La Seine présente à chaque page du livre de François Sureau ne pouvait pas ne pas rendre hommage à Christo. L’artiste, disparu ces derniers jours, reste à tout jamais célèbre pour avoir, en 1985, « emballé » le Pont-Neuf à Paris. « Cette œuvre a été controversée, se souvient Nathalie Heinich, sociologue spécialiste de l’Art Contemporain. Il y a eu des réactions de rejet, mais aussi des réactions positives. L’on venait à l’époque de la Grande Banlieue pour venir voir le Pont-Neuf. Les gens venaient se promener voire pique-niquer sur place ».
Le regard de François Sureau semble plus distancié sur l’œuvre de Christo. « L’emballement de l’Arc de Triomphe, prévu dans quelques mois par l’artiste aurait été un monument de kitch » sourit-il, tout en rappelant ce réflexe de ses chers surréalistes souvent tranchants dans leurs avis selon la méthode du « j’aime, je n’aime pas ».
Christo n’est - et de loin - pas la seule personnalité liée aux courbes de la Seine. Elles sont des centaines dans l’ouvrage de François Sureau, éblouissant d’éclectisme au fil des pages.
Juste quelques-uns, Apollinaire d’abord, le poète chéri, un « conciliateur des contraires », l’immense Pascal, ce « formidable formateur de scepticisme », Maigret, le commissaire, « une réflexion permanente sur l’origine du Mal ». Et même Babar (!) ou le Général Mangin.
Toutes des « figures d’écart » et d’engagements individuels pour François Sureau, pour qui « L’or du temps », son livre – le premier d’une série de trois tomes – permet « d'échapper à la politique, un univers dicté par nos inquiétudes ».
La plongée dans l’univers du Chambon-sur Lignon, terre d’affection de Nathalie Heinich, semble à l’opposé de ces destins individuels hors du commun.
Chambon non loin de la source de la Loire, fut au contraire le lieu du collectif discret mais tout aussi « efficace » dans la construction d’un héroïsme qui permit à des milliers de Juifs d’être sauvés dans les années noires de la Dernière Guerre. « Sans doute faut-il chercher dans le caractère protestant du lieu, l’origine » de l’histoire récente du Chambon-sur-Lignon, explique Nathalie Heinich. « Là Chambon fut un lieu de refuge pour les protestants à l’époque de leur persécution. La clandestinité de ce Désert protestant a fait écho à celle des juifs réfugiés ». D’où cette « mobilisation collective, silencieuse et discrète », capable de « tous les stratagèmes » qui ont fait du Chambon-sur-Lignon « ce lieu mémoriel du sauvetage ».
Et la discrétion du lieu fut aussi une terre d'asile pour la pensée selon Nathalie Heinich : « Raymond Aron, Albert Camus, Francis Ponge et bien d’autres ont connu et ont fréquenté le Chambon-sur-Lignon » rappelle-t-elle comme en échos aux propos de François Sureau pour qui « La France intellectuelle a souvent tourné le dos à la Seine ».