels sont les conseils de base ?

 

Il faut d’abord savoir qui il agresse. Est-ce que c’est le maire ou l’individu ? Est-ce que c’est quelque chose de personnel ou de professionnel ? Il faut déjà faire cette distinction. Ensuite il faut comprendre que la colère est un symptôme. Heureusement qu’elle est là d’ailleurs, la colère existe pour nous dire quelque chose qui ne va pas. Si on n’en tient pas compte ou si on ne la comprend pas, cette colère, ce symptôme peut dégénérer en agression physique. Ce qu’il faut comprendre, c’est que lorsque quelqu’un vous agresse verbalement, la première chose qu’il cherche, c’est qu’on le respecte. Or, qu’est-ce qu’on fait en général ? On lui donne tout, sauf du respect. On lui dit « Écoutez, Monsieur, ne me parlez pas comme ça, vous changez de ton avec moi ».

 

Et forcément, ça dégénère ?

 

Oui, ça dégénère parce qu’on a eu une mauvaise réaction, un mauvais comportement par rapport à cette personne. C’est bien normal car on se sent agressé. J’appelle cela une « glaciation neuronale », c’est à dire qu’on n’est plus capable de réfléchir, on va réagir par instinct, et ça c’est catastrophique.

 

Donc on ne répond pas de manière agressive, certes, mais alors qu’est-ce qu’on fait ? On ne tend pas l’autre joue non plus, si ?

 

Non, mais il faut comprendre que la colère est toujours mauvaise conseillère. La première chose à faire, c’est de se taire, de regarder la personne, parce qu’une personne en colère va vous tendre plusieurs pièges. Elle va essayer de vous faire peur, une personne en colère fait peur. Si vous avez peur, vous vous êtes fait manipuler. C’est ce qu’il ou elle veut. S’il voit que vous n’avez pas peur, il va peut-être commencer à changer d’attitude. Mais il va tendre un deuxième piège : essayer de vous faire basculer vous-même dans la colère. Si vous basculez dans la colère, vous vous êtes fait manipuler là aussi. C’est ce qui arrive si vous avez un ego surdimensionné - l’ego, c’est l’image qu’on aimerait que les autres aient de nous - vous vous faites alors manipuler parce que la façon dont il vous manque de respect, vous fait perdre votre sang-froid. Au passage vous perdez aussi la face parce qu’un élu ne doit pas perdre son sang-froid.

 

Quel est le troisième piège ?

 

Le troisième piège, et là cela concerne toutes les colères du monde, c’est inconscient, c’est « J’ai raison, tu as tort ». Et là, tout de suite, ça dégénère, parce que si vous n’êtes pas d’accord avec lui, vous êtes un ennemi. Et si vous êtes un ennemi, il faut vous agresser.

 

Donc il faut montrer de la douceur ? Du respect ?

 

Il faut avant tout se taire ! Se taire et le regarder dans les yeux, sans peur mais sans haine. Lui montrer surtout qu’on l’écoute. Ça, c’est important. Lui donner de l’intérêt, le regarder dans les yeux, se pencher vers lui, tourner la tête pour lui montrer qu’on l’écoute vraiment, sincèrement. Il faut comprendre que cette personne a un problème. L’urgence, ce n’est pas moi, c’est l’autre, il faut lui faire comprendre que c’est lui la chose la plus importante. C’est difficile de donner du respect à quelqu’un qui vous qui vous en manque, il faut beaucoup de sang-froid. Mais il faut comprendre que c’est cette personne qui se sent mal, c’est cette personne qui a un problème et il faut la laisser parler. Quand vous avez votre sac rempli d’émotions négatives, il faut le vider. Cette personne va vider toute son émotion négative sur sa cible et là, il ne faut rien dire, il faut la laisser décharger son sac.

 

Souvent, les maires ne sont d’ailleurs pas les vraies cibles. L’administré en colère le voit comme un représentant de l’Etat, du gouvernement, ou autre…

 

Bien sûr, on n’en veut pas forcément au maire. C’est un malaise profond. Si c’est la fonction qui est visée, il faut le laisser extérioriser sa colère, l’écouter. Et puis, une fois qu’il a extériorisé toute sa colère, il va se taire. Il va se calmer parce qu’enfin, quelqu’un l’aura écouté et ne l’aura pas interrompu. Il faut d’autant plus se taire que si vous parlez, tout ce que vous allez dire va lui servir à alimenter sa colère. Même quelque chose de sympa. Si vous lui dites « Monsieur Durand, venez on va s’asseoir et discuter » Il va vous répondre : « Quoi ? ! Vous voulez vous asseoir alors que ça fait une demi-heure que je vous attends ? Vous n’avez rien compris ! » Enfin, dernière chose très importante : c’est de reconnaître la version de son administré. Pas forcément dire qu’on est d’accord avec lui, mais lui dire « si vous avez compris ça, je comprends que vous soyez en colère après moi. Si j’étais à votre place, je serais peut-être encore plus en colère » et là, en général, ça les calme énormément. Reconnaître la version de l’autre avant de montrer sa propre version. Ne pas chercher à le convaincre, mais chercher à le comprendre. Et ça, c’est complètement différent dans la résolution d’un conflit.

 

Si on passe à une échelle plus grande : comment gère-t-on la colère, non plus d’une personne, mais d’une foule ? De tout un peuple ?

 

Reprenons la crise sanitaire. La première chose à faire, c’est de ne pas chercher à convaincre les personnes qu’on a la solution, qu’on est plus fort, qu’on a les bons médicaments. Il faut convaincre les personnes qui nous entourent qu’elles peuvent nous faire confiance. C’est vraiment le préalable à toute négociation. Et là, par exemple, on voit dans cette crise sanitaire que cela n’a pas été le cas au début. Je reprends l’exemple de la « gripette » ou du masque pas nécessaire, donc forcément, il y a eu une perte de confiance. S’il y a perte de confiance, qu’est-ce qui se passe ? C’est le cerveau reptilien qui prend le dessus. Le cerveau reptilien est basique, il n’offre que trois solutions : la fuite, l’attaque ou la soumission. C’est-à-dire qu’on n’est plus capable de réfléchir avec son néocortex, l’intelligence et le raisonnement. « Le gouvernement ne sait même pas où il va, je n’ai plus confiance ». Si vous rentrez dans ce déni, vous rentrez dans une théorie du complot ou alors vous passez dans l’évitement. L’évitement, c’est quoi ? C’est essayer d’oublier la situation, de faire baisser votre angoisse. Et si vous voulez faire baisser votre angoisse, vous êtes obligé d’augmenter quelque chose, votre consommation d’alcool ou de tabac par exemple. Ou alors, il y a des petits malins qui ne vont rien consommer, rien s’injecter, aucune drogue, mais qui vont passer leurs journées à jouer aux jeux vidéo. C’est aussi une façon d’éviter la situation.

 

 

Lire notre entretien avec Samuel Laurent : « Twitter est un salon parisien qui prend une importance disproportionnée »

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