Pour la reprise de l’école le 11 mai, « le facteur économique a prévalu sur l’urgence sanitaire »

Pour la reprise de l’école le 11 mai, « le facteur économique a prévalu sur l’urgence sanitaire »

Alors qu’Emmanuel Macron a décidé de la reprise des cours à partir du 11 mai, le Conseil scientifique préconise une reprise en septembre. Selon le sénateur LR Max Brisson, « les propos contradictoires du gouvernement génèrent de l’angoisse chez les parents et les enseignants, et donc menacent la réussite du retour à l’école ». Pour les collectivités, la mise en pratique sera ardue.
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Dans la gestion périlleuse du déconfinement, la reprise de l’école le 11 mai devient l’un des sujets les plus sensibles pour le gouvernement. Pour les parents et enseignants, qui attendent de la clarté, c’est raté. Et ce n’est pas le dernier avis du Comité scientifique qui va arranger les choses, bien au contraire. Selon ses recommandations, publiées étonnamment samedi soir, à 22 heures, il convient de ne reprendre l’école qu’en septembre, en raison de la crise sanitaire. « Le risque de transmission est important dans les lieux de regroupement massif que sont les écoles et les universités » écrit le Comité dans son avis, daté du 20 avril.

Alors qu’Emmanuel Macron avait annoncé le 13 avril la réouverture progressive des écoles à partir du 11 mai, « le Conseil scientifique prend acte de la décision politique en prenant en compte les enjeux sanitaires mais aussi sociétaux et économiques, de réouverture progressive ». Manière polie d’exprimer son désaccord.

Communication gouvernementale peu compréhensible

Cela s’ajoute à une communication gouvernementale peu compréhensible ces derniers jours. Le ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, a d’abord présenté une reprise échelonnée des cours, selon les niveaux, avant que le gouvernement ne précise que le retour à l’école se fera sur la base du volontariat.

Une situation qui inquiète davantage des syndicats qui n’étaient déjà pas rassurés (voir notre article). « Cela créé un sentiment d'insécurité chez tout le monde », affirme à l’AFP Francette Popineau, secrétaire générale du SNUipp-FSU, premier syndicat du primaire. Elle demande un « cadrage national sécurisé ». « Les parents d'élèves ont le sentiment que le gouvernement ne sait pas où il va (…) et donc beaucoup n'enverront pas leurs enfants, c'est certain », selon Rodrigo Arenas, co-président de la FCPE, première fédération de parents.

« Comment faire confiance au gouvernement ? »

Chez les sénateurs spécialistes des questions d’éducation, la même interrogation prévaut. « On n’y comprend plus rien. Dans la note du Conseil scientifique, il y a écrit à la fin « faire confiance pour garder la confiance ». Je m’interroge. Comment faire confiance au gouvernement ? » demande le sénateur LR Jacques Grosperrin, qui a animé un groupe de travail de la commission de l’éducation et de la culture du Sénat sur ce sujet de la reprise.

Il est « persuadé » qu’Emmanuel Macron savait déjà, lors de son annonce du 13 avril, que le Conseil scientifique était contre la reprise des cours. « Mais le facteur économique a prévalu sur l’urgence sanitaire » selon le sénateur LR du Doubs. Autrement dit, on renvoie les enfants à l’école pour permettre aux parents de travailler. « Je peux l’entendre » dit-il. Mais il se demande si on ne peut pas permettre la reprise économique sans retour automatique à l’école. Pour la sénatrice PCF Céline Brulin, « le fait de ne pas permettre un retour de l’épidémie doit rester prioritaire, en toutes circonstances ». La sénatrice de Seine-Maritime, membre du groupe de travail, craint « derrière un risque à nouveau de saturation des hôpitaux. Et une reprise précipitée qui relancerait l’épidémie aurait justement des conséquences catastrophiques pour l’économie ».

« Il y a eu une explication de texte entre Edouard Philippe et Jean-Michel Blanquer »

Jacques Grosperrin « trouve inquiétant qu’au plus haut niveau de l’Etat, il n’y ait pas une coordination plus forte. Chacun tire sa partition ». Entre Matignon et la rue de Grenelle, il y a de la friture sur la ligne.

« Il paraît que directeur de cabinet de Matignon a dézingué le directeur de cabinet de Blanquer » selon Jacques Grosperrin, « et il y a eu une explication de texte entre Edouard Philippe et Jean-Michel Blanquer à l’Assemblée ». Le sénateur ajoute :

Une telle cacophonie n’est pas de nature à apporter la confiance.

Un rapport du Sénat préconise de « se donner les moyens de la réussite » pour la reprise

Pour le sénateur LR Max Brisson, membre aussi du groupe de travail du Sénat, « ces propos souvent contradictoires de la part de l’ensemble des autorités, Président, Premier ministre, ministre de l’Education ou Conseil scientifique, n’ont qu’un effet : générer de l’angoisse, de l’inquiétude chez les parents et les enseignants, et donc menacent la réussite du retour à l’école ». Le sénateur des Pyrénées-Atlantiques, ancien rapporteur du texte sur l’école au Sénat, est loin de donner la moyenne à la copie du gouvernement :

C’est une absence totale de méthode, de calendrier et de prise en considération des collectivités territoriales.

Selon le sénateur, ancien inspecteur général de l’Education nationale, « le gouvernement aurait pu décider une rentrée en septembre, comme au Portugal ou en Italie. D’autres pays ont décidé un retour en mai. Pourquoi pas. Mais à ce moment-là, il faut se donner les moyens de la réussite. C’est ce qu’on propose dans notre rapport du groupe de travail. Il faut une méthode, et pas des déclarations dans tous les sens » (lire ici le rapport).

Selon Max Brisson, « il manque un protocole sanitaire adapté à chaque niveau » et « très sécurisé », « un protocole scolaire » et une concertation « au plus près du terrain », « par bassin pour l’école primaire, et même au niveau des établissements pour collèges et lycées ». L’enseignement professionnel, difficile à distance, et l’apprentissage des fondamentaux devraient ainsi être des priorités.

« A titre personnel », Jacques Grosperrin « pense qu’on pourrait aller plus loin ». « On pourrait faire des tests sur deux territoires, l’un touché, l’autre pas, pour voir si cela marche sans reprise de l’épidémie, avec uniquement les CP et CE1 pour les apprentissages fondamentaux. Pour les autres, ça ne sert à rien de reprendre. Et si ça marche, on généralise » imagine-t-il. Mais pour l’heure, il convient globalement de « ne pas ouvrir les écoles avant septembre. L’avis du Conseil est clair » ajoute Jacques Grosperrin.

Remise à niveau

Un argument plaide cependant en faveur de la reprise. Les inégalités sociales, que le confinement ne fait que renforcer. Toutes les familles n’ont pas la même aisance, ou le temps, pour organiser l’école à distance. Le décrochage menace certains élèves. Autre facteur, moins évoqué : les conséquences de la fermeture des cantines. Dans les familles pauvres, elle se traduit par « des milliers » d’enfants qui ont « faim », selon le Défenseur des droits, Jacques Toubon, auditionné la semaine dernière au Sénat.

Face au décrochage, le rapport du Sénat préconise que la rentrée de septembre soit concentrée sur la « remise à niveau ». Max Brisson est ainsi « opposé à l’idée d’une rentrée » le 15 septembre, comme proposée par des députés LR. Le sénateur évoque au contraire une reprise « fin août » pour rattraper le retard.

« Les inégalités scolaires ne datent pas du confinement » souligne pour sa part la communiste Celine Brulin, « elles sont profondes et structurelles ». Elle préconise déjà « de faire une pause sur les suppressions de postes. Il y en a en pagaille dans le secondaire ». Sur le point de la cantine, « en effet, il y a des enfants qui mangent moins à cause du confinement. Mais comment on organise la cantine, qui est parfois une cuisine centrale pour l’ensemble de la commune ? Et comment apporter le repas, car ils doivent se faire à la place de l’enfant en classe ? » demande la communiste.

« Il y a des maires qui n’excluent pas de ne pas rouvrir les écoles le 11 mai »

La sénatrice touche du doigt la mise en application très pratique de la reprise. C’est là que les choses peuvent coincer. « J’ai plein de maires qui m’interpellent. Il y a beaucoup d’endroits où ce ne sera évidemment pas prêt pour le 11 mai, et peut-être des endroits où ça ne sera pas possible. Il y a des maires qui n’excluent pas de ne pas rouvrir les écoles le 11 mai » raconte Céline Brulin. Le maire d’Hautmont, dans le Nord, a ainsi déjà pris un arrêté de fermeture des écoles de sa ville, en prévision du 11 mai.

Exemple de question à régler : « Vous croyez que les régions pourront doubler le nombre de bus ou faire des rotations pour respecter les distances dans le bus ? » demande la sénatrice. Sans oublier la présence des enseignants. « On ne sait pas quels seront ceux qui pourront enseigner par rapport à leur état de santé » souligne la sénatrice PCF. Quant à un droit de retrait, le ministre s’y oppose sauf pour ceux qui souffrent d’une pathologie ou sont en « fragilité ».

Mais face à ce qui peut être ressenti au mieux comme une désorganisation voire une pagaille, beaucoup de parents devrait garder leur progéniture à la maison. Deux tiers d’entre eux feront ce choix, selon un sondage Odoxa-Dentsu Consulting pour Le Figaro et France Info, publié la semaine dernière. Edouard Philippe a intérêt à être clair et précis, ce mardi à l’Assemblée, en présentant le plan de déconfinement, s’il veut rassurer tout le monde et retrouver la confiance.

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