Migrants disparus : « Ce qui se passe en Méditerranée se passe aussi dans le désert, mais personne n’en parle » témoigne Ibrahim Sountara

Migrants disparus : « Ce qui se passe en Méditerranée se passe aussi dans le désert, mais personne n’en parle » témoigne Ibrahim Sountara

Depuis deux ans une équipe emmenée par la médecin légiste Cristina Cattaneo tente de redonner une identité aux migrants naufragés dans la Méditerranée, pour honorer leur mémoire. Mais si ces drames sont désormais connus, n’en cachent-ils pas d’autres ? La Méditerranée n’est-elle pas le dernier cimetière parmi tous ceux qui ponctuent l’itinéraire des migrants ? Comment prévenir cette catastrophe humaine ? Jérôme Chapuis et ses invités ouvrent le débat, pour Un Monde en Docs, sur Public Sénat.
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Par Hugo Ruaud

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Chaque année, des milliers de migrants embarquent sur des bateaux de fortune pour l’ultime étape de leur périple vers l’Europe : la traversée de la Méditerranée. Mais parmi eux, certains ne parviennent jamais jusqu’aux rives du nord. Leur embarcation, lente, fragile et surchargée, coule dans l’anonymat, quelque part au milieu de la Méditerranée. Ce drame, Ibrahim Sountara y a échappé de peu. Étudiant en droit en Côte d’Ivoire, il est arrivé en France en 2017 après deux ans de périple : « Je suis passé moi-même à deux doigts de connaître le même sort » que les naufragés. « Au départ de la Libye, notre bateau était troué. Malgré ce risque les Libyens nous ont autorisés à prendre la mer. Mais une fois que notre bateau a atteint les eaux internationales, l’eau a commencé à entrer dans notre bateau, jusqu’aux chevilles ».

« Parmi les morts, il y a les morts dans la Méditerranée, mais avant ça, il y a les morts dans le désert. Ces personnes que le gouvernement algérien met aux portes du désert en disant maintenant « allez marcher tout droit »

Heureusement, un navire humanitaire est intervenu à temps pour secourir l’embarcation. En Europe, l’opinion est partagée, mais nombreux sont ceux qui s’indignent du sort des migrants et des vies brisées par ces traversées, à tel point que la Méditerranée est parfois comparée à un cimetière. Et pour cause, depuis 2014, 21 000 migrants seraient morts noyés dans ses eaux.

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« Quand on est en Libye, on cherche à fuir la mort »

Pourtant, si ce drame est désormais bien connu, il ne s’agirait que de la partie émergée de l’iceberg. Car en amont également, le parcours des migrants est un chemin de croix. C’est ce qu’explique Didier Leschi, directeur de l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration : « Parmi les morts, il y a les morts dans la Méditerranée, mais avant ça, il y a les morts dans le désert. Ces personnes que le gouvernement algérien met aux portes du désert en disant maintenant « allez marcher tout droit ». Des propos que confirme Ibrahim Sountara : « J’ai traversé le Sahara, je sais ce que c’est. Dieu seul sait combien de morts, combien de squelettes, de crânes humains nous avons rencontré. Et ça, personne n’en parle, parce qu’il n’y a pas d’association pour les compter. Mais ce qui se passe en Méditerranée se passe aussi dans le désert ». Des drames qui permettent aussi d’expliquer les prises de risques des migrants, lorsqu’ils montent sur des embarcations dont on sait qu’elles n’ont que très peu de chances d’arriver au bout : « Quand on est en Libye, on cherche à fuir la mort », témoigne Ibrahim.

Le difficile accord des pays européens entre eux pour endiguer les traversées

Alors que faire, face à un problème qui concerne tant de pays ? « On a du mal à faire pression sur un certain nombre de dirigeants de pays qui sont les pourvoyeurs d’une immigration du désespoir », concède Didier Leschi, pointant les Etats où la démocratie est flouée. Pour Sandro Gozi, député européen français LREM et ancien membre du gouvernement italien, des solutions sont pourtant sur la table : « Nous savons tous ce qu’il faut faire, mais il n’y a pas d’accord politique pour le faire ». Pour lui, il faudrait « mieux utiliser la politique de développement pour obtenir une véritable coopération des flux migratoires avec les pays d’origines ». Avec un pays en ligne de mire en priorité : la Libye. « La stabilisation de la Libye et la lutte contre les trafiquants libyens est fondamentale pour arrêter ces tragédies en Méditerranée centrale ». Et pour cela, il faudrait une véritable solidarité entre pays européens, mais « certains ne jouent pas le jeu », estime Sandro Gozi.

Retrouvez le replay de notre émission Un Monde en Docs, sur notre site internet

 

Livres mentionnés

Ibrahim Sountara, Le rêve brisé. Parcours d’un migrant, Éditions Hedna. 18 €, 2018

« Naufragés sans visages. Donner un nom aux victimes de la Méditerranée » Albin Michel, Paris, 2019, Livre de Cristina Cattaneo et Pauline Colonna d’Istria.

Didier Leschi, Tracts (N°22) – « Ce grand dérangement : L’immigration en face », ed. Gallimard, novembre 2020

 

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