« On paie les conséquences de l’affaiblissement du dialogue social »

« On paie les conséquences de l’affaiblissement du dialogue social »

Alors que l’ensemble des syndicats de la SNCF ont levé le préavis de grève pour le nouvel an, Stéphane Sirot, historien spécialiste de l’histoire des grèves et du syndicalisme et enseignant à l’université de Cergy Pontoise, revient sur l’originalité de cette grève organisée hors cadre syndical.
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Par Clara Robert-Motta

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Si les syndicats ont accepté de déposer un préavis de grève pour le 24 au 25 décembre et pour le week-end du nouvel an (ce dernier a été levé le 23 décembre), ils n’en sont pas à l’origine et n’appellent pas à la grève. C’est un collectif de contrôleurs de trains - collectif national ASCT (Agents du service commercial trains) - qui a lancé la mobilisation fortement suivie dans cette profession. Est-ce un phénomène nouveau de passer outre les organisations syndicales ?

Stéphane Sirot : Non, ce n’est pas nouveau bien que ce soit plutôt rare. Généralement, les lancements de grève se font à l’appel des syndicats ou via un mouvement qui part du terrain et qui est rejoint par les syndicats. Le cas auquel on assiste aujourd’hui où la grève est lancée par le terrain mais qui se développe hors cadre syndical est, certes, moins utilisé mais pas inédit. A l’hiver 86-87, une grève des cheminots a été lancée par une pétition et n’avait dans un premier temps pas été soutenue par les syndicats.

Ce qui est nouveau en revanche, c’est l’outil utilisé. L’appel à la grève a été lancé par le collectif qui s’est créé sur les réseaux sociaux [le groupe Facebook collectif national ASCT regroupe environ 3 500 membres, nldr]. Depuis les Gilets Jaunes, on se rend compte de l’efficacité des réseaux sociaux à produire une auto-organisation.

Comment expliquer que les contrôleurs aient lancé cette mobilisation sans l’appui des organisations syndicales ?

Il faut tout d’abord dire que les organisations syndicales sont toujours un peu mal à l’aise face à ce genre de mouvement qui est catégoriel, c’est-à-dire qui ne concerne qu’une partie des employés (ici les contrôleurs). La plupart des organisations syndicales préfèrent mobiliser leurs militants lorsqu’il y a des revendications communes et transprofessionnelles.

Dans le cas des contrôleurs, on sent que cette mobilisation n’a pas poussé comme un champignon. Le malaise vient de loin : il résulte de plusieurs semaines, voire mois, de discussions entre contrôleurs. Or, il semblerait que ce mécontentement n’ait été repéré ni par la direction, ni par les organisations syndicales.

Depuis quand s’observe ce décalage ?

Le fait que les syndicats aient de plus en plus de mal à percevoir les informations de terrain n’est pas anodin et est la conséquence directe des réformes. Les ordonnances Macron de 2017 ont réformé les CSE qui ont retiré énormément de moyens aux organisations syndicales. Ils ont créé, notamment à la SNCF, des périmètres y compris géographiques d’intervention de ces CSE. Ce qui fait que ceux qui doivent faire remonter les informations ne peuvent plus être partout à la fois et ont du mal à ausculter le terrain. Ce qui a été présenté comme une redynamisation du dialogue social l’a complètement altéré. On paie aujourd’hui les conséquences de l’affaiblissement du dialogue social.

Je note aussi qu’il y a un sentiment de déclassement, voire d’être méprisé par l’entreprise, chez les contrôleurs. On sent qu’ils ont du mal à accepter et on le retrouve dans l’une de leurs revendications qui est d’être considéré comme du personnel roulant.

Ce genre de collectif est-il l’avenir de la mobilisation ?

Il y a une tendance lourde, dans tous les secteurs, à une désaffiliation à l’égard des organisations syndicales traditionnelles. Cela se retrouve encore dans la forte abstention aux élections professionnelles - même si le taux reste plus élevé chez les cheminots, il est en baisse. Les syndicats ont intérêt à investir dans les réseaux sociaux, devenus incontournables, pour prendre la température des employés dans les boîtes.

Mais attention, les syndicats ne sont pas du tout hors jeu. A la SNCF aujourd’hui, un dialogue est maintenu entre les syndicats et le collectif. De toute façon, le collectif ne peut pas se passer des organisations syndicales qui, légalement, sont les seules à pouvoir déposer un préavis de grève et à entamer des négociations avec l’entreprise. Reste à savoir si le collectif acceptera l’accord qui a été négocié entre les syndicats et l’entreprise.

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