Ocean Viking : quelles sont les règles en matière de sauvetage des migrants en mer ?

Ocean Viking : quelles sont les règles en matière de sauvetage des migrants en mer ?

Le port de Toulon prendra en charge le navire de migrants Ocean Viking. La France, qui s’engage ainsi à porter secours aux 231 naufragés à bord, accuse l’Italie, initialement sollicitée par ce navire, de s’être dérobée à ses obligations internationales. Retour sur le contexte juridique.
Romain David

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« L’Italie devait accueillir ces personnes en vertu de ses engagements internationaux ». Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, a tenu jeudi un discours d’une grande fermeté à l’égard de la péninsule. Au cœur des tensions : le sort de l’Ocean Viking, le navire de l’ONG SOS Méditerranée, avec à son bord 231 migrants secourus en mer, et qui demande depuis 20 jours à accoster dans un port italien. Face à l’urgence humanitaire, Paris s’est finalement engagée à accueillir ce bateau à Toulon, après avoir répété ces derniers jours que sa prise en charge relevait de la responsabilité italienne. Son arrivée est prévue vendredi. « Les nouvelles autorités ont fait le choix incompréhensible de ne pas répondre aux multiples demandes d’assistance du navire, alors même que celui-ci se trouvait, sans aucune contestation possible, dans la zone de secours et de recherche italienne », a martelé le locataire de la place Beauvau au sortir du Conseil des ministres, évoquant la possibilité de « suites juridiques » contre Rome.

À y regarder de plus près, les obligations des Etats en la matière se trouvent à la croisée de trois cadres juridiques qui s’imposent de manière différente : les conventions internationales maritimes ; un mécanisme européen de répartition des migrants - qui a moins valeur de droit que d’engagement - ; et enfin la souveraineté de chaque Etat nation, qui conserve, in fine, le contrôle de ses ports.

À chaque pays sa zone de sauvetage

Au XXe siècle, une série de conventions internationales est venue poser un cadre juridique aux pratiques généralement coutumières qui s’appliquaient, parfois depuis plusieurs siècles, sur le sauvetage en mer. La Convention de Bruxelles de 1910 marque une première tentative d’uniformisation des règles de sauvetage des navires en détresse. Mais l’obligation pour un navire de porter secours à un autre bateau est essentiellement entérinée par la Convention internationale de 1974 pour la sauvegarde de la vie humaine en mer. Signée à Hambourg le 27 avril 1979, la Convention internationale sur la recherche et le sauvetage maritimes met en place une sorte de cartographie internationale du secours en mer. Elle a été ratifiée par la France le 9 avril 1980, et ses dispositions inscrites dans le droit français en 1985.

À partir des principes énoncés dans ce texte, l’ONU a divisé les océans du monde en 13 grandes régions de recherche et de sauvetage. À l’intérieur de chaque région, des zones de responsabilité ont été délimitées pour différents pays. Ce laborieux travail de découpage ne s’est achevé qu’en 1998. C’est sur la base de cette convention que l’ONG SOS Méditerranée qui affrète l’Ocean Viking a demandé, selon la position du navire, à pouvoir accoster dans un port italien. « SOS Méditerranée se montre très soucieuse de l’application du droit maritime. Qu’ils en appellent à la France pour pouvoir débarquer laisse croire que la situation à bord était devenue critique », observe auprès de Public Sénat Matthieu Tardis, responsable du Centre migrations et citoyennetés de l’Institut français des relations internationales (Ifri).

» Lire aussi - Ocean Viking accueilli à Toulon : une décision « humanitaire » et « un mauvais signal envoyé aux passeurs » pour les sénateurs

La prise en charge des migrants, une difficulté pour le droit européen

Le droit européen se penche moins sur la question du secours en mer, théoriquement régi par les accords internationaux cités plus haut, que sur les modalités de prise en charge des migrants ainsi sauvés. En juin dernier, à l’initiative de la présidence française de l’Union européenne, « un mécanisme de solidarité » a été mis en place. Sur les 27 Etats membres, 18 - dont l’Italie - ont accepté de signer cet accord, ainsi que trois pays non-membres mais appartenant à l’espace Schengen : la Norvège, la Suisse et le Lichtenstein. Il s’appuie sur un principe de « relocalisation » ; chaque Etat s’engage sur un volume de migrants qu’il est prêt à prendre en charge sur son sol. Les Etats qui participent à ce système, mais malgré tout ne veulent pas accueillir de migrants, versent aux autres pays une compensation financière. « Les relocalisations doivent s’appliquer en priorité aux États membres confrontés aux débarquements de migrants consécutifs à des opérations de recherche et de sauvetage en mer sur la route méditerranéenne et atlantique occidentale », stipule le mode opératoire de ce mécanisme, clairement imaginé pour soulager la pression migratoire qui s’exerce sur des pays devenus malgré eux des portes d’entrée de l’UE, en l’occurrence Malte, Chypre, la Grèce et l’Italie.

« La question de la répartition des migrants est devenue prégnante à partir de 2015, face aux situations vécues dans les îles grecques et italiennes », souligne Matthieu Tardis. Des accords ad hoc, entre Etats, ont pu voir le jour. À l’image du dispositif de répartition ratifié à La Valette en 2019, rassemblant dans un premier temps la France, l’Allemagne, l’Italie et Malte, puis l’Irlande, le Portugal, le Luxembourg, la Slovénie et la Roumanie. Si l’idée de mettre en place des règles plus précises au niveau européen fait son chemin, elle peine toujours à aboutir.

Adopté pour un an renouvelable, le mécanisme actuel se présente d’ailleurs comme une étape intermédiaire avant l’adoption d’un « Pacte européen sur la migration et l’asile », appelé de ses vœux par la France. « Le mécanisme de solidarité est une forme de projet pilote, lancé sous la présidence française, et qui reprend dans ses grandes lignes les ambitions portées par le Pacte européen, en voyant que certains États d’Europe de l’est, notamment la Pologne et la Hongrie, bloquaient l’avancée des discussions », explique Matthieu Tardis. « Aussi, il ne s’agit pas d’un règlement européen ni d’un traité à proprement parler, plutôt d’un accord intergouvernemental, au sein duquel la Commission peut éventuellement intervenir comme arbitre. » La France s’était ainsi engagée à prendre en charge 3 500 migrants actuellement localisés en Italie. Ce jeudi, Gérald Darmanin a annoncé la suspension des transferts et appelé les autres Etats à faire de même avec l’accueil des réfugiés venus d’Italie. Le début, vraisemblablement, d’une nouvelle crise diplomatique autour de la question des migrants.

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