Porno : « Il ne faut pas voir uniquement ces femmes comme des victimes », souligne le journaliste, Robin D’Angelo
Deux journalistes spécialistes de la pornographie étaient auditionnés par la délégation aux droits des femmes du Sénat qui prépare un rapport d’information sur les dérives de cette industrie. Ils ont invité les élus a aborder ce sujet avec une approche de « réduction des risques », plutôt qu’abolitionniste.

Porno : « Il ne faut pas voir uniquement ces femmes comme des victimes », souligne le journaliste, Robin D’Angelo

Deux journalistes spécialistes de la pornographie étaient auditionnés par la délégation aux droits des femmes du Sénat qui prépare un rapport d’information sur les dérives de cette industrie. Ils ont invité les élus a aborder ce sujet avec une approche de « réduction des risques », plutôt qu’abolitionniste.
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Plus les auditions se suivent et plus les sénatrices et les sénateurs de la délégation aux droits des femmes découvrent l’étendue des enjeux et la difficulté d’apporter une réponse législative pour protéger les victimes de l’industrie pornographique. La qualification de « victime » est d’entrée sujette à débat.

Le journaliste indépendant, Robin D’Angelo auteur de « Judy, Lola, Sofia et moi » (ed. la Goutte d’Or), une immersion de plus d’un an dans le monde du porno, corrige assez vite la présidente centriste de la délégation aux droits des femmes, Annick Billon qui fait la comparaison entre les victimes de la prostitution et les victimes de la pornographie.

Même s’il indique que les « abus sexuels sont omniprésents » dans le parcours des actrices, « ces femmes ne se considèrent pas comme des victimes […] La plupart font ce qu’elles peuvent et ne se considèrent pas malheureuses dans leur vie d’actrice porno. J’ai essayé de leur tenir ce discours-là (de victime) et je me suis pris un mur ».

« On est dans un rapport d’estime de soi »

Plus loin, il précise. « Il y a une différence notable entre prostitution et pornographie, c’est celle de l’image. On est dans un rapport d’estime de soi. On peut vouloir se donner une existence médiatique qui n’existe pas dans la prostitution. Il faut se rendre compte de la notoriété de certaines femmes dans les salons du X […] Il faut essayer de changer la perspective et ne pas voir uniquement ces femmes comme des victimes. Le cœur du sujet c’est pourquoi les hommes commettent ces abus », souligne-t-il

Marie Maurisse, journaliste et auteure de « Planète Porn, Enquête sur la banalisation du X » (ed. Stock), complète. « Parmi les actrices que j’ai rencontrées, plusieurs n’ont jamais été abusées dans leur jeunesse et pour elles, la pornographie a été extrêmement libératrice. Ce sont des femmes qui ont vécu une enfance dans des familles traditionnelles ou le rapport au corps était tabou. Elles assument totalement de vivre dans ce milieu »

Pour mémoire, la délégation aux droits des femmes prépare un rapport et des préconisations sur les dérives de l’industrie pornographique suite aux révélations de l’affaire du porno français » ou « french bukkake » dans laquelle une cinquantaine de victimes sont déjà identifiées, et une dizaine de producteurs et acteurs sont mis en examen pour viols en réunion, traite d’êtres humains et proxénétisme.

Et comme le rappelle la sénatrice communiste, Laurence Cohen, les membres de la délégation ont été particulièrement marquées par l’audition des représentantes d’associations (Le Nid, Les Effrontées, Osez le féminisme), parties civiles dans l’affaire du porno français, qui ont décrit les « viols filmés, d’actes de torture et de barbarie, de pédocriminalité, d’incitation à l’inceste, de proxénétisme », de certaines productions.

Lire notre article : Porno : « C’est du proxénétisme à l’échelle industrielle », dénoncent les associations féministes auditionnées au Sénat

Jacquie et Michel développe un marketing éthique alors qu’ils étaient au courant du fonctionnement de leurs producteurs »

Robin d’Angelo rappelle que des lois punissent déjà ces infractions et préfère insister sur le système économique du porno. « On est dans une hiérarchie entre les diffuseurs et les producteurs. Les diffuseurs font tout pour ne pas être les responsables légaux des producteurs, parce qu’ils savent très bien que certaines vidéos sont tournées dans des conditions déplorables avec des abus. Je pense à Dorcel ou Jacquie et Michel. Jacquie et Michel essaye de développer aujourd’hui tout un marketing éthique, alors que pendant des années il était au courant du fonctionnement de leurs producteurs ».

Comme les sociologues auditionnés avant eux, les journalistes ont invité les élus à ne pas prendre « le porno comme un monde à part ». « C’est une loupe sur les abus qui existent partout dans le monde […] Les pratiques dans ces films ne sont qu’une sexualisation des rapports sociaux […] par exemple lors des scènes interraciales […] On va sexualiser les stéréotypes racistes qui existent déjà dans la société », relève Robin D’Angelo.

Lire notre article : Porno : « Il faut cesser de traiter la pornographie comme un problème en soi », plaide une sociologue devant le Sénat

La question du consentement des actrices est également au cœur des travaux de la délégation. « A partir du moment où l’on estime que la prostitution n’est pas un métier, et c’est mon cas, on ne va pas rentrer dans des histoires de contrats de travail et pour la pornographie, c’est la même chose. Je me pose plus la question de la protection », s’interroge Laurence Cohen.

« Nous ne sommes pas tous égaux devant le consentement »

« Il faut prendre la pornographie comme la prostitution. Elle existe et elle existera toujours. C’est une économie mondialisée. Donc si vous mettez des règles à un endroit, les gens vont se déplacer […] C’est un casse-tête. Augmenter les contrôles et développer la prévention me semble deux axes majeurs pour travailler », explique Marie Maurisse.

Cette approche de « réduction des risques » est soutenue par son confrère. Il qualifie la pornographie « de monétisation de la contrainte ». « Est-ce qu’on veut contractualiser cette relation ? […] La question du contrat rejoint la question du consentement. Nous ne sommes pas tous égaux devant le consentement. Une jeune femme de 19 ans en rupture familiale exposée à des violences depuis l’âge de 15 ans, son consentement n’aura pas la même valeur qu’une femme de 35 ans, insérée socialement qui fait ça pour son plaisir. Faire un contrat de travail à cette jeune femme de 19 ans serait cynique ».

 

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