Covid-19 : des mesures moins acceptées, sur fond de « détresse » psychologique et de « besoin de fête »

Covid-19 : des mesures moins acceptées, sur fond de « détresse » psychologique et de « besoin de fête »

Le carnaval de Marseille est venu rappeler au gouvernement combien il marche sur des œufs, alors que l’acceptabilité des mesures de lutte contre le covid-19 est « compliquée ». « Quand la règle n’est pas claire, vous n’adhérez pas à la règle », pointe le socialiste Bernard Jomier. Après une réunion sur la santé mentale des Français ce lundi, Matignon annonce vouloir « apporter une réponse supplémentaire » sur ce plan, présentée bientôt.
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« (You Gotta) Fight for Your Right (To Party !) » chantaient en 1987 les Beastie Boys, célèbre groupe de hip hop américain. Traduction : « Tu dois te battre pour ton droit de faire la fête ! » Le message semble avoir été en quelque sorte repris à Marseille, où un carnaval non autorisé, sous forme de pied de nez face aux contraintes sanitaires et au virus, a rassemblé 6.500 personnes, souvent sans masque. Un besoin de fête et de lien social. Mais aussi une forme de manifestation qui ne dit pas son nom. Ou encore près d’un millier de personnes qui défilent aussi sans masque, à Annecy, « pour la liberté ». Ces événements du week-end sont finalement l’expression de l’un des enjeux essentiels dans la lutte contre le covid-19, et l’une des craintes de l’exécutif : la question de l’acceptabilité des mesures sanitaires, et le risque que la population, après un an de crise, ne suive plus les recommandations.

« L’acceptabilité est très dure » met en garde Hervé Marseille

Le gouvernement en est bien conscient. En consultant les présidents de groupes politiques la semaine dernière, le premier ministre Jean Castex les a interrogés sur ce thème. « Tout le monde a répondu à Jean Castex que l’acceptabilité était compliquée. On le voit tous les jours. Il y a une contestation de la part des plus jeunes, mais pas que », raconte Hervé Marseille, président du groupe Union centriste au Sénat. « C’est sûr que l’acceptabilité est très dure. C’est pourquoi le gouvernement n’emploie par le terme de troisième confinement et laisse les gens sortir, à tort ou à raison », continue le centriste. « J’observe que des mesures comme celles-ci sont très compliquées à faire comprendre aux gens. C’est un confinement déconfiné. C’est très confus », note le sénateur LR René-Paul Savary.

« C’est essentiel que la population suive, mais il faut qu’elle sache ce qu’elle doit suivre… » ajoute le socialiste Bernard Jomier, président de la mission d’information du Sénat sur les effets des mesures sanitaires. Selon ce médecin généraliste, si on sent du flottement chez les gens, l’exécutif ne peut s’en prendre qu’à lui-même. « La confiance va être difficile à obtenir, déjà quand vous avez expliqué en janvier/février, qu’après tout, il n’est pas nécessaire de confiner, qu’on fait fuiter que le Conseil scientifique exagère. Il y a tout un discours qui a été mis en place. Après, rattraper toute cette démobilisation est très compliqué », estime le sénateur PS de Paris. « Ensuite, les gens ne comprennent rien aux mesures annoncées jeudi. Et l’agitation qui suit montre que c’est du bricolage. Quand la règle n’est pas claire, vous n’adhérez pas à la règle », continue Bernard Jomier, qui pointe aussi « le changement de valeur. Après tout, il y a 10.000 personnes de plus qui sont mortes, et on n’en parle pas. Alors un troisième confinement est-il bien utile ? Le doute est instillé ».

« A tous les niveaux, on a le sentiment que ce n’est pas net, pas cadré, pas certain » pointe Roger Karoutchi

Pour Roger Karoutchi, vice-président LR du Sénat, c’est entendu : « C’est toujours la même chose. Quand les gens, l’opinion, ont le sentiment que ses dirigeants savent exactement où ils vont, avec une politique et des objectifs clairs et précis, et qui donnent des résultats, ils acceptent le cadre et les contraintes », commence l’élu des Hauts-de-Seine, « en revanche – et c’est le cas depuis quelques mois et encore plus ces derniers jours – quand ils ont le sentiment que tout ça reste erratique, qu’il y a du non-dit et que ça manque de crédibilité, l’acception sociale devient de plus en plus difficile ».

« A tous les niveaux, on a le sentiment que ce n’est pas net, pas cadré, pas certain. Alors comment voulez-vous derrière dire aux gens de respecter les règles ? Mais quelles règles ? » demande encore Roger Karoutchi, qui ajoute :

Il y a un an on disait restez chez vous, pour sauver les autres. Maintenant, on dit sortez de chez vous pour sauver les autres.

« La demande de reprise d’activités culturelles est générale. On l’entend de la population et des élus »

La pertinence des choix de l’exécutif est questionnée. « Il y a beaucoup de catégories socioprofessionnelles qui ont du mal à comprendre. Des gens disent pourquoi les transports sont ouverts, mais pas les salles de spectacle ? » remarque Hervé Marseille. Alors que des dizaines de théâtres sont toujours occupées, la question des lieux de culture est plus que jamais posée. Le carnaval de Marseille montre aussi cette nécessité de partager. « La demande de reprise d’activités culturelles est générale. On l’entend de la population et des élus », note Bernard Jomier, qui pense que « les conditions sont connues pour qu’on puisse reprendre un certain nombre d’activités. Il n’y a pas de raison de différer », estime le président de la mission d’information, qui auditionne demain matin les structures culturelles des pays étrangers qui ont ouvert.

« Sur les lieux de culture, on va d’ici quelques jours – vers mi-avril je pense – faire un point presse avec la mission pour essayer de fixer un cadre, pour que les gens puissent respirer », nous informe Roger Karoutchi, corapporteur de la mission d’information. L’audition du professeur Antoine Flahault a déjà donné de sérieuses pistes en la matière. Les directeurs de festivals ont aussi pu exprimer aux sénateurs leur souhait d’un protocole permettant la reprise.

« Face au constat de dégradation de la santé mentale des Français, le gouvernement souhaite apporter une réponse supplémentaire » explique Matignon

La capacité de la population à accepter des mesures contraignantes dépend aussi de son état psychologique et de son moral. Pas de chance, il est en berne. L’exécutif le sait bien. C’est pourquoi Matignon a organisé une réunion ce lundi sur la santé mentale.

Outre les mesures déjà prises, notamment pour les étudiants, l’exécutif prépare de nouvelles actions. « Face au constat de dégradation de la santé mentale des Français, le gouvernement souhaite apporter une réponse supplémentaire, contextualisée à la crise. Le premier ministre a donc demandé aux ministères concernés de travailler à des actions rapidement applicables. Elles viseront notamment à soutenir l’offre d’écoute et de soins sur le territoire et seront présentées très prochainement » nous affirme ce lundi soir Matignon.

« Il y a un sentiment, à la fois individuel et collectif, du trop-plein »

Vu par le prisme d’un psychologue, le carnaval sauvage de Marseille, comme la rave party du 31 décembre en Bretagne, s’expliquent aisément. « Il y a un sentiment, à la fois individuel et collectif, du trop-plein », explique Annie Combet, ancienne secrétaire générale du syndicat national des psychologues (SNP). « A Marseille, c’était des jeunes, mais pas seulement. Les gens ont besoin de lien social et de fête. Mais ils ne peuvent pas le faire. Ça devient très difficile pour certains » car « tout le monde n’a pas les mêmes ressources pour pallier le manque de lien social », continue-t-elle.

« On voit l’explosion des personnes qui sont très fragilisées. Il y a une recrudescence des fragilités de santé mentale », alerte Annie Combet. Elle ajoute :

On voit les limites. Le télétravail est recommandé par exemple, mais les personnes ont besoin de rencontrer leurs collègues. Il y a une grande détresse dans toute la population.

C’est aussi en voulant prendre en compte ce « trop-plein », et laisser de la liberté, que les mesures de l’exécutif paraissent finalement floues. Mais à Matignon, on revendique un équilibre par la prise de mesures contraignantes, « tout en ménageant autant que possible le bien être des Français. La capacité donnée à la population de profiter du grand air malgré les mesures renforcées dans 16 départements, tout comme le retour en présentiel des étudiants […] s’inscrivent clairement en ce sens ».

Depuis octobre, « baisse de 6 points » de l’acceptation des mesures sanitaires

Dans ce contexte où l’exécutif marche sur des braises, les mouvements de refus des mesures peuvent-ils aller plus loin ? « C’est une possibilité. C’est surveillé comme le lait sur le feu par les services de l’Etat », souligne Hervé Marseille, « mais on n’en est pas là. Une grande partie de la population, même si elle râle, suit les instructions ». A écouter Jean-Daniel Levy, directeur délégué d’Harris Interactive, c’est bien le cas. « Selon l’étude qu’on a réalisée pour LCI en fin de semaine dernière, le degré d’acceptabilité est relativement élevé, à 70 %. Mais malgré tout, il y a une baisse de 6 points par rapport à l’enquête réalisée à l’aune du second confinement, en octobre », précise le sondeur.

« Pour l’instant, la confiance dans l’exécutif est essentiellement liée au fait de savoir s’il maîtrise ou pas. S’il y a la perception d’un Président qui hésite, ça pose un souci. Jeudi soir, le sentiment de maîtrise était encore là. Mais après le bazar sur l’attestation, le confinement ou pas, ça joue forcément », continue Jean-Daniel Levy. L’opinion pourrait-elle basculer ? « Il suffit de pas grand-chose pour qu’on puisse avoir une grille de lecture qui amène à penser qu’il n’y a pas de maîtrise », pense le responsable de Harris Interactive, « c’est le point central. Si on se retrouve face à des Français qui refusent d’appliquer la règle, on va se retrouver avec un niveau de tension dans le pays inégalé ». Mais pour l’heure, malgré tout, « sur un an, la confiance augmente de 10 points pour Emmanuel Macron. Après, ça ne se traduit pas automatiquement en termes de vote pour Macron à la présidentielle ». Une confiance en forme de trompe-l’œil, liée à l’effet chef de guerre. Mais une fois la crise terminée, attention au risque de trou d’air.

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