La bataille de l’école privée 1/3 : comment le projet de loi Savary a réveillé la guerre scolaire

La bataille de l’école privée 1/3 : comment le projet de loi Savary a réveillé la guerre scolaire

En 1984, avec le projet de loi Savary, le pouvoir socialiste va raviver un conflit présent dans la société française depuis plus de 100 ans : la guerre scolaire. Entre partisans laïcs et défenseurs de « l’école libre », une bataille politique féroce s’engage. Pourtant habile négociateur, Alain Savary n’arrivera pas à mener à bien la mission que lui avait confiée François Mitterrand. Il voulait clore la guerre scolaire, il va la rallumer.
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Aboutir à un grand « service public unifié et laïque de l’éducation nationale » (SPULEN), telle est l’ambition du candidat François Mitterrand en 1981. Il en fait d’ailleurs une de ses 110 propositions pour la France. Et une fois arrivé au pouvoir, c’est à Alain Savary, nommé ministre de l’Éducation nationale, qu’il confie la mission de mener à bien ce projet. Ce grand SPULEN est rapidement vu comme une volonté de nationalisation de l’enseignement privé, et si ses détracteurs craignent alors la disparition de l’enseignement catholique, ses partisans eux s’en réjouissent. Un affrontement entre tenants de l’enseignement religieux et socialistes laïcs s’engage. Il durera pendant trois ans.

Les antagonismes sont forts car ils sont profonds. Le pouvoir socialiste, en s’attaquant à la question de l’enseignement privé réveille une querelle historique sur la place de la religion dans l’enseignement : la guerre scolaire.

Des lois Falloux à la laïcité de Ferry

Depuis le milieu du XIXe siècle, la guerre scolaire n’a en effet jamais cessé. Dès 1850, avec les lois Falloux, les religieux essaient de « retrouver l’influence qu’ils avaient avant la révolution », explique l’historien Bruno Fuligni. Pour « combattre les idées politiques, les idées sociales, voire socialisantes qui ont amené la révolution de 1848 et la République à Paris » le pouvoir de la seconde République veut « confier l’instruction aux prêtres ». Cette loi sera durement critiquée, notamment par Victor Hugo, qui n’est pas favorable à la mainmise du clergé sur l’instruction, et qui souhaite aboutir à l’instruction obligatoire.

Ses idées aboutiront finalement trente ans plus tard, avec les célèbres lois Ferry. En 1880 l’instruction devient obligatoire et les écoles gratuites et publiques. Enfin la notion de laïcité s’impose dans le domaine scolaire : « comme toutes les familles n’ont pas les mêmes convictions religieuses, cette école publique et gratuite elle doit être aussi laïque » explique Bruno Fuligni. « Démocratisation et laïcisation vont de pair avec le projet politique de la République, de faire de tout petit Français un futur citoyen, avec un socle commun de connaissances ». Là encore, les lois Ferry sont adoptées dans un climat politique très tendu, « un contexte de guerre scolaire » insiste l’historien.

Le vieil affrontement entre cléricaux et anticléricaux devient une bataille droite-gauche

Cette guerre scolaire va durer pendant plus d’un siècle, et à la veille de l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République, elle est toujours présente insiste Bruno Fuligni « Dans les années 60-70, la pratique religieuse et l’influence du clergé recule beaucoup. Et la gauche regagne du terrain, non seulement une gauche laïque à l’ancienne mais aussi une gauche marxiste ou marxisante, donc dans certains départements le vieil affrontement entre cléricaux et anticléricaux devient une bataille droite-gauche, dans les termes nouveaux qui sont ceux des années 60-70 ».

En 1981, tous les éléments sont donc en place pour une bataille frontale, chaque camp se prépare. Au centre, Alain Savary tente de trouver un compromis sur la question du financement des écoles privées et la titularisation des maîtres dans les établissements religieux. Il négocie pendant près de trois ans avec le camp laïc et le camp catholique pour aboutir au printemps 1984 à un projet de loi qui satisfait tant bien que mal les deux parties. « Nous marchions sur des œufs » reconnaît Bernard Toulemonde, qui fut négociateur pour cette loi.

Mais le compromis ne tiendra pas. Insatisfait par un projet de loi qui manque selon lui d’ambition, André Laignel, député PS à la tête d’une partie des députés, durcit le texte lors de son passage à l’Assemblée, et déclenche la colère des catholiques. Les manifestations de protestation s’enchaînent, et vont réunir jusqu’à plus d’un million de personnes dans les rues de Paris le 24 juin 1984.

Je pense que l’échec était presque inéluctable

Si le but du gouvernement était de « mettre fin à la guerre scolaire qui a ravagé notre pays depuis quasiment un siècle » comme l’affirme Bernard Toulemonde le projet tourne au fiasco, pire il a réveillé les antagonismes. François Mitterrand décide en juillet 1984 de retirer le texte. Alain Savary présente alors sa démission, suivi bientôt par le Premier ministre Pierre Mauroy.

Avec plus de 30 ans de recul, l’ancien secrétaire général de l’Élysée sous François Mitterrand Jean-Louis Bianco « pense que l’échec était presque inéluctable […] D’abord pour des raisons historiques, philosophiques, culturelles, idéologiques », mais aussi pour des raisons liées à la liberté de déroger à la carte scolaire. Pour Jean-Louis Bianco, les socialistes ont échoué dans leur envie de réformer le système éducatif parce qu’ils n’ont pas compris que les parents se comportaient aussi comme des consommateurs.

« Il faut vraiment protéger la paix scolaire » insiste la journaliste Arlette Chabot. Si les réformes sur l’école publique sont déjà des actes politiques risqués pour des gouvernements, l’école privée est un sujet encore plus délicat à manier. C’est pourquoi François Mitterrand décidera finalement d’enterrer la hache de la guerre scolaire, une guerre à laquelle il n’a pu mettre un point final.

 

Retrouver l’émission « Il était une loi - Quand le Sénat écrit l’histoire » consacrée à la bataille de l’école privée, en replay sur notre site.

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