À l’Elysée, Emmanuel Macron veut « accompagner » l’esport français

À l’Elysée, Emmanuel Macron veut « accompagner » l’esport français

Emmanuel Macron recevait ce vendredi les acteurs de l’esport français au Palais de l’Elysée, à l’occasion de la Trackmania Cup, une compétition qui se déroulera samedi à l’Accor Arena. Un symbole envoyé à un secteur en pleine expansion, mais en manque de reconnaissance institutionnelle.
Louis Mollier-Sabet

Temps de lecture :

3 min

Publié le

Mis à jour le

Ce n’est pas une foule habituelle qui se presse devant le Palais de l’Elysée en ce vendredi après-midi, même si cela pourrait bien devenir une habitude. Entre les joueurs de l’équipe G2, arrivés en kilt, et le streamer et fondateur de l’équipe Karmine Korp, Kameto, « en TN à l’Elysée », le public tranche un peu avec le décorum de la résidence présidentielle.

Et en même temps, c’est presque un aboutissement naturel pour l’esport français. Si ces noms ne disent probablement pas grand-chose à la majorité des gens qui fréquentent habituellement les couloirs de l’Elysée, ils sont iconiques pour la génération qui a grandi en jouant aux jeux vidéo et qui a assisté, pendant les 20 dernières années, à la structuration progressive de « l’écosystème » de l’esport français. Parce que l’esport, bien plus que le développement des jeux vidéo, c’est la naissance d’un véritable milieu compétitif avec des championnats, des clubs et des joueurs professionnels. Mais c’est aussi un marché, tout comme le sport professionnel, qui met aux prises des diffuseurs, des organisateurs d’événements et des sponsors. Si Désiré Koussawo, président de l’Association France Esports, ouvre cette réception en rappelant que « 73 % des Français jouent aux jeux vidéo », ce n’est pas vraiment ça qui était en jeu ce vendredi à l’Elysée.

Quand Emmanuel Macron a invité « les acteurs de l’esport français », c’était donc bien pour mettre à l’honneur, à la fois des « grands sportifs », mais aussi tout un secteur économique et culturel en croissance exponentielle depuis quelques années. En témoignent littéralement les sommes levées par le « Zevent », sorte de téléthon de l’esport organisé par l’un des plus gros streamers français, Adrien Nougaret, alias ZeratoR, qui avait permis de lever 450 000 euros pour la Croix-Rouge en 2017, 1 million d’euros pour Médecins sans Frontières en 2018, 3,5 millions d’euros pour l’Institut Pasteur en 2019, 5,7 millions d’euros pour Amnesty International en 2020 et plus de 10 millions d’euros pour Action contre la faim en 2021.

« On jouait limite dans des caves à notre jeu préféré »

C’est d’ailleurs ZeratoR, encore lui, qui était à l’origine de cette fête de l’esport français à l’Elysée, puisqu’il a attiré les projecteurs médiatiques – et donc politiques – sur le milieu en louant l’Accor Arena, rien que ça, pour organiser un tournoi du jeu vidéo de course Trackmania, devant 15 000 spectateurs. Après un passage de ZeratoR dans la matinale de France Inter mercredi, les invitations de l’Elysée sont parties jeudi soir pour une réception « en l’honneur des acteurs de l’esport français à l’occasion de la Trackmania Cup. » Dans l’esport français, tout va très vite, en politique aussi. Parce qu’il y a encore quelques années, « l’écosystème » de l’esport français était beaucoup plus artisanal, avec des « LAN » – des compétitions en réseau physique et local – dans les garages des uns et des autres, pas à Bercy. « On jouait limite dans des caves à notre jeu préféré », se rappelle ainsi au Palais de l’Elysée William « Glutonny » Belaïd, tout nouveau champion de Mario Smashbros, un jeu sur lequel aucun Européen n’avait jamais atteint ce niveau.

En quelques années, la « scène » française a explosé, des équipes ont émergé, comme Solary, Vitality ou la Karmine Corp, et les performances ont suivi, jusqu’à former un « écosystème » aujourd’hui reçu à l’Elysée par le Président de la République au même titre que les autres « grands sportifs. » « On a souhaité avoir ce geste de reconnaissance », a ainsi expliqué Emmanuel Macron : « Dans notre pays, on reçoit les médaillés olympiques et paralympiques et les grands sportifs après des compétitions. Il faut que vous puissiez célébrer vos disciplines et que l’on puisse célébrer nos champions. » Le message du Président de la République est clair : dorénavant, sur le plan symbolique tout du moins, les joueurs d’esport seront traités comme les sportifs, et les champions seront reçus à l’Elysée après des grandes performances. Emmanuel Macron n’en est probablement pas encore à décrocher son téléphone pour convaincre Cabochard, joueur phare et capitaine de l’équipe de League of Legends de la Karmine Corp, de rester à Paris comme il a pu le faire pour Mbappé, mais la « reconnaissance » est là.

« On n’a pas encore d’Arena ou de stade en Europe. Si vous voulez nous aider, M. Macron, un petit stade… »

Maintenant que l’esport est entré dans la cour des grands, la scène française ne semble pas rassasiée pour autant. Laure Valée, présentatrice iconique des tournois de League of Legends, et journaliste spécialiste de l’esport, l’affirme sur scène à côté du Président de la République, dans le domaine, « la France est l’un des pays les plus forts au monde. » En Europe, cela fait peu de doutes, même si l’Espagne dispose aussi d’une scène relativement bien structurée. Au niveau mondial, les Etats-Unis, mais surtout les Chinois et les Coréens, font figure d’épouvantails. Mais pour Sébastien « Ceb » Debs, champion international de Dota, la France a vocation « à prendre une place de référence en matière d’esport. » Bref, symboliquement, la reconnaissance institutionnelle était attendue depuis longtemps par des acteurs « qui ne doivent rien à l’Etat », selon les mots du Président de la République, mais la scène française en veut plus.

Ce désir d’aller encore plus loin, ce sont peut-être les fondateurs de la Karmine Corp, structure probablement devenue la plus populaire de France, en ayant réussi à importer les codes du supportérisme « classique » dans l’esport, qui en parlent le mieux. « On envisage la Karmine comme un vrai club, une institution qui va plus loin. Nous, on vient de là [du monde du sport] », rêve Amine « Prime » Mekri, l’un des fondateurs de la « KC. » Et pour ce faire, son acolyte, Kamel « Kameto » Kebir « voit des stades, des supporters » et fait une demande à Emmanuel Macron avec un ton dont il a le secret : « On n’a pas encore d’Arena ou de stade en Europe. Si vous voulez nous aider, M. Macron, un petit stade… »

« C’est le signe que notre industrie devient mainstream »

Le Président de la République n’est pas encore tout à fait prêt à lancer le chantier : « Il y a des tas de synergies à avoir avec le sport et la culture. Les stades existent, il y a des salles de cinéma à réinventer. On a des infrastructures qui existent et qui permettront de réinventer l’esport. » Mais il le concède, « il faut passer à la prochaine étape : de la reconnaissance à l’accompagnement. » Emmanuel Macron a les Jeux Olympiques 2024 en ligne de mire et souhaite « utiliser cet événement pour avoir une mobilisation dans l’esport français et international, un peu comme pour le Vendée Globe, une sorte de compétition-miroir. » La France se portera ainsi candidate pour les majors de Counter Strike, une nouvelle compétition internationale de League of Legends, même si en ayant organisé les « Worlds » de 2019, les Français ne pourront probablement pas accueillir des championnats du monde de sitôt, et les championnats – The International – de Dota 2.

Emmanuel Macron entend aussi aider « à structurer le secteur », en « accompagnant les plus jeunes pour réussir à faire des vraies carrières, puis des reconversions », sur le modèle des autres fédérations sportives, dans l’optique de véhiculer un « soft power à la française. » Dans l’assistance, on profite d’un véritable moment de reconnaissance pour un secteur parfois coupé du reste de la société et des institutions. Mais les connaisseurs du secteur ne s’y trompent pas, aucune véritable annonce n’a été faite pour le moment : ni fédération, ni investissements publics, ni infrastructures. À quelques jours des législatives, cette cérémonie organisée en 24h a pu placer certains streamers qui naviguent très loin du champ politique dans une situation délicate, pris entre l’envie de faire reconnaître leur passion et un secteur qu’ils ont participé à faire naître, et une neutralité politique à conserver.

« Je veux juste que l’esport grandisse en France, rien de plus », a par exemple réagi Kameto. ZeratoR, passé en coup de vent entre deux répétitions pour le show de samedi à la Trackmania Cup, a lui aussi pris ses distances, notamment avec la scène qui a suivi le discours du chef de l’Etat, où tous les deux se sont installés pour jouer une « game » de Trackmania.

« Au départ, on devait jouer avec le président en live, mais j’ai demandé que non. Voilà », a sobrement expliqué ZeratoR sur twitter, peut-être gêné de faire partie d’une opération de communication. « Bon l’Elysée c’était sympa, le buffet était super bon, y’avait des gens qui étaient là pour bien gratter comme des requins, c’est le signe que notre industrie devient mainstream j’imagine », a-t-il poursuivi. Effectivement, avec le développement économique viennent la reconnaissance symbolique du pouvoir et l’institutionnalisation, qui donnent des opportunités, mais produisent aussi des contraintes. Les « acteurs de l’esport français » invités cette après-midi vont devoir s’y habituer, ce n’est pas près de s’arrêter.

Dans la même thématique

À l’Elysée, Emmanuel Macron veut « accompagner » l’esport français
3min

Société

« Quand j’ai abordé les viols sur enfants, j’ai reçu beaucoup de courriers me traitant de rabat-joie », Mireille Dumas

Dans son émission « Bas les masques » ou encore « Vie privée, vie publique », Mireille Dumas a mis en lumière des parcours de vie peu écoutés, et pourtant loin d’être des cas isolés. Alors que les féminicides étaient qualifiés de « crimes passionnels », elle dénonçait déjà les violences perpétrées à l’encontre des femmes, des enfants et des minorités de genre. Quel regard porte-t-elle sur l’évolution de la société sur ces questions ? Comment explique-t-elle son intérêt pour les autres ? Cette semaine, Mireille Dumas est l’invitée de Rebecca Fitoussi dans « Un Monde un Regard ».

Le

À l’Elysée, Emmanuel Macron veut « accompagner » l’esport français
6min

Société

Opérations « place nette XXL » contre la drogue : « Le but stratégique, c’est de couper les tentacules de la pieuvre », défend Darmanin

Devant la commission d’enquête du Sénat sur les narcotrafics, Gérald Darmanin a vanté le bilan des opérations antidrogues lancées ces derniers mois dans plusieurs villes de France. Le ministre de l’Intérieur assure qu’au-delà de « la guerre psychologique » menée contre les dealers, ce sont les réseaux dans leur ensemble qui sont impactés.

Le