Vaccination : « La France est la risée de nos voisins européens », pour Bernard Jomier

Vaccination : « La France est la risée de nos voisins européens », pour Bernard Jomier

S’il salue l’accélération du gouvernement sur la campagne de vaccination, le sénateur du groupe PS, Bernard Jomier, craint que l’Etat n’ait pas assez de doses de vaccin. Il pointe aussi des problèmes d’organisation.
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Le sénateur Bernard Jomier salue le « changement dans la tonalité » du gouvernement sur les vaccins, alors que le ministre de la Santé, Olivier Véran, annonce une accélération de la vaccination contre le Covid-19. « La question n’est pas simplement de dire que nous allons accélérer le calendrier, mais a-t-on en face les vaccins disponibles et l’organisation qui va avec ? » demande le sénateur apparenté PS, corapporteur de la commission d’enquête du Sénat sur la gestion de la crise épidémique.

Bernard Jomier, médecin généraliste de profession, pointe du doigt une organisation « extrêmement centralisée et extrêmement verticale ». Il ne voit « pas comment le gouvernement aura la capacité de vacciner en janvier l’ensemble des personnes vulnérables », si les doses de vaccins n’arrivent pas en plus grand nombre. Il veut auditionner le ministre sur le sujet. Il dénonce « un chef de l’Etat qui concentre les décisions. Alors qu’il a failli ». Mais pour le sénateur de Paris, « il n’est pas trop tard pour mener une campagne rapide et efficace ». Entretien.

 

Le ministre de la Santé, Olivier Véran, a annoncé ce matin que le gouvernement allait « amplifier, accélérer et simplifier » la stratégie vaccinale. Saluez-vous cette volonté ?

Evidemment. Comme quoi, les critiques que nous avons émis ces derniers jours n’étaient pas injustifiées. Je constate un changement dans la tonalité, la volonté. Sans doute une prise de conscience aussi qu’on est dans une situation épidémiologique qui est à haut risque. On va avoir les conséquences des fêtes de fin d’année, qu’on verra dans les prochains jours, il y a la rentrée scolaire, qui est un second facteur péjoratif. Je considère déraisonnable d’avoir procédé à la rentrée scolaire, de ne pas s’être donné deux semaines supplémentaires pour évaluer le nombre de contaminations. On est toujours en période hivernale et le variant anglais du virus est présent sur notre territoire. Avec le risque d’une réaccélération de l’épidémie. Les incertitudes de cette épidémie montrent la nécessité de vacciner au plus vite pour sortir au plus vite des phases de restriction d’activité.

Ce nouveau volontarisme est bienvenu mais la question qui reste entière, sur laquelle je veux entendre le ministre de la Santé – pour le moment, on n’a pas de réponse sur la date possible sur notre demande d’audition – c’est qu’il nous dise de façon très nette et claire combien de doses du vaccin Pfizer on recevra en janvier, février et mars. Même chose avec le vaccin Moderna. Et enfin pour le AstraZeneca. Donc en clair, est-ce que fin mars, nous aurons pu vacciner les 14 millions de personnes vulnérables dans notre pays, ainsi que les soignants ? Car après, on ne craindra plus la saturation du système hospitalier et les réanimations, qui fondent et légitiment les restrictions d’activité. Quand on aura vacciné ces 14 millions de personnes, on aura fini avec les mesures de restriction. C’est une question essentielle.

Mais il persiste un flou. A-t-on ces vaccins ? Si on a 500.000 doses de Pfizer et 500.000 autres cette semaine, avec ça, on vaccine les résidents d’Ehpad et pas beaucoup plus. La question n’est pas simplement de dire que nous allons accélérer le calendrier, mais a-t-on en face les vaccins disponibles et l’organisation qui va avec ?

Cette organisation est-elle à la hauteur ?

L’organisation est extrêmement centralisée et extrêmement verticale. Le gouvernement est en train de changer de position, après le début de la campagne de vaccination. On déconcentre le stockage des vaccins. Mais je ne comprends pas cet endettement à mettre en place des procédures très technocratiques, malgré tous les avertissements, cette volonté de repousser toutes les propositions des maires et élus locaux.

Après le manque de masques, les difficultés sur les tests en septembre, la France rate-t-elle le début de sa stratégie vaccinale ?

Je ne dirais pas que la France a raté sa stratégie vaccinale. Ce serait un mauvais procès. Et inexact. A-t-elle en revanche raté le début de sa campagne ? Oui, clairement. Les mêmes causes produisent les mêmes effets. La mauvaise préparation est due aux défauts pointés de longue date : une centralisation excessive, un culte du secret, c’est-à-dire « on s’occupe de tout, ne vous mêlez pas de ça », une verticalité, des décisions technocratiques et un chef de l’Etat qui concentre les décisions. Alors qu’il a failli. Il s’est mis en première ligne en novembre en disant voilà comment je mets en place le vaccin et il revient en janvier avec une colère feinte, qui n’a pas de sens, si ce n’est à être dirigée contre lui-même. A écarter sans cesse tous les acteurs, voilà le résultat. C’est une entrée en campagne de vaccination qui fait de la France la risée de tous nos voisins européens et sans doute du monde entier. Après, il n’est pas trop tard pour mener une campagne rapide et efficace. Mais il reste ce gros point d’interrogation pour savoir si nous aurons les vaccins. S’il n’y a pas 30 millions de doses, pendant le premier trimestre, on ne vaccinera pas 15 millions de personnes.

Le gouvernement annonce aussi le début de la vaccination pour les plus de 75 ans, non-résidents en Ehpad. N’était-ce pas ce qui était prévu, de monter en force petit à petit, en élargissant les cercles des personnes concernées ?

Le 17 décembre, j’avais apporté un soutien au ministre en disant qu’en janvier, il fallait vacciner les Ehpad et les soignants. Après février-mars, on élargit la cible au plus de 65 ans avec comorbidité, etc. J’entends des critiques sur le fait de commencer par les résidents d’Ehpad. Mais je maintiens mon soutien à cette décision. Ce sont ceux qui ont le plus de risques de mourir s’ils attrapent le Covid.

Je trouve bien que l’élargissement aux soignants soit assez rapide. Mais il ne faut pas non plus raconter d’histoire. Je ne vois pas comment le gouvernement aura la capacité de vacciner en janvier l’ensemble des personnes vulnérables. Car nous n’avons pas ces doses de vaccins. On manque de précision, c’est bien pour cela que je veux qu’on entende le ministre de la Santé. Qu’il nous dise très clairement, voilà quels sont les chiffres. Et si les capacités de vaccination sont liées à des incertitudes de marché sur les vaccins, qu’il nous le dise.

Pour simplifier la vaccination, Olivier Véran annonce que les infirmières seront autorisées à vacciner et que le nombre de centres de vaccination va augmenter. En tant que médecin, êtes-vous d’accord ?

Ce matin, c’est la fête. Il y en a pour tout le monde. Mais ce vaccin de Pfizer ne peut être conservé que quelques jours dans un réfrigérateur. C’est ça qui limite la possibilité de vacciner dans les cabinets médicaux ou par les infirmières. Donc il fallait organiser la mobilisation de ces personnels de santé dans des lieux dédiés. On a 50.000 médecins généralistes et des milliers d’infirmières. On a le personnel pour vacciner. Après, on ne pourra vacciner dans les cabinets qu’avec des vaccins qui se conservent plus simplement. Donc il faut avoir une campagne déconcentrée. A Paris, l’idée qu’il y ait un centre de vaccination dans chaque mairie d’arrondissement est bonne. La participation des professionnels de ville oui, dans ces centres de vaccin, mais dans les cabinets de ville, ce sera pour un peu plus tard.

Avec les antivaccins, le gouvernement marche sur des œufs. Est-ce que ça ne justifiait pas de commencer doucement ?

Je comprends cette réticence. J’ai rappelé le 17 décembre au Sénat qu’il y avait une concertation sur la vaccination en 2016, menée par Alain Fischer justement, qui proposait un ensemble de mesures pour renforcer l’adhésion à la vaccination. Le gouvernement devrait mettre en œuvre ces propositions et ne pas recréer un panel de citoyens. Ça, c’est un peu une opération de communication politique.

Ensuite, il faut arriver à convaincre davantage de nos concitoyens de se faire vacciner. C’est l’exemple qui sera très efficace. Par l’exemple, en voyant le recul du nombre de personnes en réanimation, l’effet d’entrainement sera important. Par ailleurs, la procédure sur la vaccination, que j’ai reçue dans mon cabinet, et une procédure bureaucratique comme on n’en a jamais vue. Quel est l’intérêt d’une procédure aussi lourde et décourageante ? On a inventé une procédure complètement folle et qui rate sa cible, car ce ne sont pas les antivaccins qui viennent dans nos cabinets. On s’adresse à des gens qui veulent se faire vacciner et on pourrait quasiment les décourager. Il y a une conception qui n’est pas bonne et qui repose plus sur une méconnaissance. C’est encore une fois un peu un ratage.

 

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