Les pistes d’Agnès Buzyn pour mettre fin aux pénuries de médicaments

Les pistes d’Agnès Buzyn pour mettre fin aux pénuries de médicaments

Bientôt la fin des ruptures de stocks ? Agnès Buzyn présentait ce matin devant l'Ordre des pharmaciens sa feuille de route 2019-2022 pour lutter contre les pénuries et améliorer la disponibilité des médicaments en France. Des préconisations qui reprennent en grande partie celles faites par le Sénat à l’automne 2018.
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Par Ariel Guez (Sujet vidéo : Fabien Recker)

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Un Français sur quatre s'est déjà vu refuser un traitement pour cause de pénurie de médicaments, selon une enquête BVA de décembre 2018. Une situation qui s'aggrave d'année en année. La cortisone, corticoïde qui permet de soigner des douleurs inflammatoires, certaines allergies et des troubles de l'auto-immunité, fait partie des médicaments qui sont les plus touchés ces derniers jours. Ce n'est pas la première fois que les placards des pharmaciens se retrouvent vides, puisqu'en octobre 2018, les malades souffrant de la maladie de Parkinson ont eu des difficultés à trouver leurs médicaments.

La production des principes actifs n'est plus française

Plusieurs raisons expliquent ces pénuries à répétition. La première étant la production de médicaments, largement dépendante de l’étranger. En 2018, le Sénat alertait sur cette situation dans le rapport d’information de Jean-Pierre Decool, fait au nom de la Mission d’information sur la pénurie de médicaments et de vaccins. Le sénateur Les Indépendants du Nord, expliquait alors que « 80 % des principes actifs servant aux médicaments sont fabriqués en Asie – Inde et Chine – et aux États-Unis ». Un chiffre corroboré par l'Académie nationale de pharmacie dans un rapport publié en juin 2018. L'Académie voit la forte dépendance des marchés occidentaux vis-à-vis des productions indiennes et chinoises des matières actives pharmaceutiques comme un « talon d'Achille », tandis que le sénateur du Nord y voyait une « perte progressive d'indépendance sanitaire ».

Un « talon d’Achille », car le gouvernement chinois a lancé une lutte contre la pollution sans précèdent et ferme une à une les entreprises les plus polluantes présentes sur son sol. Les Polonais en ont déjà fait les frais. Le Courrier international rapporte qu’en raison de la fermeture d’une dizaine d’usines basées en Chine, des pénuries de plus d’une centaine de produits étaient recensées en juin, en particulier ceux employés contre les troubles de la thyroïde, les maladies cardiaques et les douleurs,

Enfin, la France manque de médicaments car le coût de vente des médicaments est relativement faible. Les prix sont tirés vers le bas dans l’hexagone, en raison du remboursement par la sécurité sociale. Les laboratoires peuvent gagner jusqu’à deux fois plus en vendant le même produit dans un autre pays européen et ne sont donc pas incités à écouler leurs stocks sur le sol français.

Un plan provisoire présenté ce matin

Agnès Buzyn, ministre de la Santé, présentait ce matin devant l’Ordre des pharmaciens sa feuille de route 2019-2022 pour lutter contre les pénuries et améliorer la disponibilité des médicaments en France : 28 mesures déclinées en quatre grands thèmes. Le premier vise à « promouvoir la transparence et la qualité de l’information », en généralisant par exemple la plateforme qui permet aux pharmaciens de signaler les ruptures d’approvisionnement au laboratoire concerné ou en refondant le site internet de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), « afin de le rendre plus accessible au grand public ».

Le plan présenté par Agnès Buzyn reprend en très grande partie les recommandations de la mission d’information du Sénat

Second grand axe : accentuer la coopération européenne sur le sujet. La ministre propose de poursuivre « les discussions sur l’achat groupé notamment de vaccins essentiels au niveau européen » et un « partage d’information concernant les situations et les causes des pénuries à l’échelle de l’Europe ».

Déjà en 2018, le Sénat voyait l’échelle européenne comme pertinente : « La France et ses partenaires européens doivent se saisir d’un instrument essentiel qui existe déjà dans la réglementation européenne sans avoir encore été activé : l’achat groupé de vaccins entre plusieurs États membres ». Une mesure qui a donc été évoquée dans la feuille de route ce matin.

Cette reprise satisfait Yves Daudigny, sénateur socialiste de l’Aisne et président de la mission d’information sur la pénurie de médicaments et de vaccins faite en septembre. « Je n’ai pas noté de points importants du rapport sénatorial qui n’avait pas été repris dans la feuille de route présentée ce matin. C’est une satisfaction », explique-t-il.

Le circuit du médicament largement modifié

Agnès Buzyn a également annoncé vouloir mieux réguler le circuit du médicament afin de mieux gérer les stocks, de sa production à sa distribution. Sur cette dernière étape, la ministre veut rendre possible le remplacement de médicaments par les pharmaciens d’officine en cas de rupture d’un médicament thérapeutique d’intérêt majeur (MTIM). Une mesure qui donne donc plus de pouvoirs aux pharmaciens et qui sera rendue effective dès l’adoption définitive de la loi Santé, prévue fin juillet 2019.

Le plan prévoit également de mieux réglementer les achats de médicaments, en étendant les appels d’offres « afin de disposer d’au minimum deux industriels capables de livrer les produits » ou en réfléchissant à « l’opportunité de mettre en place des entrepôts centraux de manière à amortir les pénuries et lisser les flux appelés par les établissements ».

Le circuit du médicament sera aussi visé à son origine. « Il convient de soutenir le maintien voire la relocalisation des fabricants de matières premières et de médicaments en Europe et en France », affirme le document rendu public ce matin, qui fixe pour cette mesure l’objectif de 2022. « À cette fin, des actions seront menées pour améliorer l’attractivité financière de la France et du territoire européen par des mesures incitatives fiscales et financières ». Une mesure financière qui elle aussi était déjà préconisée par le Sénat en septembre 2018.

Une « priorité nationale »

Un comité de pilotage sera créé pour assurer la mise en œuvre de ces mesures, associant l’Agence du médicament (ANSM) et « l’ensemble des acteurs concernés » (laboratoires pharmaceutiques, grossistes, associations de patients, etc.). Du côté des patients, ces annonces sont néanmoins insuffisantes : « Cette feuille de route ministérielle, si elle témoigne d'une volonté louable des pouvoirs publics de s'attaquer au problème, ne présente en l'état que très peu de mesures concrètes et dissuasives pour lutter contre ces dérives », affirme France Assos Santé, fédération d'associations de patients.

Yves Daudigny salue lui aussi la prise de conscience d’une véritable « priorité nationale », selon ses termes. Le sénateur attend la mise en œuvre des hypothèses évoquées par la ministre ce matin, rappelant que certaines mesures sortent du champ de compétences d’Agnès Buzyn. « J’apporte des critiques au gouvernement lorsque c’est nécessaire. Mais ce matin je n’ai pas vu matière à critiquer. Nous verrons si les moyens sont mis en œuvre. La relocalisation de la production relève du caractère économique et tout ne pourra pas être mis en œuvre du jour au lendemain », explique le sénateur.

Dévoilée ce matin à l’Ordre des pharmaciens, cette feuille de route n’est que provisoire. Elle fera l’objet d’une présentation formelle, en septembre, dans le cadre d’un Comité de pilotage dédié. Mais le temps presse. En 2018, plus de 600 médicaments manquaient à l’appel, bien plus qu’en 2017. Selon les projections de l’ANSM, les compteurs risquent d’exploser cette année : 1 200 traitements ou vaccins pourraient être concernés.

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