Les oubliés de l’aide à domicile

Les oubliés de l’aide à domicile

Courses du quotidien, toilette, aide à l’habillage, préparation de repas, les auxiliaires de vie sont indispensables au maintien des personnes âgées, handicapées ou dépendantes à leur domicile. Au temps du confinement, les quelque 230 000 salariés du secteur travaillent dans l’angoisse faute d’équipements de protection suffisants.
Public Sénat

Par Flora Sauvage

Temps de lecture :

6 min

Publié le

Mis à jour le

Auxiliaire de vie à domicile, Mireille Journo se dit préoccupée. En début de semaine, elle a dû se rendre au domicile d’un homme qui présentait « tous les symptômes du Covid-19 », mais elle se refuse à « sombrer dans la psychose ». À 57 ans, Mireille Journo exerce le métier d’aide à domicile depuis 17 ans pour un salaire de 1480 euros par mois. En mars, une prime de 45 euros lui a été versée pour son investissement face à la surcharge de travail. Car de nombreuses collègues à elle sont en arrêt pour garder leurs enfants ou parce qu’elles ont une santé fragile.

Lit séparé

Pour éviter les risques de contamination, et protéger son mari, elle a choisi au début de l’épidémie de dormir dans un lit séparé. Inquiet, son mari a bien tenté de lui dire d’arrêter le travail, mais face à son choix il s’est résigné. « Je refuse d’avoir peur, il faut faire un choix et continuer à vivre », affirme Mireille Journo qui passe du domicile d’un bénéficiaire à un autre, faisant les courses pour une dame de 91 ans, puis la toilette d’un monsieur psychotique, l’aide à l’habillage d’une dame de 102 ans, en passant par la préparation des repas d’un couple âgé dont la femme a la maladie d’Alzheimer et le mari une pathologie lourde.

« Dernière roue du carrosse »

Face à la difficulté d’obtenir des équipements de protection pour exercer son métier, Mireille a parfois le sentiment « d’être la dernière roue du carrosse ». Car les masques arrivent au compte – goutte, et les surblouses et les gants manquent alors même que de nouvelles missions sont confiées au secteur de l’aide à domicile comme les sorties d’hospitalisation des malades Covid-19. Un sentiment que partage David Féry, le directeur de l’association AGABC basée à Asnières dans les Hauts-de Seine. Mireille Journo fait partie des 180 salariés de l’association qui viennent en aide à des personnes âgées à leur domicile et à des personnes handicapées.

Rupture de stock

« La question des surblouses est très problématique », explique le directeur de l’association qui observe un taux d’absentéisme de l’ordre de 30%. Les fournisseurs de gants sont en rupture de stock. Et pour les masques chirurgicaux, le conseil départemental des Hauts-de seine fournit à l’association une dizaine de masques par salarié par semaine. Trop peu alors que les recommandations des autorités de santé préconisent de changer de masque toutes les 4 heures. Résultat, Mireille Journo garde son masque toute la journée.

Dépister

« Ma plus grosse crainte, explique David Féry, c’est qu’avec le déconfinement, tous les employeurs vont vouloir équiper leurs salariés d’équipements de protection, et le secteur est déjà en tension ». Et le directeur de l’association AGABC, membre de la fédération Adedom, souhaite dépister tous ses salariés. David Féry a passé sa matinée au téléphone avec des laboratoires, mais c’est la douche froide : « au mieux ils me proposent de dépister 10 salariés, alors que j’en ai 180 ! ».

Protéger ses salariés

Car David Féry n’a qu’un souhait : protéger ses salariés au mieux tout en maintenant la continuité de ses services d’aide à domicile. Une équation difficile à résoudre car le secteur « n’est pas prioritaire » face aux personnels soignants. Pourtant certaines auxiliaires de vie vont trois à quatre fois dans la journée au domicile d’une personne. Elles sont amenées à toucher du « linge souillé » et il est très difficile de respecter les gestes barrière quand il faut donner à manger à une personne qui n’est plus autonome.

Livre blanc

En tant que directeur d’une association d’aide à domicile, « il y a une injonction paradoxale entre l’objectif primordial de protéger mes salariés et le fait d’assurer la continuité du suivi des bénéficiaires », assure David Féry. Sylvie Garel fait le même constat. Pour la directrice générale d’Âge d’or service à Saumur dans le Maine et Loire, qui emploie 40 salariés et prend en charge 190 bénéficiaires, « il faudra un livre blanc des bonnes pratiques ».

Lutter contre l’angoisse

« En l’espace d’un mois j’ai dû avoir 2 ans de cheveux blancs », avance Sylvie Garel. La directrice de l’association d’Âge d’or service raconte que c’est la « croix et la bannière » et qu’elle a « l’impression de mendier » pour trouver des équipements de protection pour ses « filles ». Et elle évoque : « la culpabilité de ses salariés qui ont peur de ramener le virus à la maison ou même pire d’infecter un bénéficiaire ».

Aide psychologique

Sylvie Garel a demandé une aide psychologique pour les bénéficiaires et ses salariés afin de lutter contre l’angoisse provoquée par le confinement. Des psychologues vont intervenir bénévolement pour aider les salariés à trouver les mots face aux bénéficiaires angoissés par le virus.

Protections insuffisantes

Très sollicités depuis le début du confinement, les travailleurs du secteur de l’aide à domicile se sentent « un peu oubliés », explique Hugues Vidor directeur général d’Adedom, l’une des plus grandes fédérations d’aide à domicile en France à but non lucratif, qui regroupe 25 000 salariés. Il dénonce les obligations des employeurs impossibles à remplir faute de protections suffisantes et veut alerter l’État afin de sécuriser les employeurs du « care ».

Instructions claires

Dans un courrier adressé à la ministre du travail Muriel Pénicaud le 14 avril, Hugues Vidor demande des instructions claires pour connaître précisément les équipements de protection indispensables en cas d’intervention à domicile. Sans « instructions claires, le risque pour les employeurs du secteur est d’être mis en cause pour faute inexcusable », affirme Hugues Vidor, ce qui risque de générer des contentieux aux prud’hommes. Car les employeurs dans le domaine de l’aide à domicile ne sont pas en mesure de fournir les protections nécessaires à leurs salariés à cause de la pénurie d’équipements. Alors ils font avec le système D. Face aux injonctions des inspecteurs du travail, qui les obligent à assurer la protection de leurs salariés, certains employeurs se posent la question d’arrêter certains services, de peur des contentieux. Au risque de laisser sur le carreau des personnes âgées dépendantes ou handicapées.  

Dans la même thématique

Majorité numérique à 15 ans : « La problématique, c’est le système pour vérifier l’âge »
5min

Société

Majorité numérique à 15 ans : « La problématique, c’est le système pour vérifier l’âge »

Dans son discours sur l’Europe à la Sorbonne, Emmanuel Macron a appelé à reprendre le contrôle sur les contenus en ligne et à protéger la jeunesse des contenus dangereux. Pour Olivia Tambou, maître de conférences, la clé d’une telle réglementation au niveau européen réside dans la vérification de l’âge. La sénatrice Catherine Morin-Desailly appelle à une réflexion plus globale sur les usages et la formation.

Le

Police operation de lutte contre les depots sauvages a Nice
5min

Société

Couvre-feu pour les mineurs : quel pouvoir pour les maires ?

La décision de Gérald Darmanin d’instaurer un couvre-feu pour les mineurs en Guadeloupe inspire les maires de métropole. À Béziers, la mesure est en vigueur depuis lundi. À Nice, Christian Estrosi songe aussi à la mettre en place. Dans quelle mesure les maires peuvent-ils restreindre la liberté de circuler ?

Le

Manifestation contre les violences sur les mineurs, Toulouse
4min

Société

Relaxe d’un homme accusé de violences familiales : le droit de correction invoqué par les juges est « contraire à la loi »

Ce 18 avril, la cour d’appel de Metz a relaxé un policier condamné en première instance pour des faits de violences sur ses enfants et sa compagne. Dans leur arrêt, les juges ont indiqué qu’un « droit de correction est reconnu aux parents ». Une décision qui indigne la sénatrice Marie-Pierre de la Gontrie, rapporteure d’une proposition de loi qui interdit les « violences éducatives » depuis 2019.

Le