Le secret de la confession empêche-t-il l’Église de signaler des agressions sexuelles sur mineurs ?

Le secret de la confession empêche-t-il l’Église de signaler des agressions sexuelles sur mineurs ?

Mgr Éric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France a déclenché la polémique mercredi en affirmant que « le secret de la confession » était « plus fort que les lois de la République. » Au-delà des réactions politiques, quel est l’état du droit sur le secret de la confession ?
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Par Louis Mollier-Sabet & Simon Barbarit

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« Le secret de la confession s’impose à nous et en cela, il est plus fort que les lois de la République. » Au lendemain de la remise du rapport Sauvé [voir notre article sur les réactions au Sénat], qui a décompté 330 000 victimes d’abus sexuels dans l’Église depuis les années 1950, la déclaration de Mgr Éric de Moulins Beaufort apparaît pour le moins inappropriée. Les réactions politiques ont été nombreuses, et le président de la conférence des évêques de France va être convoqué la semaine prochaine par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, pour s’expliquer. Mais au niveau juridique, quel est le statut exact du secret de la confession ? Des propos confessés ne sont-ils pas protégés au titre du secret professionnel ?

Le secret de la confession, un secret professionnel comme les autres qui ne s’applique pas aux agressions sexuelles sur mineurs

D’abord, la confession est bien protégée par le secret professionnel, qui interdit aux membres de l’Église de divulguer des propos tenus dans le confessionnal. Jean-Pierre Mignard le confirmait mercredi sur notre antenne avant les questions d’actualité au gouvernement : « Nous les avocats on a le même problème, on a un secret professionnel. » Et si ce secret professionnel devient un « problème », c’est précisément quand il se confronte au délit de non-dénonciation prévu par l’article 434-3 du code pénal. Cet article prévoit en effet une obligation de signalement pour « quiconque » – et c’est important – aurait connaissance de « privations, de mauvais traitements ou d’agressions ou atteintes sexuelles infligés à un mineur ou à une personne [vulnérable]. » Le manquement à cette obligation est puni de 3 ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende et de 5 ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende si le mineur en question a plus de 15 ans.

 

Cet article du code pénal fait bien état dans son dernier alinéa de professions protégées par le secret professionnel (l’article 226-13) comme les avocats, médecins, professionnels de santé ou de l’action sociale). Néanmoins, le secret professionnel n’est pas applicable « lorsqu’il s’agit d’atteintes ou mutilations sexuelles, dont il a eu connaissance et qui ont été infligées à un mineur ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique ». C’est la loi de 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales qui autorise la levée du secret médical, et ce même sans l’accord du mineur.

L’argument formulé par Mgr Ribadeau-Dumas, secrétaire général et porte-parole de la CEF, devant la mission d’information du Sénat sur les abus sexuels sur mineurs, comparant « le secret de la confession à un secret professionnel, « au même titre que le secret médical ou la relation entre un avocat et son client », est plus que discutable car le secret professionnel s’accompagne d’exceptions, comme on l’a vu.

L’existence d’un secret confessionnel en droit français repose sur d’anciennes décisions de la chambre criminelle de la Cour de cassation

La difficulté réside dans le fait que les religieux ne figurent pas parmi les professions concernées par le secret professionnel et donc, par les exceptions qui vont avec.

Il faut remonter à 1891 pour trouver une loi française défendant le secret de la confession, c’est-à-dire avant la loi de 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat. L’existence d’un secret confessionnel en droit français repose sur d’anciennes décisions de la chambre criminelle de la Cour de cassation, comme l’expliquait aux sénateurs en 2019, Me Antoinette Fréty, avocate de l’association « Notre parole aussi libérée » : « Le secret de la confession est un vrai sujet, car c’est l’argument constamment opposé en défense par les autorités qui étaient informées des faits », expliqua-t-elle avant de proposer une révision de la « définition et le périmètre du secret de la confession, qui ne saurait être aussi large que le secret professionnel confié par la loi aux avocats ».

Le rapport Sauvé demande également d’aligner le droit canon sur le droit commun et ainsi de lever le secret de la confession dans le cas précis de violences sexuelles sur mineurs et personnes vulnérables.

A cet égard, l’Australie a déjà limité par voie législative les effets du secret de la confession pour tous les cultes.

Convoqué par Gérald Darmanin en début de semaine prochaine, Mgr Éric de Moulins-Beaufort a précisé « qu’il ne faut pas opposer le secret de la confession aux lois de la République puisque celles-ci n’imposent pas sa levée. »

Des propos qui tranchent avec le rappel de la commission sénatoriale qui rappelait que dans « l’articulation entre droit canon et droit français, le second primait nécessairement sur le premier en matière criminelle. Dès lors qu’une personne est informée de faits d’agression sur mineurs ou personnes vulnérables susceptibles de se reproduire, il est obligatoire qu’elle les dénonce à la justice. Une pleine coopération avec la justice étatique est impérative dans ce type de situation ».

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