Immigration : « Le gouvernement a été en dessous de tout », fustige Jacqueline Eustache-Brinio

Immigration : « Le gouvernement a été en dessous de tout », fustige Jacqueline Eustache-Brinio

Après la réunion organisée le 9 juin à l’Elysée sur l’immigration et le renforcement annoncé des reconduites à la frontière, la droite sénatoriale fait le procès en laxisme du gouvernement. Quand la gauche critique des « effets d’annonces ».
Public Sénat

Par Jules Fresard

Temps de lecture :

8 min

Publié le

« Le taux d’acceptabilité de l’immigration dans notre pays est de plus en plus bas ». Glissée à l’AFP par un conseiller de l’exécutif, cette déclaration viendrait-elle éclairer les raisons de la réunion organisée à l’initiative d’Emmanuel Macron mercredi 9 juin à l’Elysée ? Car c’est bien l’immigration qui était au cœur des discussions, et plus précisément la volonté affichée par le Président de la République de massifier les procédures d’expulsions du territoire, à destination des personnes déboutées du droit d’asile.

Preuve de l’importance du sujet aux yeux de la Présidence, les ministres présents lors de la rencontre. Uniquement des poids lourds gouvernementaux, allant du Premier ministre Jean Castex, au ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, en passant par le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, était lui représenté par sa cheffe de cabinet. Une réunion qui arrive trop tard selon Jacqueline Eustache-Brinio, sénatrice LR du Val-d’Oise. « Sur le volet de l’immigration, ce gouvernement a été en dessous de tout. Il va être face aux électeurs dans les mois qui viennent, et son bilan en la matière a été catastrophique. Il devra rendre des comptes ».

15 % de reconduite à la frontière

Principal objet de l’inquiétude présidentielle, le trop faible taux de reconduite à la frontière. Ces démarches s’adressent aux personnes déboutées du droit d’asile, qui font bien souvent l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Alors que chaque année, 120 000 personnes font une demande d’asile dans l’Hexagone, 20 000 obtiennent le statut de réfugiés, 20 000 repartent et 80 000 se maintiennent illégalement sur le territoire.

Auditionnée par la commission sénatoriale des Affaires européennes en novembre 2020, Ylva Johansson, commissaire européenne chargée des affaires intérieures, avait indiqué que dans l’Union Européenne, « environ 30 % des personnes qui reçoivent une décision indiquant qu’ils doivent retourner dans leur pays d’origine le font, en France le taux de retour est de 13 % ou 14 %, on peut faire mieux ». L’Elysée, lui, avance le chiffre de 15.3 % d’obligations d’expulsion qui se concrétisent.

Un chiffre qui reste cependant bien loin des 100 % voulus par Emmanuel Macron au début de son mandat. Le chef de l’Etat a demandé mercredi des mesures « opérationnelles très rapidement » sur la question. Les premiers concernés ? Les étrangers présents illégalement sur le territoire national, auteurs d’actes terroristes ou fichés pour radicalisation, ainsi que ceux ayant commis des crimes ou des délits. Avec la volonté affichée de les expulser directement après leur sortie de prison. « Il y a un vrai problème de fermeté de l’Etat sur cette question des expulsions », juge Jacqueline Eustache-Brinio. Même son de cloche chez Laurent Burgoa, sénateur LR du Gard et corapporteur d’une mission d’information sur les mineurs isolés. « L’Etat n’est pas au rendez-vous » juge-t-il.

« Il faut recentrer le débat public »

A gauche, les annonces du Président laissent un sentiment différent. « Ecoutez, je ne dis pas qu’il ne faut pas raccompagner les personnes en situation irrégulière, mais il faut recentrer le débat public sur de vraies questions qui touchent le quotidien des Français. On déploie déjà énormément de moyens avec une efficacité assez faible, et pendant ce temps-là, on ne parle pas des jeunes qui font la queue dans les associations alimentaires, de la lutte contre les discriminations… On flirte avec des problèmes qu’on met en avant pour masquer d’autres réalités », analyse Sophie Taillé-Polian, sénatrice du Val-de-Marne, coordinatrice nationale du mouvement Génération.s.

« Que le Président de la République fasse cette réunion pour nous dire qu’il va augmenter le nombre d’expulsions, je me dis que c’est un effet d’annonce, à tendance électoraliste. Le sujet est beaucoup trop grave pour qu’on l’aborde uniquement de cette manière, il faut une approche plus transversale », abonde Hussein Bourgi, sénateur socialiste de l’Hérault et corapporteur avec Laurent Burgoa de la mission d’information sur les mineurs isolés.

L’attitude dénoncée de certains pays d’origine

La rencontre de mercredi s’est déroulée dans un contexte particulier. Car la crise sanitaire est venue complexifier les procédures de reconduite à la frontière. Certains pays exigent en effet qu’un test PCR soit effectué au départ sur la personne concernée par l’expulsion. Or, l’Etat français ne peut légalement forcer une personne qui refuse de pratiquer un test à s’y soumettre, ralentissant les procédures.

A l’issue de la réunion, la présidence de la République a fait savoir qu’Emmanuel Macron avait affiché sa volonté de s’engager de manière volontariste dans des négociations avec certains pays d’origine, en critiquant au passage l’attitude de l’Algérie, « avec qui les discussions sont plus difficiles ».

Une situation là aussi dénoncée par Jacqueline Eustache-Brinio. « Certains pays ne délivrent pas assez de laissez-passer consulaires et traînent des pieds sur la délivrance des registres d’états civils, nécessaires aux expulsions. Comme si cela n’existait pas dans là-bas ! Il faut un travail diplomatique courageux, et arrêter de subir » tance la sénatrice. Elle se dit d’ailleurs favorable à la mise en place de sanctions contre certains Etats, et évoque la possibilité de « remettre en cause certains visas d’entrée ».

La situation des mineurs isolés

Mais au Palais du Luxembourg, c’est le cas des mineurs isolés qui est également étudié de près. En témoigne la mission d’information portant sur les mineurs non accompagnés (MNA), composée de Laurent Burgoa, Hussein Bourgi, Xavier Iacovelli, sénateur LREM des Hauts-de-Seine, et Henri Leroy, sénateur LR des Alpes-Maritimes, qui a vu le jour en mai. Elle est chargée d’étudier la situation de ces jeunes migrants, ne pouvant être expulsés en cas de refus du droit d’asile, car n’étant pas majeur, mais dont la minorité n’est pas toujours avérée et dont la prise en charge revient aux départements, puisque responsable de la protection de l’enfance.

« C’est un sujet politique très sensible. Au Sénat, nous sommes très attentifs à qui décide et qui paie. On souhaiterait que quand nous ne sommes pas sûrs que la minorité de la personne soit avérée, ce ne soit pas aux départements de les prendre en charge », juge Laurent Burgoa.

En février dernier, à l’initiative du groupe Les Républicains, un débat avait été organisé à la Haute Assemblée sur la situation et la prise en charge de ces mineurs. « Quand j’ai été élu président du Conseil départemental du Val-d’Oise en 2011, nous dépensions un peu plus de 3 millions d’euros pour ces jeunes, aujourd’hui pour 2021 on va prévoir plus de 40 millions d’euros », rapportait à l’époque le sénateur LR Arnaud Bazin.

Hussein Bourgi dénonce « l’approche très comptable » du gouvernement sur la question, « qui la sous-traite aux départements, et qui répartit les mineurs non accompagnés entre eux selon une logique budgétaire ». « Il y a, a minima quatre ministères concernés, celui des Affaires étrangères, celui de l’Intérieur, celui des Solidarités et celui de l’Education nationale. Mais il y a un manque clair de coordination entre ces ministères », regrette le sénateur de l’Hérault.

Dans une interview accordée au Figaro le 25 mai dernier, Henri Leroy dénonçait une « hémorragie » pour évoquer la délinquance relative à ces mineurs isolés. Un tableau que tient à relativiser Hussein Bourgi. « Il y a une minorité qui pose problème, et ces fauteurs de troubles viennent accaparer l’attention médiatique. Mais il y a aujourd’hui beaucoup de jeunes qui viennent, qui sont vraiment mineurs, et qui une fois arrivés à leur majorité, risquent l’expulsion ». Une situation qu’il juge dommageable. « Je suis parrain d’un jeune guinéen, qui est arrivé en France après un parcours de vie difficile. Il a fait ses études dans un lycée, et il intègre aujourd’hui les compagnons du devoir. Ce sont ces jeunes-là qu’il faut mettre en lumière ».

Dans la même thématique

Immigration : « Le gouvernement a été en dessous de tout », fustige Jacqueline Eustache-Brinio
3min

Société

« Quand j’ai abordé les viols sur enfants, j’ai reçu beaucoup de courriers me traitant de rabat-joie », Mireille Dumas

Dans son émission « Bas les masques » ou encore « Vie privée, vie publique », Mireille Dumas a mis en lumière des parcours de vie peu écoutés, et pourtant loin d’être des cas isolés. Alors que les féminicides étaient qualifiés de « crimes passionnels », elle dénonçait déjà les violences perpétrées à l’encontre des femmes, des enfants et des minorités de genre. Quel regard porte-t-elle sur l’évolution de la société sur ces questions ? Comment explique-t-elle son intérêt pour les autres ? Cette semaine, Mireille Dumas est l’invitée de Rebecca Fitoussi dans « Un Monde un Regard ».

Le

Immigration : « Le gouvernement a été en dessous de tout », fustige Jacqueline Eustache-Brinio
6min

Société

Opérations « place nette XXL » contre la drogue : « Le but stratégique, c’est de couper les tentacules de la pieuvre », défend Darmanin

Devant la commission d’enquête du Sénat sur les narcotrafics, Gérald Darmanin a vanté le bilan des opérations antidrogues lancées ces derniers mois dans plusieurs villes de France. Le ministre de l’Intérieur assure qu’au-delà de « la guerre psychologique » menée contre les dealers, ce sont les réseaux dans leur ensemble qui sont impactés.

Le