Coronavirus : la crainte du « scénario catastrophe » dans les Ehpad

Coronavirus : la crainte du « scénario catastrophe » dans les Ehpad

Face au Covid-19, les Ehpad se retrouvent dans des situations très risquées. « A partir du moment où les gens sont infectés, il y aura beaucoup de décès car ils sont très fragiles » met en garde le sénateur Daniel Chasseing. « L’épidémie de Covid-19 exacerbe les manques des Ehpad », confrontés à une « pénurie » de personnel, souligne la sénatrice PS Michelle Meunier.
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C’est un problème de plus à gérer dans la crise. Face à l’épidémie de Covid-19, la situation des Ehpad risque de devenir critique. Elle l’est déjà dans certains établissements. En accueillant des personnes âgées, on le sait, plus fragiles face au virus, les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes se retrouvent de fait dans une situation périlleuse.

« On va vers une hécatombe dans les Ehpad » selon Patrick Pelloux

Dans les Vosges, 20 résidents d’un Ehpad de Cornimont sont ainsi décédés, « en lien possible avec le coronavirus », a annoncé lundi l’Agence régionale de santé. Un cas largement médiatisé qui est loin d’être le seul. Ce mardi, en fin de journée, on apprend qu’à Paris, un Ehpad compte 81 cas positifs et 16 décès, selon Le Parisien. Dans un établissement du Doubs, à Thise, on compte 15 décès. 5 morts à Mauguio, près de Montpellier, 7 morts à l’Ehpad de Sillingy, en Haute-Savoie, où le directeur demande de « tout faire pour empêcher le virus de rentrer dans les Ehpad ». Plusieurs foyers infectieux ont été repérés à Angoulême, ou encore à La Puye, près de Poitiers, où 25 soignants et 11 résidents sont contaminés. Une femme de 85 ans y est morte. Et ce, malgré les mesures prises dans les Ehpad du pays, d’abord une restriction des visites, puis le confinement.

Patrick Pelloux, président de l'Association des médecins-urgentistes de France, est particulièrement alarmiste sur la situation. « On va vers une hécatombe dans les Ehpad. Je pèse mes mots » a-t-il lâché lundi sur RTL. Une inquiétude exprimée dès vendredi par les principales fédérations du secteur dans un courrier adressé au ministre de la Santé, Olivier Véran. L'épidémie « pourrait se traduire par plus de 100.000 décès dans l'éventualité d'une généralisation que nous n'osons imaginer » alertent-elles. Elle n’est pas là pour le moment, mais elle « n'est cependant pas exclue, en l'état actuel de notre organisation », écrivent les fédérations. Le ministre assure les avoir entendues et a promis que les Ehpad « disposeraient dans la durée de 500.000 masques par jour ».

« C’est très tendu »

Pour l’heure, la situation reste compliquée. Le sénateur (Les Indépendants) de Corrèze, Daniel Chasseing raconte : « Ce matin, j’ai appelé le directeur de l’Ehpad de la commune de Chamberet, où j’étais maire. Actuellement, il a très peu de masques. On lui a dit qu’ils allaient en relivrer mais pour l’instant, c’est très tendu ». Le sénateur ajoute :

Il faut que les personnels puissent changer de masques chirurgicaux deux fois par jour. On en est loin. Pour l’instant, on n’y arrive pas. Il faut que les personnes des Ehpad soient protégées.

Une protection essentielle puisque les établissements étant confinés, le personnel soignant devient le possible et seul vecteur de propagation du virus. Daniel Chasseing, médecin généraliste de profession, le sait bien : « Ce qui s’est passé dans les Vosges, c’est le scénario catastrophe. A partir du moment où les gens sont infectés, il y aura beaucoup de décès car ils sont très fragiles. On confine donc au maximum les gens. Dès qu’ils sont infectés, on confine dans une chambre 15 jours ».

Dans les Vosges justement, Jackie Pierre, sénateur LR du département, explique qu’« on souffre du manque d’équipement et de masques en particulier, surtout pour le personnel ». Après « la catastrophe de Cornimont », il souligne qu’« on met le personnel dans des conditions très fragiles, car ils risquent leur vie pour sauver celle des autres en permanence ». Face à la situation, Jackie Pierre a posé une question écrite au ministre de la Santé. Son titre : « Cri d'alarme du secteur médical et autres professionnels exposés au Covid-19 »…

« Pas assez de masques pour l’ensemble des soignants »

Manque de masques aussi dans le Vaucluse. « Dans mon département, les Ehpad sont aussi confinés. Je sais que quelques personnes âgées ont le Covid-19 et qu’ils n’ont pas assez de masques pour l’ensemble des soignants » selon le sénateur LR Alain Milon, président de la commission des affaires sociales de la Haute assemblée.

« Une fois que ce sera terminé, il faudra peut-être regarder pourquoi il a été décidé à une époque de ne plus faire des stocks de masques. C’est un vrai problème » souligne Alain Milon, qui pointe « les recommandations faites par les agences en 2013 » (lire notre article sur le sujet : « Pénurie de masques : une responsabilité partagée par les gouvernements successifs »). Pour l’heure, « il faut protéger les personnes âgées, sachant qu’il faut les nourrir, donc ce n’est pas évident ». Le sénateur fait malgré tout confiance au gouvernement « pour faire le nécessaire pour les maques ».

« Il faut 25% de personnel supplémentaire dans les Ehpad »

La sénatrice PS Michelle Meunier se dit aussi « très préoccupée, car la situation est déjà sous tension. On estime qu’il faut 25% de personnel supplémentaire dans les Ehpad. Donc là, on fait avec une pénurie et une fatigue des personnels qui est présente depuis plusieurs mois. Avec l’épidémie de Covid-19, ça exacerbe les manques des Ehpad ».

La sénatrice de Loire-Atlantique se sent d’autant plus sensibilisée qu’elle est elle-même personnellement concernée. « J’ai mes parents en Ehpad. J’avais la psychologue en ligne tout à l’heure qui essaie de faire des visioconférences pour les personnes résidentes avec leurs enfants. Avec moi en l’occurrence. Cela permet d’avoir encore un peu de liens avec l’extérieur » témoigne Michelle Meunier, qui « salue le grand professionnalisme des personnels et surtout leur attention aux résidents ».

« Le problème des Ehpad, c’est la dépendance, donc ça s’aggrave »

Pour éviter ce confinement limité à la chambre, il faudrait, là encore, « plus de moyens, plus de personnes. Ils pourraient alors sortir les personnes dans le jardin ou le couloir. Mais ce n’est pas le cas » constate la sénatrice socialiste.

« Le problème des Ehpad, c’est la dépendance » rappelle Daniel Chasseing, « donc ça s’aggrave dans la situation. Là, à chaque fois que des gens ont une infection, une bronchite, maintenant, on isole. Donc ça demande un surcroît de travail » souligne le sénateur de Corrèze, qui rappelle les actes souvent indispensables à mener : « Vous êtes obligés de faire des changes plusieurs fois par jour, leur faire à manger, les lever, les amener au fauteuil, etc. Ça demande des soins. Il faut des aides-soignantes et des infirmières en plus. C’est un problème de niveau de soin de la dépendance ».

« On vit les conséquences d’une politique de restructuration budgétaire menée sur la santé depuis des années »

Dans le projet de loi d’urgence de lutte contre le coronavirus, le gouvernement a bien prévu 2 milliards d’euros de plus pour la santé. « Ces 2 milliards annoncés par le gouvernement, qui sont en fait une augmentation de l’Ondam (objectif national des dépenses d'assurance maladie), sont largement insuffisants » dénonce la sénatrice PCF Laurence Cohen, elle aussi « inquiète ». La sénatrice du Val-de-Marne pointe le manque de tests en France, qui pourrait simplifier la situation. « Une collègue me disait qu’elle ne peut pas prendre en charge son beau-père, qui est dans un Ehpad où plusieurs cas de coronavirus ont été détectés, car il n’est pas testé et elle non plus » raconte Laurence Cohen.

Elle doute des capacités du gouvernement à apporter les masques nécessaires. « A l’hôpital Paul-Brousse de Villejuif, le personnel soignant me dit qu’ils n’ont pas de maques. Si dans un hôpital de l’AP-HP ils n’ont pas de masques, je ne vois pas comment les Ehpad du Val-de-Marne en auront ». Selon Laurence Cohen, on paie aujourd’hui avec cette crise les choix passés : « On vit les conséquences d’une politique de restructuration budgétaire menée sur la santé depuis des années, et un entêtement des gouvernements successifs, qu’on a pourtant alertés ».

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