Nathalie Goulet : « Les circuits de financement du terrorisme vont obliger les lois à devenir de plus en plus précises »

Nathalie Goulet : « Les circuits de financement du terrorisme vont obliger les lois à devenir de plus en plus précises »

La sénatrice centriste Nathalie Goulet consacre son dernier ouvrage au financement du terrorisme, sous la forme d’un abécédaire. Alors que le procès des attentats du 13 novembre 2015 approche de son dénouement, cette spécialiste des questions fiscales et terroristes détaille auprès de Public Sénat les différentes méthodes élaborées au fil des années par les djihadistes pour échapper aux réseaux financiers classiques.
Romain David

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Le procès des attentats du 13-Novembre est entré dans une nouvelle phase ce lundi 23 mai, avec le début des plaidoiries des parties civiles. François Molins, ancien procureur de la République, avait estimé à 80 000 euros la préparation de ces attaques terroristes en région parisienne. Neuf mois plus tard, l’attentat sur la promenade des Anglais, à Nice, n’aurait mobilisé que 2 500 euros. Au cours des vingt dernières années, le coût des attaques terroristes est devenu de plus en plus faible, jusqu’à glisser vers une forme de terrorisme de type « low cost », avec des individus qui se radicalisent à distance, et qui passent à l’acte munis d’une arme de poing, voire d’une simple arme blanche.

Cette mutation correspond aussi à une transformation progressive des réseaux de financement du terrorisme. C’est le constat que dresse la sénatrice centriste Nathalie Goulet dans son dernier livre, L’Abécédaire du financement du terrorisme, aux éditions du Cherche Midi. Cet ouvrage condense une large partie des travaux menés ces dernières années par l’élue de l’Orne, spécialiste des questions de fraude fiscale et de radicalisation. Au total : 47 entrées à travers lesquelles Nathalie Goulet liste les nombreux stratagèmes financiers mis au point par les terroristes pour alimenter leurs entreprises. Des mécanismes complexes, souvent protéiformes, si bien que cette élue réfléchit déjà à une édition augmentée.

Les mesures prises après le 11 septembre ont écarté les organisations terroristes des financements bancaires traditionnels, les obligeant à se reporter sur des financements parallèles. À vous lire, on voit que le financement du terrorisme s’appuie désormais sur une pluralité de réseaux, difficiles à saisir, et qui sont aussi ceux du grand banditisme.

« Le séisme du 11 septembre marque le début d’une vaste prise de conscience sur le terrorisme. La lutte contre ses financements ne s’est mise en place que très progressivement, contraignant peu à peu les organisations à trouver de nouvelles sources de revenus. Il faut dire aussi que le financement d’Etat est passé de mode. Les pays qui avaient la réputation de financer le terrorisme ont eux-mêmes été victimes de ce terrorisme. Ceux qui pensaient détenir la radicalité ont fini par être dépassés par cette radicalité.

C’est en travaillant sur la fraude et l’évasion fiscale que j’ai pu identifier ces différents mécanismes de financement. Lorsque j’ai voulu écrire ce livre, je n’arrivais pas à trouver une forme satisfaisante, et puis l’abécédaire m’est apparu comme ce qu’il y avait de plus évident pour montrer le côté polymorphe de ce phénomène.

Vous évoquez des circuits de financement bien connus, comme la vente d’armes, le trafic de drogues ou d’œuvres d’art. D’autres peuvent surprendre, comme le chocolat, et même du miel.

La vente de chocolats par des sociétés écrans du Hamas est un cas emblématique. Effectivement, le miel est plus original. Il ne s’agit pas de le vendre, mais de se servir de sa texture et de son odeur, qui rend indétectable certains produits, pour favoriser les trafics. Par exemple, des sachets de drogue plongés dans des bocaux de miel peuvent voyager plus facilement.

La contrefaçon m’a étonnée par son ampleur. Elle semble assez indolore : on se fait plaisir en achetant un faux sac de marque ou une paire de baskets, sans imaginer que l’on finance des réseaux djihadistes. Globalement, tout ce qui permet de dégager du liquide rapidement est prisé par les terroristes.

Quels sont les trafics qui rapportent le plus aux terroristes ?

La drogue, la piraterie contre les cargaisons des navires ou des aéronefs, le trafic d’êtres humains et d’organes restent encore dans le top 5 des trafics les plus prolifiques.

Vous pointez aussi dans cet ouvrage l’émergence de nouvelles niches économiques, comme le « tourisme halal », qui permet aux personnes de confession musulmane de voyager dans le respect de certaines normes religieuses. Pourtant, aucun lien n’est établi entre ce type d’activité et le financement du terrorisme. Quel rapport avec votre sujet ?

Effectivement, le tourisme halal n’a pas à voir avec le terrorisme, mais plutôt avec le séparatisme qui peut devenir hautement inflammable, surtout dans certaines régions du globe. Je voyage en Ouzbékistan depuis plus de 10 ans. À Samarcande, certains restaurants arborent désormais des panneaux pour promouvoir le tourisme halal et ont arrêté de servir de l’alcool. Officiellement, le tourisme halal permet de lutter contre l’islamophobie mais, lorsqu’il devient rentable, il peut aussi aboutir à une confessionnalisation des pratiques là où il n’y en avait pas avant. Il faut que les Etats restent vigilants.

Vous évoquez toute une série de vides juridiques dans une multitude de secteurs. Rien, par exemple, ne permet de lutter efficacement contre le détournement des cagnottes en ligne ou des déductions fiscales. Est-ce à dire que le temps des grandes lois antiterroristes est révolu, et qu’il faut maintenant s’atteler à un véritable travail de fourmis, au cas par cas ?

Effectivement, nous sommes sur des circuits qui vont obliger les lois à devenir de plus en plus précises. Mais pour que ces mesures soient véritablement efficaces, il faut que tout le monde joue le jeu. À l’international, c’est un sujet de tensions : une poignée de terroristes, en raison du mésusage qu’ils font des cagnottes en ligne ou des cartes prépayées, vont obliger les législateurs à faire peser des contraintes plus ou moins lourdes sur l’ensemble des entreprises et des utilisateurs. Et pourtant, après le 11 septembre, nous sommes bien parvenus à renforcer drastiquement les contrôles dans tous les aéroports du globe.

Certains domaines semblent difficiles à réguler. Par exemple, derrière les déclarations d’intentions, l’Union européenne manque toujours de dynamisme lorsqu’il s’agit de lutter contre les paradis fiscaux ou les ports francs. Sur d’autres dossiers, les avancées sont plus rapides. Ainsi, Bruxelles vient de prendre un certain nombre de décisions pour mieux encadrer les échanges de cryptomonnaies qui risquent de devenir le grand sujet des années à venir. »

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