Europe Hebdo : comment le Portugal est sorti de la crise sans appliquer l’austérité

Europe Hebdo : comment le Portugal est sorti de la crise sans appliquer l’austérité

Au Portugal, le gouvernement a fait le choix d'une politique économique hétérodoxe : un vaste plan de relance, loin de l'austérité imposée par Bruxelles. Le chômage a diminué et le taux de croissance monte en flèche, mais ces indicateurs ne cachent-ils pas une réalité plus contrastée ? Europe Hebdo a posé la question à plusieurs eurodéputés.
Public Sénat

Par Juliette Beck

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Le tournant économique s’est produit en 2015 pour le Portugal, après une période d'austérité, la nouvelle majorité portugaise de gauche a décidé d'opter pour une politique de relance à contre-courant des conseils émanant de Bruxelles. Ana Gomes, députée européenne du Portugal (groupe des Socialistes et Démocrates) souligne l’importance d’être sorti de l’austérité : «  Le secret c’est de se libérer de cette recette qui était complètement erronée, de l’autorité et je ne dis pas la rigueur fiscale. La différence qui a été faite avec ce gouvernement socialiste, [...] c’était cet engagement de retourner des revenus aux familles, de pousser à la consommation intérieure donc aussi d’aider les exportations à se développer et en même temps avec la rigueur de la gestion des comptes publics qui nous a permis une trajectoire d’équilibre fiscal de manière beaucoup plus claire que jamais ».

Pour l'eurodéputée portugaise Ana Gomes : « Le secret c’est de se libérer de cette recette qui était complètement erronée » #EUHE
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Un pari gagnant                                                                   

Les socialistes ont misé sur une politique permettant de relancer les investissements intérieurs, ils ont réussi à relever le salaire minimum, à élargir les minima sociaux et à alléger la note des impôts pour les classes moyennes, le pari semble donc réussi. En 2017, la croissance est largement à la hausse, elle culmine à près de 2.3 % et le taux de chômage est passé de 17 % en 2013 à 8 % aujourd’hui. Philippe Lamberts, député européen belge, ne voit pas ici un miracle, mais du bon sens : « Bien sûr, il n’y a pas de miracle, c’est clair que les finances publiques du Portugal auraient besoin d’être restaurées, je pense en effet que les recettes qui ont été adoptées au Portugal sont plus conformes à la science économique, autrement dit, on voudrait nous faire croire que les politiques visant à comprimer sans fin les dépensent publics pour permettre aux détenteurs de capitaux de s’enrichir, sous prétexte que les détenteurs de capitaux sont ceux qui font fonctionner l’économie. Mais enfaîte, ces recettes la ne sont pas fondées dans la réalité, elles sont fondées sur une fausse science, la théorie économique néoclassique qui n’a aucun fondement réel et je pense qu’il est bien que le gouvernement portugais sent soit éloigné ».

Zones d’ombre

Les voyants sont au vert pour le Portugal : croissance, investissement, chômage, déficit. Mais même si au premier abord les résultats économiques du pays semblent exceptionnels, ce n’est qu’une amélioration relative de la situation. Toujours tributaire d’une dette publique à près de 127 % du PIB, la fragilité bancaire malgré les efforts reste toujours existante. Ce retour à une certaine prospérité économique repose pour la majeure partie sur les exportations, soit 40% du PIB. L’avenir de la croissance s’appuie sur les fluctuations de la demande des pays qui commercent avec le Portugal. Le risque est présent puisque si l’euro continue de s’apprécier par rapport aux autres monnaies, les exportations portugaises vers les pays hors zone euro risquent d’en pâtir fortement.

Pour l'eurodéputée allemande Godelieve Quisthoudt-Rowohl : « la première chose à faire, c’est vraiment d’essayer d’avoir autant un chômage qui est aussi bas que possible ».
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Le deuxième moteur de cette croissance est le secteur du tourisme pesant à hauteur de 20 % dans ce regain de croissance, et représentant 8.2 % de la population active. Or, la grande majorité des emplois liés au tourisme sont précaires, avec l’utilisation excessive de contrat court, près de 22 % de CDD au Portugal, mais aussi des emplois sans qualification. La baisse du chômage cache un tout autre problème, les jeunes diplômés portugais, peine à trouver un emploi une fois sortis des bancs de l’école et se retrouve dans certains cas obligés à l’exode pour s'en sortir financièrement. Mais pour Godelieve Quisthoudt-Rowohl, députée européenne, allemande, les emplois précaires ne sont pas une solution a long terme mais constitue une solution dans l'urgence : « Je crois que la première chose à faire, c’est vraiment d’essayer d’avoir autant un chômage qui est aussi bas que possible même si les contrats ne sont pas toujours magnifiques, je crois qu’il vaut mieux travailler, si on n’est pas capable de vivre de son travail, on peut ajouter de l’aide de l’État, mais d’abord, il faut intégrer autant que possible surtout les jeunes, dans le monde du travail et ça, d’une façon positive parce qu’on a une toute autre opinion de soi-même, si on est capable de réaliser quelque chose ».

Le privé au profit du public

La réalité est plus sombre, en misant beaucoup sur les investissements privés le Portugal ferme les yeux sur les besoins grandissant du secteur public. Les taux d’investissement de ce secteur sont historiquement bas, les universités sont en faillite et les hôpitaux oscillent entre manque de personnel et locaux délabrés. Pour l’eurodéputée portugaise Ana Gomes : « L’investissement public, c’est une question essentielle directrice et ça ne dépend pas seulement du Portugal, ça dépend beaucoup de l’Europe. Si on a une politique notamment au niveau de l’Allemagne, qui aide à la convergence au sein de la monnaie unique de l’euro en encourageant l’investissement public ».

Ce miracle portugais est peut-être un mirage, sacrifiant des investissements publics et à long terme au profit d’investissement privé pour rembourser une dette asphyxiante, le Portugal est tiraillé entre sa volonté de satisfaire les exigences de Bruxelles et le besoin de continuer de faire croître sa croissance, mais à terme l’embellie économique de ces derniers mois ne va-t-elle pas s'essoufler ?

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