Les pistes pour réduire la dépendance européenne au gaz russe

Les pistes pour réduire la dépendance européenne au gaz russe

L’Agence internationale de l’énergie (AIE) a détaillé aux sénateurs son plan pour réduire d’1/3 la dépendance européenne au gaz russe. D’après l’AIE, une réduction supplémentaire à court terme reste difficile en restant sur des trajectoires de réduction des émissions de gaz à effets de serre.
Louis Mollier-Sabet

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Alors que la question de la dépendance de l’Europe aux énergies fossiles russes se pose de manière de plus en plus prégnante à mesure que le conflit s’aggrave en Ukraine, le Sénat a auditionné des représentants de l’Agence internationale de l’énergie (AIE). L’expertise de cette organisation internationale affiliée à l’OCDE, créée après les chocs pétroliers des années 1970 pour évaluer les perspectives économiques sur les différents marchés énergétiques, s’est avérée particulièrement précieuse, alors que l’Europe cherche à réduire sa consommation de gaz russe. Et ce n’est pas une mince affaire, puisque l’Europe et la Russie sont dans une véritable interdépendance énergétique : la Russie est le premier partenaire énergétique de l’UE, qui importe par exemple 40 % de son gaz naturel, 25 % de son pétrole et 40 % de son charbon de Russie. Le régime de Vladimir Poutine constitue ainsi « un pouvoir immense sur le marché énergétique », comme le rappelle Mary Warlick, directrice exécutive de l’AIE. Par conséquent, « il n’est pas facile de trouver des moyens de remplacement à très court terme pour pallier ces exportations russes », et l’AIE a donc planché sur un « plan en 10 points », qui permettrait de réduire d’1/3 la dépendance européenne au gaz russe, à horizon d’un an.

» Pour en savoir plus : Gaz russe : l’Europe peut-elle vraiment s’en passer ?

Un boycott du gaz russe n’appauvrirait pas forcément la Russie à cause de l’explosion des prix

L’Union Européenne se trouve ainsi prise dans un arbitrage difficile parce que d’après la directrice exécutive de l’AIE, réduire encore plus les importations européennes de gaz russe signifierait « réétudier les calendriers de niveaux d’émissions. » À court terme, l’Agence internationale de l’énergie explique donc clairement que l’Europe pourrait dans une certaine mesure réduire sa dépendance au gaz russe mais qu’aller plus loin, supposerait de recourir à des énergies fossiles pour les substituer au gaz russe, et donc de s’éloigner des trajectoires actuelles de réduction des émissions de gaz à effet de serre. De même, Tim Gould, chef économiste en charge de l’énergie à l’AIE, rappelle « qu’une réduction de volume de gaz importé de Russie n’entraînera pas de réduction des bénéfices russes parce que cela aura un effet sur les prix. » En clair, un boycott européen du gaz russe provoquerait une rareté sur le marché du gaz qui ferait augmenter les prix en conséquence et aurait donc un impact limité sur la somme totale perçue par les Russes en retour de leurs exportations gazières.

» Pour en savoir plus : La (co) dépendance énergétique de l’Europe et de la Russie en chiffres

Pour ce qui est de cette fameuse réduction « d’1/3 » de la dépendance européenne au gaz russe, Tim Gould a détaillé le raisonnement développé par l’AIE sur d’éventuelles reconfigurations de la filière européenne du gaz. Une première option serait de diversifier l’approvisionnement en gaz naturel en misant sur d’autres pays. Aujourd’hui « la plupart des fournisseurs produisent déjà au maximum de leur capacité », mais à horizon 1 ou 2 ans, la Norvège ou l’Afrique du Nord pourraient augmenter leurs capacités de production, voire l’Azerbaïdjan, avec le pipeline trans-adriatique qui pourrait doubler ses capacités pour alimenter l’Italie et l’Europe du Sud-Est. Une deuxième solution pourrait être de miser sur l’efficacité énergétique et de réduire les quantités de gaz brûlés par torchère pour augmenter in fine la quantité de gaz disponible à approvisionnement égal. « Une belle occasion d’investir dans les infrastructures à la fois au bénéfice de l’environnement et de la sécurité énergétique », ajoute Tim Gould. Enfin, le fameux « gaz naturel liquéfié » (GNL) apparaît comme un recours, alors que 30 milliards de tonnes supplémentaires devraient être livrées à l’Europe, dont 15 par les Etats-Unis. L’économiste en chef à l’AIE prévient tout de même que « la plus grande partie » de la production internationale de GNL « ne sera pas disponible avant 2025-2026, étant donné que la plupart des contrats ont déjà été conclus. D’autre part, le GNL reste plus cher que le gaz naturel classique, même si l’augmentation récente du prix de ce dernier tend à rendre cette alternative de plus en plus crédible.

À court terme : miser sur le solaire, l’éolien et les réductions de consommation d’énergie

L’autre levier pour l’Europe réside dans l’augmentation des capacités de production d’autres énergies, en sachant que l’AIE a exclu le recours à des énergies fossiles, qui serait nécessaire pour davantage réduire la dépendance au gaz russe. Restent donc notamment le nucléaire, la bioénergie, l’hydraulique, le solaire et l’éolien. Au vu des différents « calendriers » de montée en charge de ces énergies, Tim Gould est assez formel, « le solaire et l’éolien, c’est bien plus rapide » : « Sur ces énergies, il existe déjà des projets qui sont disponibles, en attente d’un permis pour pouvoir avancer. C’est un moyen rapide d’obtenir des capacités supplémentaires pour nos marchés énergétiques, tout en restant sur des sources basses émissions. » Un diagnostic qui a pris la majorité sénatoriale à rebrousse-poil. Les sénatrices et sénateurs ont tour à tour interrogé l’AIE sur l’absence du nucléaire ou des barrages hydroélectriques dans ce plan. Inlassablement, Tim Gould a formulé la même réponse : bien sûr que le nucléaire ou l’hydroélectricité sont des alternatives bas carbone, et il appartient d’ailleurs aux Etats-membres de les développer dans leur mix électrique, mais le plan avait pour but de faire émerger des solutions de court terme.

Or, si l’objectif est de réduire la dépendance européenne au gaz russe « pour l’hiver prochain », l’économiste en chef de l’AIE a préféré s’appuyer sur « des mesures déjà déployées avec succès lors de pics de pollution ou à d’autres moments de tensions sur les marchés » et surtout sur des options de court terme. « Dans tous nos scénarios de moyen ou long terme, les barrages hydroélectriques ont un rôle très important à jouer, mais nous voulions des mesures qui pouvaient être prises immédiatement », explique ainsi Tim Gould. Enfin, quelques mesures de sobriété énergétique permettraient de réduire la consommation européenne de gaz naturel, et donc mécaniquement les besoins de gaz russe. « 1 jour de travail à la maison c’est 170 000 barils de pétrole économisés par jour », soit 1,35 % de la consommation européenne. De même, « si chaque bâtiment chauffé au gaz en Europe réduisait d’1° sa température, cela économiserait 10 milliards de m3 de gaz par an, sur 155 milliards de m3 de gaz importés de Russie par an. L’AIE ne préconise pas ce genre de mesures « en tant que politiques publiques », mais en tant que recommandation aux citoyens pour montrer que « leurs gestes peuvent compter. »

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