En Afghanistan, les femmes attendent de savoir si elles vont être évacuées

En Afghanistan, les femmes attendent de savoir si elles vont être évacuées

Le traitement des femmes par les talibans sera une "ligne rouge", a prévenu mardi la Haute-Commissaire de l'ONU aux droits de l'homme, lors d'une réunion spéciale du Conseil des droits de l'homme sur l'Afghanistan.En attendant, les Afghanes, qu'elles soient chercheuses, travailleuses ou étudiantes, s'inquiètent de savoir si elles vont vivre ou mourir. A Public Sénat, elles racontent leurs angoisses depuis la prise de Kaboul par les Talibans.
Public Sénat

Par Elodie Hervé

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Dans les rues, le silence s’est fait, raconte Ariana*, 28 ans. Les femmes ont déserté Kaboul et vivent recluses chez elles. « Tout est calme, les rues sont vides comme si on venait de vivre une attaque de zombies dans un mauvais film américain, raconte Ariana*. Mais après, tu vois les talibans et leurs armes et tout devient très inconfortable et inquiétant. »

Enfermée chez elle avec sa famille, elle craint pour sa vie et pour la suite. Femme active, elle sait qu’elle ne pourra pas continuer à vivre et à travailler en Afghanistan. Cette vie-là est terminée. Mise entre parenthèses, espère-t-elle. Le temps que les talibans soient chassés.

Vivre sous le joug des talibans

Quand ils sont entrés à Kaboul, une alarme a retenti dans son bureau. « Quelqu’un est venu nous dire de rentrer au plus vite chez nous et ne plus sortir. Certaines personnes se sont précipitées vers l’aéroport, moi je suis rentrée pour voir si ma famille allait bien. » Depuis la précipitation et le chaos ont laissé place au silence et à l’attente. Cette attente la grignote peu à peu. Assignée à domicile, elle n’arrive pas à se faire à l’idée de vivre sous le joug des talibans.

Myriam* aussi est coincée chez elle dans l'attente d'une solution. « Je ne peux pas sortir, je ne peux pas travailler et c'est un vrai problème parce que je suis le soutien financier de ma famille.» Ce qui l'inquiète aujourd'hui c'est que les talibans découvrent son compte bancaire. « L'argent pourrait disparaître mais surtout ils vont me demander d'où il vient et quand ils font découvrir que je travaille, qu'est-ce que je vais devenir ?» 

La situation de «toutes les femmes afghanes»

D'une voix paniquée, elle décrit sa sensation d'être piégée, sans passeport ni solution, elle appelle à l'aide. «Cette situation n'est pas uniquement la mienne, mais celles de toutes les femmes Afghannes. Ne nous laissez pas mourir ici ! », lance-t-elle sans savoir si ses mots trouveront un écho.

A leurs cris, s’ajoutent ceux de nombreuses femmes qui s’emparent de Twitter pour raconter cette attente insoutenable pour savoir si elles vont vivre ou mourir.


« Elles risquent la mort ou pire »

« Les Occidentaux nous ont offert un rêve qui aujourd’hui s’est envolé », ajoute Kan*, 28 ans. Sa famille est coincée dans le sud du pays, loin de l’aéroport et de toute possibilité de fuite. Son frère a pris la route pour l’Iran. Mais pour sa mère et sa grand-mère, l’attente s’est imposée. « Elles doivent suivre les règles des talibans et rester cloîtrées. Être dans la rue est très risqué pour elles. A chaque instant, elles risquent la mort ou pire. »

Les Afghanes redoutent l’application des lois des talibans. A la tête du pays entre 1996 et 2001, ils empêchaient les femmes d’aller à l’université, à l’école, de travailler ou encore de se balader librement dans les rues, sans être accompagnées. A ces interdictions s’ajoutaient les actes de torture, les exécutions sommaires et une application de la charia.

Ariana* est amère. « J’ai peur. On se sent toutes et tous très seuls ici, abandonnés par celles et ceux qui nous avaient fait croire à ce rêve. Vivre ici avec les talibans, n’est pas envisageable. Ils n’ont pas changé. Ils ne changeront pas. On va se retrouver de nouveau enfermées dans nos maisons. » Étudiante chercheuse à Kaboul, Ariana* aimerait, elle aussi, quitter Kaboul. « Mais même si j’arrive à rejoindre l’aéroport, ce qui n’est pas envisageable avec les différents checkpoints, je ne pourrai pas partir, je n’ai ni visa ni passeport. »

Si la France a commencé à évacuer une partie de ses ressortissants et des personnes qui ont travaillé avec elle, pour les Afghanes et les Afghans restant, les frontières ne sont pas ouvertes.

Nassim Majidi travaille depuis quatorze ans en Afghanistan. « Déjà cet été, les talibans venaient la nuit pour montrer leur présence à Kaboul. Ils faisaient tomber les pylônes électriques pour couper l’électricité et l’eau, et imposer une pression psychologique sur la population. On est passés d’une heure d’électricité par jour en juin à Kaboul, à 16 heures aujourd’hui. C’est une façon pour les talibans de montrer leur emprise sur la population. »

Aujourd’hui, depuis la France, elle tente de trouver des solutions pour faire venir ses étudiantes en France. Sauf que sans passeports ni visa, beaucoup n’ont aucune solution pour s’en aller.

Passeports et visas

« Depuis plusieurs mois, le service des passeports est surchargé ou fermé en raison de la pandémie, raconte la chercheuse Nassim Majidi. Beaucoup de jeunes chercheurs que j’encadre n’ont pas de passeport et encore moins de visa. Ils sont coincés ici. À ce jour, l’ambassade de France exfiltre ceux qu’elle peut mais il faut aussi inclure les familles. Certaines femmes et enfants restent en situation d’attente, d’incertitude, en Afghanistan parce qu’elles n’ont pas de passeports. Il est très important de ne pas diviser les familles. Que vont devenir ces femmes et ces enfants seuls à Kaboul ? Je suis très inquiète. »

Nassim Majidi plaide pour que les évacuations s’accélèrent sur place et que les services de l’ambassade soient renforcés. « Il y a deux listes aujourd’hui. L’une faite par les talibans avec les cibles, l’autre fournit aux pouvoirs publics pour les évacuations. On a besoin d’aide pour sauver un maximum de vies ! »

« Tous les efforts sont faits »

De son côté, le sénateur LR, Christian Cambon assure que les interprètes afghans évacués le sont avec leur famille. « Tous les efforts sont faits pour qu’ils soient rapatriés avec leur famille. Et cela, même sans visa ni passeport. Des identifications plus poussées sont ensuite faites à Abu Dhabi. »

Victoria Fontan, elle, attend aussi d’être rapatriée vers la France. Cette chercheuse est coincée à plus de dix kilomètres de l’aéroport, avec quatre de ses étudiantes. « Plusieurs n’ont pas de visa ou de passeports et nous ne savons pas si elles vont pouvoir être évacuées. Sauf que si elles restent là, on ne sait pas si on arrivera à avoir de leurs nouvelles dans les prochains jours. » Elle alerte sur le double discours des talibans. Celui pour la façade, et les faits.

« Aujourd’hui, nous sommes plusieurs centaines d’Occidentaux coincés. Je suis assignée à résidence par les talibans. Ils m’empêchent de rejoindre l’aéroport. Ils nous menacent clairement. Pour l’instant ça va, mais je ne sais pas si ni quand ils vont venir nous chercher. » Une source diplomatique souligne que la situation est incertaine sur place et que, pour l’heure, les évacuations sont très compliquées. « On ne sait pas ce qu’attendent les talibans mais pour l’heure, nous ne pouvons rejoindre l’aéroport. Nous sommes coincés et l’on attend. Pour combien temps je ne sais pas. Mais là, on a besoin d’aide et vite. »

Contacté, le ministère des Armée, en charge de l’évacuation n’a pas donné suite à nos demandes d’interview.

* Pour des raisons de sécurité, les prénoms ont été changés

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