« On me prend souvent pour la secrétaire », regrette cette propriétaire d’un garage automobile

« On me prend souvent pour la secrétaire », regrette cette propriétaire d’un garage automobile

Entre diagnostic automobile et gestion d’entreprise, depuis quelques mois Charlène Hentic, 30 ans, est à la tête d’un garage dans le Morbihan. Cette semaine dans l’émission Dialogue Citoyen elle raconte, les difficultés qu’elle a dû affronter et qu’elle affronte encore pour se faire une place dans ce milieu majoritairement masculin. Un témoignage qui illustre comment les représentations que l’on peut se faire de certains métiers et de certaines activités sont encore très largement pénétrées par des stéréotypes genrés.
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Par Nils Buchsbaum

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« C’est compliqué d’être prise au sérieux en tant que femme dans cet univers ». C’est avec amertume mais fière de son parcours que Charlène évoque les dix dernières années qu’elle a passées dans le monde de la réparation automobile. « Il a fallu toujours prouver, prouver, prouver. J’ai fait énormément de concessions pendant dix ans, je travaillais d’arrache-pied, je commençais le matin à 7 heures, je finissais le soir à 20 heures, pour prouver que j’étais à ma place ; je devais tout savoir, je voulais tout apprendre, il fallait que j’apprenne plus qu’un gars. » livre-t-elle.

« C’est difficile, il faut se battre tous les jours, prouver qu’on est aussi capable qu’un homme, voire plus. »

Son témoignage ressemble à celui de nombreuses femmes qui luttent chaque jour contre le sexisme dans le milieu professionnel : « Quand on est dans un milieu d’hommes comme moi, il faut en faire plus, travailler plus, montrer à tout le monde qu’on est bien légitime à ce poste-là, prouver dix fois plus qu’on est bien à notre place. On est toujours testé. »

Le parcours du combattant du financement

En 2020, quand les patrons du garage où elle travaille cherchent à vendre leur entreprise, elle décide de le reprendre. Mais là encore, elle rencontre des interlocuteurs animés par des préjugés sexistes. Malgré ses compétences et ses nombreuses années d’expérience, « les banques ne voulaient pas suivre… J’avais pourtant 50 % d’apport, ce qui est énorme pour un achat de fonds de commerce. Quand j’annonçais que je voulais prendre un garage on me disait « mais vous n’êtes pas avec monsieur ? ».

« Je suis propriétaire et cheffe d’atelier, je sais de quoi je parle ! »

« C’était compliqué pour acquérir ce garage mais j’ai réussi, dans ce milieu d’homme », déclare fièrement Charlène Henric. « Je suis maintenant propriétaire, j’aime ce que je fais, le contact avec les gens… Et je suis aussi cheffe d’atelier, : je pose des diagnostics, je passe les commandes des pièces, il m’arrive de m’occuper des voitures. Je sais de quoi je parle. » Mais certains clients n’ont pas encore l’habitude de voir une garagiste. « On me prend souvent pour la secrétaire. Certains clients me demandent où est le patron. Je réponds que c’est moi le patron, enfin la patronne ! Et quand je dis cela, les mêmes clients, collaborateurs ou fournisseurs demandent alors à voir le chef d’atelier. Ben c’est moi aussi ! »

L’humour pour mettre à distance les clichés

Emue mais ne perdant pas son sens de l’humour elle dit avoir déjà pensé à « acheter une fausse moustache dans un magasin de farce et attrape pour la mettre quand quelqu’un me demande qui est le patron. » « C’est une bataille permanente. » La garagiste confie qu’elle rencontre cette forme de préjugés quotidiennement. » La plupart du temps, je prends ça avec le sourire. On est obligé de se contenir. On est commerçant. Sinon les clients ne reviennent pas. Mais parfois ça m’agace… »

Elle a pensé à « acheter une fausse moustache dans un magasin de farces et attrapes, pour la mettre quand quelqu’un me demande qui est le patron. »

Selon elle, l’une des solutions pour casser les stéréotypes genrés serait de modifier l’orientation scolaire des filles et des garçons. « Il faut arrêter de diriger les femmes dans quelque chose qui est la normalité en ce moment. On ne va jamais conseiller à une jeune femme d’aller dans un garage. Même si ça change un peu, on voit des femmes conductrices de camion… »

Un exemple pour les autres

Martine Filleul, sénatrice socialiste du Nord, admirative du parcours et de l’abnégation de Charlène Hentic avoue être « très contente de faire sa connaissance ; son exemple et son parcours méritent d’être connus et diffusés justement après des jeunes filles qui n’osent pas toujours et qui sont orientées vers des métiers plus féminisés. Ces filles font parfois des choix un peu par convention, par obligation, par pression et justement il faut casser ces idées reçues et ces préjugés sur les métiers pour qu’ils soient plus largement ouverts. » Tout comme Charlène Henric, elle « croit que collectivement nous avons un gros travail à faire sur l’orientation. Il faut que dès le plus jeune âge, on ouvre le panel des possibles pour les filles et pour les garçons. »

Les séries télévisées doivent s’ouvrir à d’autres modèles féminins

André Gattolin Sénateur RDPI (La République En marche) des Hauts-de-Seine, ajoute cependant que l’école ne fait pas tout. « Cela doit passer aussi par les médias. Il y a un certain usage des stéréotypes dans la publicité ou dans les séries par exemple. On voit aujourd’hui des femmes avocates, juges, mais justement une femme garagiste, une femme brocanteur, cela aurait du sens cela aussi. » Pour lui, les stéréotypes de genre se construisent mentalement de manière très diffuse et aussi via les séries ou les fictions programmées.

 

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