Intelligence artificielle : « L’Europe n’a que des crapauds numériques » pour Laurent Alexandre

Intelligence artificielle : « L’Europe n’a que des crapauds numériques » pour Laurent Alexandre

Laurent Alexandre, médecin, chef d’entreprise (co-fondateur de Doctissimo, aujourd’hui à la tête de DNA Vision, une société de séquençage ADN) est un spécialiste de l’intelligence artificielle auquel il consacre son dernier livre : La guerre des intelligences (éd. Lattès). Il était l’invité de Sénat 360.
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Par Tam Tran Huy

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Comment définir l’intelligence artificielle (I. A) ? « C’est un système qui réalise mieux que l’homme des tâches intellectuelles qui étaient réservées jusqu’à maintenant aux cerveaux des humains » explique Laurent Alexandre, qui donne des exemples de cette I. A. déjà à l’œuvre : « les voitures autonomes, les applications sur les téléphones portables… Des intelligences artificielles qui ne fonctionnent pas comme l’intelligence humaine, elles n’ont pas conscience d’elles-mêmes, ne savent pas ce qu’elles font mais elles sont capables de conduire mieux que nous des voitures autonomes, de faire un diagnostic cancérologique mieux que les meilleurs cancérologues… ».

Pour expliquer la vitesse phénoménale à laquelle se développe cette technologie, Laurent Alexandre prend l’exemple du jeu de Go : « le logiciel développé par Google, Alpha Go qui avait déjà battu le champion du monde du jeu de Go, a été battu par 100 parties à 0 par la nouvelle version 4 mois plus tard. » Et d’enchaîner   « Les hommes ont mis 3000 ans pour progresser en jeu de go et la nouvelle version d’Alpha Go quelques jours. »

L’I. A : des révolutions annoncées dans le domaine de la santé et de l’éducation

Dans son livre, Laurent Alexandre donne des exemples de promesses, mais aussi de risques, qui émanent de l’Intelligence artificielle. Côté promesse (inattendue), les géants du numérique sont déjà aujourd’hui des acteurs essentiels de la santé : des programmes de Microsoft visent à éradiquer le cancer, Facebook travaille à la disparition de toutes les maladies humaines horizon 2100… Côté risque, dans le même domaine, une équipe de chercheurs canadiens a fabriqué une souche éteinte du virus de la variole avec 100 000 dollars, presque rien… Laurent Alexandre, de façon assez provocatrice, juge dans son livre que les médecins seront à l’avenir les « infirmières de l’Intelligence artificielle », de simples auxiliaires…

Et pour que les hommes ne soient pas simplement assujettis à cette nouvelle forme d’intelligence, le médecin plaide pour une grande réforme de l’école. « L’école d’aujourd’hui n’a pas réalisé que l’I. A. arrive et l’école de 2017 est en train de former nos enfants à des métiers où ils seront laminés, écrabouillés par l’I.A. Il faut changer radicalement le management à l’éducation nationale, qu’elle intègre des spécialiste de l’IA pour comprendre vers où envoyer les enfants. » Grande crainte de Laurent Alexandre : qu’on arrive à un monde avec des « Dieux qui maîtrisent l’I. A » et des « inutiles, des useless » (le terme employé par Yuval Noah Harari dans son best-seller Homo Deus) qui seraient abandonnés par le système parce qu’incapables d’être compétitifs face à l’IA.

 « L’Europe n’a que des crapauds numériques face à des géants chinois et américains »

 Autre cri d’alarme, celui qu’il pousse pour dénoncer le retard européen. Pour cela, Laurent Alexandre prend l’exemple des smartphones : « L’Europe a raté le coche, elle n’a pas vu arriver l’I.A. comme elle n’a pas vu arriver les smartphones. L’Europe était leader il y a dix ans. Apple n’existait pas, Google n’avait pas créé Android, Nokia, téléphone européen avait 55% du marché mondial. Mais il y a dix ans juste sortait l’Iphone 1. Nokia est mort, 100% des téléphones portables fonctionnent soit sous Apple soit sous Google Android. L’Europe a été écrabouillée. (…) L’Europe n’a rien, elle n’a que des crapauds numériques face à des géants chinois et américains. » Dans son livre, Laurent Alexandre explique notamment ce retard par une législation trop contraignante et estime que l’Europe  doit rééquilibrer sa politique en faveur des opérateurs, et réduire les droits des consommateurs…

Atterré par le recul de l’Europe, Laurent Alexandre n’est pas plus tendre avec le pouvoir politique : « Au sommet du pouvoir, l’analphabétisme technologique est la règle » écrit-il. En Marche (il a soutenu Emmanuel Macron lors de l’élection présidentielle) trouve toutefois grâce à ses yeux : Emmanuel Macron, Olivier Véran, Jean-Michel Blanquer ou encore Mounir Mahjoubi… mais aussi Jean-François Copé et Xavier Bertrand, tous deux connaisseurs, assure-t-il.

Le revenu universel : « une monstrueuse connerie »

Face à la perspective de la disparition de certains métiers, Laurent Alexandre fustige l’idée d’un revenu universel, une proposition faite par Benoît Hamon lors de la campagne présidentielle… mais pas seulement. Les géants du numérique de la Silicon Valley, notamment Bill Gates, plaident aussi pour une solution temporaire, qui permettrait aux gens de s’adapter lorsque leur emploi est détruit.  « En tant que médecin, que spécialiste du cerveau, ce serait une monstrueuse connerie de développer le revenu universel permanent pour une raison très simple. Car le cerveau s’atrophie quand il ne travaille pas ! » s’exclame Laurent Alexandre qui s’appuie sur les effets de Waze (le GPS de Google) sur le cerveau des chauffeurs de taxi londoniens. « On a vu sur les IRM et les scanner l’effondrement de la taille de leur hippocampe, la zone chargée de la mémoire dans le cerveau. »

Un raisonnement qui n’est valable que si on part du présupposé que toute personne au revenu universel cesserait d’emblée de travailler et d’utiliser son cerveau.

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