Ubérisation : le Sénat veut jouer son « rôle d’alerte »

Ubérisation : le Sénat veut jouer son « rôle d’alerte »

La mission d’information sur l’ubérisation de la société rendait aujourd’hui son rapport et plaide pour un plus fort encadrement du dialogue social et du « management algorithmique » dans le secteur. Le gouvernement doit organiser des élections professionnelles en début d’année prochaine pour mettre en œuvre ce dialogue social.
Louis Mollier-Sabet

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C’est un compromis politique un peu délicat que ce rapport sénatorial de la mission d’information sur l’ubérisation de la société. En même temps, l’attelage avait de quoi étonner : une mission d’information avec une présidente LR et un rapporteur communiste, la rédaction du rapport a dû être complexe, surtout sur un sujet comme l’ubérisation. Et pourtant Pascal Savoldelli et Martine Berthet affichent un front uni lors de la présentation de leur rapport. Ils veulent surtout poser des questions et déclencher une prise de conscience chez les gouvernants et la population : « Le Sénat joue son rôle d’alerte sur l’état de la démocratie sociale », lance Martine Berthet, présidente LR de la mission d’information.

Appréhender la « plateformisation de l’économie »

Comme l’explique Pascal Savoldelli, rapporteur et auteur de L’Ubérisation – et après ?, cette mission d’information était déjà l’occasion de mener un travail de récolte de données et de témoignages provenant de travailleurs de plateformes, de chefs d’entreprise ou d’élus locaux confrontés aux dynamiques sociales liées à ces nouvelles formes de travail. Ce travail empirique les a menés à un diagnostic clair, celui d’une « plateformisation de l’économie. »

Pour Pascal Savoldelli, c’est une véritable « réalité économique et sociale » qui ne concerne pas que les chauffeurs ou les livreurs, mais aussi le secteur de la traduction, de l’expert-comptabilité, des services à la personne ou encore des ressources humaines. Le phénomène n’est même pas uniquement circonscrit « au secteur marchand », puisqu’il est « amené à s’inviter dans l’action publique de l’Etat et – directement ou indirectement – des collectivités. » Le rapporteur poursuit en assumant une métaphore « provocatrice », dans la droite lignée du rôle d’alerte et d’éveil des consciences de la mission d’information : « En aviation, on ouvre les boîtes noires quand il y a un incident. Là on parle de travail sans relations sociales et d’une dynamique qui traverse des pans entiers de notre société, donc ouvrons la boîte noire. »

« Encadrer le management algorithmique »

La métaphore n’a pas seulement une vocation provocatrice. Un des axes du rapport est en effet « d’encadrer le management algorithmique. » Les sénateurs de la mission estiment que les algorithmes des plateformes produisent désormais une « véritable chaîne de donneurs d’ordre » et voudraient ainsi les soumettre aux réglementations du code du travail. L’enjeu est de taille : « C’est un véritable problème de dépendance économique et sociale pour les travailleurs, qui a des conséquences sur la santé psychologique et physique au travail. »

Pascal Savoldelli l’affirme, il faut engager une réflexion sur la régulation de ces algorithmes, qui reproduisent parfois les biais discriminants des usagers. Pour ça, il faut déjà obliger les plateformes à communiquer « de façon intelligible » leurs algorithmes, pour que les représentants des travailleurs de ces plateformes et le législateur puissent avoir une sorte de droit de regard sur ce « management algorithmique. »

Dialogue social : « C’est du prix minimum de la rémunération que découlera la protection sociale »

Le rapport se concentre aussi sur l’encadrement du dialogue social, déjà dans les cartons du gouvernement qui devrait organiser des élections professionnelles en début d’année prochaine. La mission d’information exhorte donc le gouvernement à fixer le contenu de cette future négociation – et notamment au sujet de la tarification minimale des prestations des travailleurs – entre les représentants syndicaux et patronaux des plateformes de chauffeurs livreurs. Élisabeth Borne avait déjà annoncé devant les sénateurs que ce serait fait prochainement dans une ordonnance, qui sera proposée à la ratification du Sénat mi-novembre.

Les sénateurs examineront aussi le projet de loi sur les travailleurs indépendants fin octobre, autant d’occasions de « saisir le gouvernement » sur la question du dialogue social. Des négociations professionnelles que Pascal Savoldelli appelle à ne pas seulement organiser : « Ce n’est pas seulement une question de représentation, c’est du prix minimum de la rémunération que découlera la protection sociale. » Au gouvernement, donc, d’imposer le thème dans les futures négociations entre les représentants des travailleurs et des plateformes.

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