Pénuries de gaz cet hiver ? « Le problème qui va toucher la plupart des Français, ce ne sont pas les coupures, c’est le prix »

Pénuries de gaz cet hiver ? « Le problème qui va toucher la plupart des Français, ce ne sont pas les coupures, c’est le prix »

Après l’annonce de l’arrêt des livraisons de gaz russe en France, le gouvernement et Engie se montrent rassurants. En l’absence de véritable politique de réduction de la demande d’énergie, le risque de coupure cet hiver est à envisager. Mais une explosion des prix a de quoi inquiéter plus encore.
Louis Mollier-Sabet

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Mardi soir, Gazprom a annoncé la suspension des livraisons de gaz au groupe français Engie à partir de ce jeudi 1er septembre. Après avoir utilisé le prétexte du paiement en rouble des exportations de gaz russe pour contourner les sanctions bancaires européennes et mettre la pression sur les énergéticiens occidentaux Vladimir Poutine a fini par couper le robinet gazier à la France, comme cela avait été le cas en Pologne et en Bulgarie dès avril. Depuis l’invasion de l’Ukraine en février dernier, la Russie et l’Europe sont entrées dans un bras de fer autour de l’interdépendance énergétique qui liait les deux blocs en février dernier : d’une part l’Europe – et en particulier l’Allemagne – était largement dépendante des exportations énergétiques russes, mais d’autre part, la Russie était tout aussi dépendante de la manne financière que représentaient ses exportations énergétiques. Depuis février, les deux camps avaient ainsi déjà utilisé ce levier pour faire pression sur l’autre. La Russie a ainsi progressivement diminué ses exportations d’hydrocarbures, en avançant notamment des travaux de maintenance sur ses gazoducs, comme le fameux NordStream, entièrement interrompu ce mercredi. En réponse, l’Europe annonçait de son côté en avril et en mai un embargo respectivement sur le charbon et le pétrole russe.

En cette rentrée 2022, on semble être arrivé au bout de la logique, puisqu’au moment de définitivement couper le robinet, Gazprom ne fournissait plus qu’environ 4 % de l’approvisionnement en gaz d’Engie. Le problème pour les Européens, c’est que si les Russes ont réduit les exportations vers l’Europe de leur pétrole et de leur gaz, cela ne les a pas appauvris pour autant, au contraire, puisque les prix ont explosé. Ainsi, d’après Maria-Eugenia Sanin, économiste spécialiste des questions énergétiques et maîtresse de conférences à l’Université Paris Saclay, si les exportations d’hydrocarbures russes ont « légèrement baissé » en volume, elles ont augmenté de 38 % en valeur depuis le début de la guerre en Ukraine. Même en coupant le gaz aux Européens et en subissant un embargo sur le pétrole, le régime de Vladimir Poutine reçoit plus d’argent en vendant du gaz et du pétrole aujourd’hui qu’avant l’invasion de l’Ukraine.

« Se montrer rassurant, c’est la seule chose que peuvent faire Engie et le gouvernement »

En tout cas, l’Europe devra donc définitivement faire sans les exportations énergétiques d’un pays qui représentait, il y a encore quelques mois, un peu moins de la moitié de ses importations de gaz et de charbon, et un quart de ses importations de pétrole. Pour le gaz, Agnès Pannier-Runacher mise, dans un communiqué datant de mardi soir, sur les stocks de gaz dont « le remplissage devrait atteindre son maximum dans environ deux semaines » et sur la diversification à laquelle travaille la France depuis le début de la guerre, qui a divisé la dépendance au gaz russe par deux d’après elle (de 17 % à 9 %). Élisabeth Borne a donc pu se montrer rassurante sur le plateau de l’émission « Quotidien » ce mardi soir, en affirmant qu’Engie avait « trouvé d’autres sources d’approvisionnement. » Pour Maria-Eugenia Sanin, le gouvernement fait un peu contre mauvaise fortune bon cœur : « La seule chose que peuvent faire Engie et le gouvernement à ce stade, c’est de se montrer rassurant et responsable pour éviter que les marchés réagissent et que les prix ne s’envolent encore plus face à l’incertitude. » Ceci étant dit, l’économiste concède que sur la question du gaz, l’équation est complexe depuis le début : « Autant sur le pétrole on pouvait avoir une chance [d’arriver à se passer des exportations russes, ndlr], autant côté gaz, on peut être plus indulgents avec nos gouvernements parce que la problématique était très difficile vu les infrastructures nécessaires pour substituer le gaz russe. »

Dans ces conditions, il est « probable » d’après elle que certains industriels soient touchés par des coupures de gaz, et que certaines zones soient touchées par des « rationnements planifiés » d’électricité. : « Comme l’offre à court terme est constante, si l’on ne change pas la demande, on aura des rationnements. Or même pendant cet été extrêmement chaud, on n’a consommé du gaz en France que l’on aurait pu stocker pour l’hiver. Exhorter la population à diminuer sa consommation, ce n’est pas une politique publique à la hauteur des enjeux. Soit on croit au marché et on met en place des incitations efficaces avec du signal-prix, tout en protégeant les personnes vulnérables, soit on met en place des mesures coercitives. » En clair, il est difficile de compter seulement sur la bonne volonté des gens, il faut soit les obliger, soit les inciter par les prix : « Il faut déjà faire de la pédagogie pour que les gens comprennent leur facture, et ensuite il faut mettre en place des dispositifs qui rémunèrent les économies d’énergie. Vous n’êtes pas obligé de tout comprendre, on peut par exemple envoyer des SMS dans une région où il est avantageux de consommer à tel moment en disant aux gens que ça leur coûtera moins cher à ce moment-là. »

Prix de l’énergie : « Il faut plusieurs boucliers ciblés »

Un conseil de défense sur cette question de l’énergie aura lieu vendredi 2 septembre, mais à l’heure actuelle, aucun dispositif de « tarification intelligente », ni de dispositif contraignant n’a été annoncé. On en revient donc à l’équation assez simple : si l’offre baisse à demande constante, non seulement on s’expose à des risques de rationnement ou de « coupures » dans le cas de l’énergie, mais surtout, les prix explosent. Et c’est bien le problème principal pour Maria-Eugenia Sanin, qui regrette que la question des prix soit éclipsée par celle des coupures : « Je comprends que l’idée de 'coupure' puisse choquer. Mais est-ce que dire ‘vous n’aurez pas autant de gaz que vous voulez’, c’est vraiment pire que de dire ‘vous aurez autant de gaz que vous voulez, mais le prix est multiplié par 6’ ? » L’économiste, qui travaille notamment sur les questions de précarité énergétique, met en garde : « Même sans parler de coupures, des ménages vont se rationner volontairement, et ne se chaufferont pas. Le problème qui va toucher la plupart des Français, ce ne sont pas les coupures, c’est le prix. D’autant plus que du côté industriel, si le coût de la principale matière première est multiplié par 4, 5 ou 6, cela a un impact énorme sur tous les autres prix. » L’Observatoire National de la Précarité Energétique (ONPE) estime que 12 millions de Français sont vulnérables et pourraient donc être fortement touchés par une augmentation des prix.

Le gouvernement a pour l’instant limité cette hausse avec son « bouclier tarifaire », mais la mesure n’est pas pérenne, estime Maria-Eugenia Sanin : « Le bouclier cache le prix, or le prix c’est aussi un signal d’à quel point on dispose ou pas d’une ressource. Si on fait un bouclier uniforme, on protège les riches d’être confrontés à la rareté des ressources énergétiques. Il faut plusieurs boucliers ciblés : pour les plus précaires, pour ceux qui ont besoin de cette ressource pour travailler… Avec les nouveaux compteurs on en a la possibilité technique. » Enfin, face aux tensions d’approvisionnement en gaz, le charbon a pu être évoqué comme un recours – temporaire – pour passer l’hiver. La loi pouvoir d’achat de cet été a permis au gouvernement de fixer un cadre légal au redémarrage de la centrale à charbon de Saint-Avold, mais, même sans parler de l’impact écologique du charbon, ce n’est pas une véritable solution, d’après l’économiste : « En France, ce que l’on pourrait produire grâce au charbon est tout à fait marginal, c’est simplement un mauvais signal envoyé aux marchés qui montre que l’on tâtonne et que l’on ne sait pas trop où l’on va. »

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