Violences policières : vers une prise de conscience de l’exécutif ?
Un mort lors d’un contrôle routier, un tir de LBD à bout portant, ou encore un croche-pied fait à une manifestante. Depuis de début de l’année, dans un contexte social tendu, les images d’un usage manifestement disproportionné de la force par des policiers et des gendarmes choquent l’opinion et poussent l’exécutif à réagir.

Violences policières : vers une prise de conscience de l’exécutif ?

Un mort lors d’un contrôle routier, un tir de LBD à bout portant, ou encore un croche-pied fait à une manifestante. Depuis de début de l’année, dans un contexte social tendu, les images d’un usage manifestement disproportionné de la force par des policiers et des gendarmes choquent l’opinion et poussent l’exécutif à réagir.
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« J’attends de nos policiers et de nos gendarmes la plus grande déontologie ». En déplacement à Pau ce mardi, le chef de l’État a reconnu « des comportements qui ne sont pas acceptables » de la part des forces de l’ordre avant de demander au ministre de l’Intérieur de lui faire des « propositions claires pour « améliorer la déontologie » et « les éléments de contrôle ».

Ces derniers jours, la vidéo d’un croche-pied vraisemblablement gratuit d’un policier sur une manifestante à Toulouse, les images ce qui s’apparente à un tir de LBD à bout portant lors de la manifestation parisienne du 9 janvier, sans oublier la mort de Cédric Chouviat, lors d’un contrôle routier… Autant d’éléments qui secouent le plus haut sommet de l’État.

Depuis le début de son quinquennat, et en particulier le début du mouvement des gilets jaunes, ce n’est pas la première fois qu’Emmanuel Macron est confronté à des images mettant en cause l’intégrité des forces de l’ordre. Mais force est de constater que sa perception était tout autre. « Ne parlez pas de répression ou de violences policières, ces mots sont inacceptables dans un État de droit » lançait-il lors d’une réunion du grand débat national à Gréoux-les-Bains (Alpes-de-Haute-Provence), le 7 mars 2019. À l’époque, il était interrogé sur les blessures graves infligées par des tirs de LBD à des participants au mouvement des gilets jaunes.

« Le maintien de l’ordre se fait en fonction des populations concernées »

L’avocat et docteur en droit, Jean-Pierre Mignard, membre du comité politique d’En Marche durant la campagne présidentielle, dresse un constat amer de ce qui s’apparente à un changement de pied dans la prise en compte de ces violences par l’exécutif. « Le maintien de l’ordre se fait en fonction des populations concernées. C’est une excellente radiographie de notre société. Lors des manifestations des gilets jaunes, aucune précaution n’était prise vis-à-vis de gens qui, pour l’exécutif, appartenaient à une forme de tiers état. Dans les manifestations contre la réforme des retraites, vous avez affaire à des salariés, à des fonctionnaires, à des syndiqués… Alors ce n’est plus pareil » relève-t-il avant de se dire « très satisfait » qu’Emmanuel Macron demande désormais au ministère de l’Intérieur et à toute la chaîne de commandement, la mise en place d’un cadre déontologique.

Blessés graves : depuis novembre 2018, le bilan est lourd

Pour aller plus loin dans cette volonté d’apaisement, l’avocat propose aujourd’hui dans le journal Le Monde, la mise en place d’une commission ad hoc visant à indemniser le plus rapidement possible les personnes blessées par les forces de l’ordre lors des manifestations. « Cela répondrait aux vœux de réconciliation exprimés par le président de la République » estime-t-il reprenant une liste « non-exhaustive de personnes très gravement blessées » depuis novembre 2018 : « Vingt-cinq éborgnés », « cinq mains arrachées », « un pied déchiqueté », « neuf pertes de dents », « deux pertes d’odorat » etc… À cela, on peut ajouter la mort de Zineb Redouane à Marseille le 1er décembre 2018 et celle Steve Caniço, lors de la fête de la musique à Nantes, en marge d’opérations de maintien de l’ordre.

« On ne fait pas de croche-pied à l'éthique »

Avant Emmanuel Macron, lundi, lors de ses vœux à la Police nationale, c’est Christophe Castaner qui a appelé les fonctionnaires à un « usage juste et proportionné de la force ». « C'est l'honneur de la police qui est en jeu, on ne fait pas de croche-pied à l'éthique, sauf à s'abaisser, à abaisser la police » a-t-il jugé. Là encore, on peut noter un changement, au moins sur la forme, dans le discours du ministre. Interrogé par le JDD en juin 2019, Christophe Castaner indiquait lui aussi ne pas accepter « l'expression violences policières », arguant qu’à « chaque fois qu'un comportement litigieux est signalé, une enquête est ouverte ». « Il a été le porte-parole des pires errements de la police » attaque Jean-Pierre Mignard.

« La solution pour pacifier les rapports entre citoyens et les forces de l’ordre, c’est la caméra-piéton »

« Je ne vois pas de changement dans la prise de parole de Christophe Castaner qui a toujours dit que les comportements litigieux seraient sanctionnés » note, pour sa part, le sénateur LR François Grosdidier, co-auteur d’un rapport parlementaire sur le malaise des forces de sécurité intérieur. Pour l’élu de Moselle, l’épuisement des forces de l’ordre est un élément qui ne doit pas être occulté. « Le problème, c’est que le gouvernement se ment à lui-même lorsqu’il parle d’augmentation de moyens pour les forces de l’ordre. Depuis la publication de notre rapport il y a deux ans, rien n’a bougé quand on regarde le renouvellement des matériels ou le compteur d’heures supplémentaires qui s’accumule. « Les agents vivent très mal que des images d’actes inacceptables mais marginaux soit associées à l’ensemble du corps policier. La solution pour pacifier les rapports entre citoyens et les forces de l’ordre, c’est la caméra-piéton » préconise-t-il.

Quant à l’usage contesté des LBD dans les manifestations, François Grosdidier confirme qu’il ne doit pas être un substitut au jet d’eau mais à l’arme à feu », et donc être uniquement utilisé lors de violences urbaines. « Mais rappelez-vous, au moment des manifestations des gilets jaunes on a reproché aux forces de l’ordre d’être trop passifs face au black blocs ».

En mars 2019, Didier Lallement annonçait un changement de doctrine

Limogé après d’énièmes débordements lors d’une manifestation des gilets jaunes, le préfet de police de Paris, Michel Delpuech, était remplacé en mars 2019 par Didier Lallement. Auditionné par le Sénat, ce dernier confirmait un changement de doctrine. « Est-ce qu’on a rompu avec la procédure fort ancienne, (selon laquelle) "vous ne bougez que sur instruction" ? Oui, on a rompu avec ça » confirmait-il avant de confesser « craindre le pire » en cas d’absence des LDB. « Ces armes nous protègent les uns et les autres » justifiait-il.

« Améliorer la déontologie, et les éléments de contrôle ». Les mots d’Emmanuel Macron aujourd’hui, laissent entendre si ce n’est un changement de doctrine dans le maintien de l’ordre, au moins un changement de sémantique.  

Pour en savoir plus voir ou revoir le débat de l'émission "On va plus loin"

Débat émission "Allons plus loin": "Maintien de l'ordre, l'appel de Christophe Castaner
27:17

 

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