Laila Agorram, la réalisatrice de Grèce, le prix d'un enfant
Au moment où en France, le comité national d’éthique s’est prononcé pour l’extension de la PMA pour les couples de femmes mais reste opposé à la GPA , la Grèce reste l’une des destinations les plus prisées pour les couples décidés à y recourir. Légalisée depuis 2002, la pratique s’est fortement développée suite à la crise économique dans laquelle le pays est embourbé depuis 9ans, convainquant de plus en plus de femmes d’être mères porteuses. Un commerce devenu lucratif, voir mafieux, pour la journaliste Laila Agorram qui a enquêté sur le sujet.
L’activité touristique tient une part très importante en Grèce, est-ce qu’après le tourisme balnéaire et le tourisme culturel on assiste à une nouvelle forme de tourisme, le tourisme procréatif ?
Je dirais même plus largement un tourisme médical. En plus du prix défiant toute concurrence, Athènes est une destination facile d’accès pour les Européens comparée aux États Unis ou à la Russie. Souvent les couples en profitent pour faire du tourisme, c’était le cas du couple chinois présenté dans le reportage et qui en a profité pour aller dans les îles. C’est aussi un aspect qui est vanté par les médecins, il faut être détendu et en bonne condition psychologique.
Est-ce que ça a été facile de rentrer en contact avec ces couples ?
Non, même le couple chinois ça a été très très très compliqué ! C’est quelque chose que les étrangers n’assument pas, tout simplement. Il y a également une difficulté juridique pour faire reconnaître l’enfant dans le pays d’origine où la GPA est interdite, notamment en France. Au départ, nous étions en effet partis sur un couple français, mais celui-ci était très très hésitant, c’était en plein pendant le débat sur la GPA et ils ont finalement préféré faire profil bas. Pour le couple chinois, cela a été possible grâce au gynécologue, mais il ne voulait pas que nous les filmions de trop près pour ne pas être reconnu et que cela se sache dans leur pays. En Chine pourtant, la GPA est autorisée, mais on ne l’assume pas, cela reste quelque chose de très tabou.
Les couples étrangers repartent avec une "photo souvenir" en attendant l'accouchement de la mère porteuse
Officiellement, la GPA en Grèce ne doit donner lieu à aucune contrepartie financière, qu’en est-il ?
Je n’ai encore jamais croisé de gens qui seraient capables de donner du temps, de l’énergie, du sang, de la santé contre « rien ». La loi tolère une indemnité pour la personne qui arrête de travailler et qui met sa vie entre parenthèses, mais où est la frontière entre l’indemnité et la rémunération ? L’objectif pour les médecins c’est de vendre la destination mais ne surtout pas dire qu’il y a des transactions financières, ce serait désastreux pour leur image. Dans le reportage, Maria (NDLR : l’une des mères porteuses suivies, enceinte de jumeaux) refusait de nous dire qu’elle était rémunérée. Son fils nous a pourtant confié que c’était la deuxième fois que sa mère le faisait, que ça leur permettrait d’assurer un peu leurs arrières et d’acheter un appartement à Athènes. Faire mère porteuse c’est s’assurer une sécurité là où le travail manque, où le salaire moyen est en chute libre, où la prostitution explose, où il n’y a pas beaucoup de solutions pour s’en sortir.
A Athènes, la clinique Génésis du docteur Pantos est l'une des plus réputées dans le domaine de la médecine procréative
Qui sont ces femmes qui acceptent de « prêter » leur ventre ?
Ce sont des femmes pauvres venues des pays de l’Est, de Bulgarie, de Moldavie, parfois des mères seules qui essayent de s’en sortir tant bien que mal. Au départ elles venaient en Grèce, à Athènes, pour occuper des postes d’aides à domicile pour les personnes âgées, d’aides ménagères, de nounous. Avec la crise, la moyenne bourgeoisie grecque a arrêté d’employer ces femmes et beaucoup se retrouvent sans le sou. Cette pratique se présente alors comme la seule solution. D’abord elles commencent par donner leurs ovocytes et quand ça ne suffit plus ou qu’elles sont trop âgées, ils leur restent la location de leur utérus. Elles sont réformées et recrutées comme ça par les médecins. Auparavant il n’y avait pas, ou peu de grecques qui acceptaient d’être mère porteuse car le poids de la religion et de la famille est encore très lourd mais avec la crise, de plus en plus de femmes acceptent.
Maria, porterait des jumeaux pour le couple qui l'embauchait auparavant comme femme de ménage
Toutes les femmes sont-elles consentantes ?
C’est une bonne question. J’ai rencontré une gamine de 18 ans qui était sous la coupe d’une maquerelle, surnommée « la sorcière ». Cette dame, plus âgée, était d’accord au départ pour que nous rencontrions la fille dans le cabinet d’un des gynécologues mais elle la tenait par le bras, elle ne voulait pas qu’elle s’exprime. Nous avions le droit de la regarder mais pas de lui parler et nous avions interdiction de la filmer. Clairement, elle n’avait pas l’âge de faire ça. Nous avons réussi à négocier une discussion avec elle, sans caméra et non enregistrée, elle nous a alors expliqué qu’ici elle n’avait pas le droit de sortir, qu’elle avait promis de faire ça et de repartir tout de suite chez elle avec l’argent. C’était très perturbant, tout le monde semblait se servir sur le dos de cette gamine.
Comment réagit l’Etat face à ce commerce lucratif ?
Nous sommes sûres qu’une partie de l’Etat grec est complice dans ce business. La « fixeuse » (NDLR : personne qui aide les journalistes à travailler dans un pays étranger) avec laquelle j’ai travaillé était vraiment très tendue pendant le tournage, elle avait reconnu des politiques de droite et d’extrême droite sur des photos prises avec le docteur Pantos (NDLR : le directeur de la très réputée clinique Génésis, il dispose de liens étroits avec le monde du show-biz, des médias et même de l’Eglise orthodoxe). Elle n’est pas uniquement fixeuse, elle est aussi enseignante et avait peur de perdre son travail, de subir des pressions, d’avoir des ennuis, même physiquement, si elle portait préjudice à une forme de commerce qui, comme toute activité mafieuse, est très lucrative. Son compagnon est assistant parlementaire et m’a par ailleurs confiée que certains membres de l’Assemblée étaient compromis et touchaient des pots-de-vin de ces médecins. Ces derniers ont en effet beaucoup de pouvoir :
Dans un pays en crise où il manque de l’argent, la médecine esthétique et procréative sont les seuls secteurs qui assurent une croissance : « On ne va donc pas commencer à leur chercher des poux dans la tête ».
Le docteur Pantos est surnommé "l'Elvis de la fertilité"
