Nous sommes au début des années 2000, et à l’époque l’Unesco assure, dans un rapport, que sur Internet la fréquentation d’opinions diverses va amener à une forme de tempérance dans les débats, et d’ouverture sur les autres. 20 ans après, pas sûr que les mêmes auteurs en tireraient les mêmes conclusions. Et pourtant comme le dit Gérald Bronner nous disposons « d'à peu près huit fois plus de temps de cerveau disponible qu’au début du XIXe siècle, notamment grâce à la réduction du temps de travail et à l’allongement de l’espérance de vie. » une disponibilité mentale accaparée par les écrans et la recherche du conflit. Pour le sociologue, ce « qui attire le plus notre attention sur le marché des idées, c’est la conflictualité. Sur Weibo qui est un réseau social chinois ou sur Facebook, des études montrent que les posts les plus repartagés sont ceux qui suscitent l’émoticône colère. La haine, le ressentiment, la colère sont plus facilement virales. »
L’enfermement dans des bulles d’écho
Une séduction du conflit doublé d’un enfermement. Pour Gérald Bronner « ce que l’on observe c’est une fréquentation du même, des éléments qui nous ressemblent, qui vont dans le sens de nos croyances, de notre culture. Et qui nous situent dans une forme de confort intellectuel. C’est compréhensible, tout le monde fait ça, c’est ce qu’on appelle des chambres d’écho. Dans ces dernières on entend sans cesse les mêmes arguments et la fréquentation de ces arguments tend à nous polariser, à nous radicaliser. Et hélas aussi à endosser un certain nombre de stéréotypes. » Le sociologue livre aussi sa définition d’un stéréotype.
C’est le fait d’« assigner à un individu des caractéristiques générales du groupe auquel il appartient ou auquel on pense qu’il appartient. ». Or, selon Gérald Bronner si « nous sommes tous porteurs de stéréotypes et nous en avons besoin pour déduire des choses qui sont devant nous. Ça dérape à partir du moment où les stéréotypes caractérisent des groupes ethniques ou sexistes ; et quand on prête à ces catégories des caractéristiques plutôt négatives. »
Des stéréotypes omniprésents
Un sentiment partagé par l’humoriste Sophia Aram dans son ouvrage intitulé « La question qui tue » . Elle y dénonce ces remarques qui sous de faux airs amicaux charrient de nombreux préjugés, qui « vous assignent à une identité, à un genre, à une appartenance que vous ne revendiquez pas nécessairement. Le regarde des autres peut vous coller une étiquette que vous ne revendiquez pas »
Des stéréotypes qu’elle subit plus sur les réseaux sociaux qu’au quotidien.
« Internet était une utopie qui considérait que la diversité intellectuelle, d’idées, de points de vue provoquerait une forme de sagesse collective ».
Des « micro-agressions » particulièrement abondantes sur les réseaux sociaux. C’est ce que remarque l’auteur d’« Apocalypse cognitive ». Pour lui, « à ses débuts, Internet était une utopie qui considérait que la diversité intellectuelle, d’idées, de points de vue provoquerait une forme de sagesse collective, une meilleure connaissance des différences et donc un recul des stéréotypes. On constate aujourd’hui que ce n’est pas du tout ce qui s’est produit ».
« Une des choses qui attire le plus notre attention sur le marché des idées, c’est la conflictualité. »
Ces phénomènes remettent donc en question le grand espoir libéral concernant les vertus du marché. En effet comme le rappelle Gérald Bronner, certains, dont le fameux sociologue français Raymond Boudon, prophétisaient que la mise en concurrence généralisée des idées sur un grand marché ferait s’imposer les meilleures idées. Or il semble que cela ne soit pas vraiment ce qui se produit.
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Apocalypse Cognitive, Gérald Bronner, PUF, 2020
La question qui tue, Sophia Aram, Ed. Denoël, 2020