Chrétiens d’Irak : la vie après Daesh

Chrétiens d’Irak : la vie après Daesh

Chrétiens et Yézidis ont été forcés de fuir l'Irak avec l'arrivée de Daesh en 2014 en raison de leurs croyances. Aujourd'hui, ces minorités reviennent progressivement chez elles. Dans quelle Irak s'effectue leur retour ? Quelle vie après Daesh ? Fabien Recker a suivi la délégation sénatoriale française venue en janvier 2018 constater les conditions du retour des chrétiens en Irak. Rencontre avec le réalisateur de « Chrétiens d’Irak : la vie après Daesh ».
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Par Priscillia Abereko

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Dans quelle Irak et dans quelles conditions les chrétiens d’Orient sont-ils aujourd’hui de retour ?

Fabien Recker : « Toutes les populations chrétiennes qui vivaient dans les zones occupées par Daesh ont fui en 2014. Une partie d’entre elles se sont exilées à l’étranger, beaucoup sont restées au Kurdistan dans des camps de réfugiés et progressivement elles commencent à revenir dans les villes où elles vivaient avant. Un retour dans les villes qui sont majoritairement chrétiennes, où elles peuvent s’appuyer sur une communauté chrétienne qui est ancrée notamment avec la présence de l’Église et où leur sécurité est assurée. L’Église et les ONG assurent un travail de reconstruction des maisons détruites. Mais ce retour marche beaucoup moins dans les villes où les chrétiens étaient minoritaires parce qu’il y a aujourd’hui une méfiance à l’égard de leurs voisins, les sunnites. Aujourd'hui, ils ont du mal à se réintégrer car ils ont peur de retourner dans ces villes où vivent des sunnites, qui avaient applaudi à l’arrivée de l’État islamique. Certains s’étaient approprié leurs maisons, les avaient dénoncés auprès de Daesh. Aujourd’hui la confiance est rompue entre les communautés ».

Quel est l’avenir pour ces familles chrétiennes de retour en Irak ?

Fabien Recker : « Il y a un travail de reconstruction qui est fait. Il y a beaucoup d’aides qui viennent de l’étranger, de par le relais chrétien contrairement aux Yézidis qui n’ont pas de coreligionnaires à l’étranger. Leur histoire a beaucoup ému notamment l’Occident et les chrétiens en Occident, donc il y a une solidarité internationale qui s’est mise naturellement en place. Une solidarité qui permet de reconstruire des écoles, des maisons, d’apporter un soutien à l’activité économique via le relais des ONG. Il y a aussi de la sécurité qui est assurée où l’on a tourné, bien que l’État soit absent, avec une milice chrétienne, la NPU, qui occupe le terrain et sécurise la zone pour les chrétiens. Mais ça reste encore un peu incertain dans la mesure où l’État est affaibli et les chrétiens restent une minorité à l’échelle du pays. Beaucoup de chrétiens espèrent aujourd’hui rejoindre l’Occident malgré la volonté et le combat de l’Église pour les faire rester sur une terre qu’ils occupent depuis des siècles ».

Quel rôle joue l'État irakien dans la reconstruction ? Comment considère-t-il les familles chrétiennes ? Que fait-il pour elles ?

Fabien Recker : « Ce que nous avons constaté durant notre tournage, c’est que l’État irakien est plutôt absent bien que sur le papier, la Constitution irakienne soit censée protéger les minorités. Il y a toutefois eu un discours assez encourageant de la part du gouvernement irakien, pour faire une place aux minorités. Les chrétiens s’appuient essentiellement sur les ONG et l’Église pour reconstruire ce qui a été détruit ».

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Quel était le but de la venue de la délégation française portée par Bruno Retailleau en Irak ?

Fabien Recker : «  Le but était je pense de se faire avant tout une idée sur le terrain. L’objectif pour la délégation était de constater comment se passait le retour des chrétiens en Irak. Aussi, d’envoyer un signal aux politiciens irakiens qu’ils ont rencontrés, leur montrer que de l’étranger les parlementaires regardent un peu ce qui se passent en Irak. Et, les inciter à prendre en considération les minorités qui vivent en Irak ».

Durant le tournage, il est fait mention d’une « identité citoyenne » en Irak. Est-elle envisageable ?

Fabien Recker : « C’est un peu toute la question. Après, il ne faut sans doute pas regarder ce qu’il se passe en Irak avec notre propre système de référence parce que c’est une histoire très différente. Dans les années 80, c’était une dictature bassiste sous Saddam Hussein donc plutôt laïque. Pendant les années d’embargo, Saddam Hussein était affaibli donc il s’est beaucoup appuyé sur la religion pour légitimer son pouvoir. Étant sunnite, il a un peu favorisé les sunnites avant que les Américains ne constatent une majorité chiite en Irak et ne leur confient les clés du pouvoir […] Aujourd’hui dans la réalité, je crois que les Irakiens se sentent d’avantage lié par leur religion que par une appartenance nationale ».

Est-ce dangereux de tourner en Irak ? La caméra est-elle bien perçue ?

Fabien Recker : « Je ne me suis pas senti en insécurité parce qu’on est parti tourné dans des conditions assez encadrées. Là où on était, il n’y a plus eu de combats depuis 2016, la situation était quand même assez apaisée. Je n’ai pas eu besoin de cacher la caméra qui était bien visible. Les gens étaient plutôt réceptifs et toujours d’accord pour être filmés. C’était juste un peu plus compliqué à l’aéroport avec les autorisations de tournage et la caméra qui les a rendus un peu nerveux. Une fois qu’on était dans le Nord, il n’y a plus eu de problème ».

 

Retrouvez l'intégralité de Sénat en Action, Chrétiens d'Irak : la vie après Daesh, mercredi 21 février à 23h, vendredi 23 février à 6h et vendredi 23 février à 19h.

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