Prévisions économiques pour début 2023 : « On est au bord de la récession », selon l’économiste Christian de Boissieu
Alors que l’Insee table sur une hausse du PIB pour les deux premiers trimestres de 2023, l’économiste Christian de Boissieu estime pour sa part que l’incertitude est grande.

Prévisions économiques pour début 2023 : « On est au bord de la récession », selon l’économiste Christian de Boissieu

Alors que l’Insee table sur une hausse du PIB pour les deux premiers trimestres de 2023, l’économiste Christian de Boissieu estime pour sa part que l’incertitude est grande.
Guillaume Jacquot

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Comment va évoluer l’économie française en 2023 ? La dernière note de conjoncture de l’Insee esquisse un portrait des mois à venir. Si l’institut statistique voit désormais la croissance fléchir au dernier trimestre 2022 avec un recul de 0,2 % du PIB, elle anticipe un rebond de 0,1 % au premier trimestre, puis de 0,3 % au second trimestre. Au cours de la conférence de presse, le département de la conjoncture a évoqué un « rhume passager dont en général on se remet ». Nous avons interrogé Christian de Boissieu, vice-président du Cercle des économistes sur les scénarios qui se dégagent l’an prochain. Ce professeur émérite à l’université Paris-1 Panthéon-Sorbonne se montre prudent.

Quel est votre regard sur la situation globale de l’économie française pour 2023 ? Partagez-vous l’optimisme de l’Insee sur la croissance ?

L’incertitude est forte. Je pense qu’il faut partir de l’idée qu’avec ce qu’il se passe dans le monde – la guerre en Ukraine et le covid-19 qui n’est pas terminé – qu’il est encore plus compliqué que d’habitude de faire des prévisions. Il ne faut pas s’arc-bouter sur des chiffres après la virgule. Une reprise à 0,1 %, c’est vraiment l’épaisseur de la feuille de papier de cigarette. Un recul n’est pas exclu au premier trimestre et alors la France serait alors officiellement en récession.

Certes, les perspectives sont moins mauvaises que chez certains de nos voisins, l’Allemagne va connaître une récession l’an prochain, l’Italie aussi. Nous, on est au bord de la récession, on a une croissance qui va être proche de zéro en début d’année. Sur l’ensemble de l’année 2023, j’attache plus de poids aujourd’hui aux prévisions qui disent que l’on va être entre 0 et 1 % de croissance. Le gouvernement continue à rester sur sa prévision de 1 %, mais l’acquis de croissance va être relativement faible. Je suis autour de 0,5 voire 0,7 %. On va avoir du mal à atteindre 1 %, sauf si ça s’améliore sur le front de l’énergie. Cela dépendra de ce qu’il va se passer en Ukraine : ne demandez pas aux économistes de prévoir ce que les géopolitologues et les miliaires n’arrivent pas à prévoir.

L’Insee estime que le pic de l’inflation en France n’a pas encore été atteint. Ils anticipent une hausse annuelle des prix de 7 % en janvier, qu’en pensez-vous ?

Je rejoins leurs prévisions. On était à 6,2 % en novembre, comme en octobre. On a l’impression d’être sur un plateau. Elle va s’accélérer en décembre et au début de l’année prochaine, au fur et à mesure que les soutiens de l’État vont être réduits et plus ciblés, comme les subventions sur le carburant et le bouclier tarifaire.

On avait jusqu’alors un écart de quatre points par rapport à la moyenne de la zone euro, où l’inflation était à 10 %. C’est dû au quoiqu’il en coûte, au bouclier tarifaire. Dans la mesure où ces mesures d’application générale vont être redigérées vers les populations qui en ont le plus besoin, l’écart entre l’inflation française et la moyenne en zone euro va se réduire.

Cette inflation pose un problème pour la consommation. Quand bien même les salaires augmentent dans beaucoup de cas, ils augmentent moins vite que l’inflation. Il y a des pertes, et cela pèse sur les ménages. L’inflation va continuer à peser début 2023. D’ailleurs, le taux d’épargne va rester élevé, alors qu’on pouvait penser que les Français allaient utiliser une partie de l’épargne accumulée pendant le covid-19. Le taux d’épargne pourrait être autour de 18 % en fin d’année ou en début d’année prochaine.

L’inflation pourrait-elle rester durablement élevée ?

Je ne pense pas qu’on va aller à une inflation à deux chiffres, comme dans les années 1970, entre deux chocs pétroliers. Une fois qu’on sera à 7 %, compte tenu de ce qui est difficile de prévoir, dans le domaine de l’énergie, ça peut retomber légèrement. On ne va pas retrouver une inflation à 1 ou 2 % tout de suite. Mon hypothèse, c’est qu’on va être sur un plateau entre 5 et 6 % pour une partie de l’année 2023.

Le scénario d’une spirale inflationniste peut-il se produire, l’inflation alimentant la hausse des salaires, et ainsi de suite ?

Je ne pense pas que la boucle prix-salaire soit enclenchée. On est dans une situation différente des années 1970. Il y a des hausses de salaire significatives mais qui sont en moyenne en dessous de l’inflation. Elles sont en moyenne de 4 %, quand l’inflation est autour de 6 %. Les hausses de salaires qu’on constate en France sont justifiées, c’est souvent un rattrapage après des périodes de quasi-gel des salaires.

Ce vendredi, l’Insee a également annoncé une hausse de la dette publique de la France, de 0,4 point de PIB, pour atteindre 113,7 % du produit intérieur brut. C’est 15 points de plus par rapport à 2019, avant la pandémie. Ce niveau vous inquiète-t-il ?

C’est tout le débat sur la soutenabilité. Si on fait un raisonnement comme Olivier Blanchard, tant que le taux de croissance est supérieur aux taux d’intérêt réel sur la dette, c’est soutenable. Mais il n’y a pas que ça. Je pense que les problèmes de soutenabilité sont clairement posés, y compris de la dette privée. Car c’est un peu artificiel de séparer dette privée et dette publique, compte tenu des vases communicants entre les deux.

L’Allemagne avait un ratio de dette pratiquement au seuil de 60 % du PIB. Ils ont pris 15 % comme nous. Nous, on était à 97 %. Le problème de la France, c’est qu’on ne gère pas les finances publiques sur la durée du cycle. Quand il y a de la croissance, on n’en profite pas pour réduire le déficit et la dette. Le problème, ce n’est pas le quoiqu’il en coûte, il a été pratiqué partout, de manière à éviter de créer des drames. Mais le problème est qu’on attaque ces crises, covid-19 et guerre en Ukraine, à partir de ratios de dettes trop élevés. Les charges de la dette vont monter avec la hausse des taux d’intérêt, ça laisse de moins en moins de marges de manœuvre sur les autres dépenses. La gestion des finances publiques va être compliquée.

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