« Profs décrocheurs » : une polémique qui passe mal chez les enseignants

« Profs décrocheurs » : une polémique qui passe mal chez les enseignants

5% des professeurs n'auraient pas travaillé durant le confinement. Pour les syndicats enseignants, focaliser le débat sur une minorité relève du « prof-bashing », alors même que les professeurs ont dû improviser l'école à distance pendant la période et gèrent comme ils peuvent la difficile reprise des classes. Certains parents d'élèves jugent les syndicats trop susceptibles.
Public Sénat

Par Fabien Recker

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« Je trouve ça assez pitoyable. Je pense que les gens ne savent pas ce que c’est que d'être prof ! » Comme nombre de ses collègues, Hélène*, professeur d’anglais dans un collège du 18ème arrondissement de Paris, n’a pas vraiment goûté la polémique sur les « profs décrocheurs ». 

Mardi 9 juin, un reportage diffusé dans le JT de France 2 est venu relancer un débat qui occupe les éditorialistes depuis la réouverture partielle des écoles le 2 juin. Selon cette enquête, 4 à 5% des enseignants n’auraient fourni aucun travail pendant le confinement, ce qui représenterait environ 40 000 professeurs. Interrogé mercredi 10 juin au micro de RTL, Jean-Michel Blanquer a commenté l’information. « Comme dans chaque métier, vous avez une immense majorité de la corporation qui est remarquable, mais il y a bien sûr des personnes qui n'ont pas été à la hauteur » a affirmé le ministre, avant d’ajouter que « quelqu'un qui ne fait pas son travail est sanctionnable ». 

Un chiffre qui pose question

« On est très courroucés » reconnaît Claire Krepper, responsable nationale du syndicat enseignant UNSA. « Cela nous a beaucoup affectés, dans une situation où les enseignants sont sous pression (...) Nous aurions préféré qu’on focalise l’attention sur le fait que 95% des professeurs ont fait leur travail » indique la syndicaliste.  

D’autant que le chiffre de 5% pose question, puisqu’on ne connaît pas les raisons de ces absences. Contacté par Publicsenat.fr, le cabinet de Jean-Michel Blanquer n’a pas apporté de précisions, mais a reconnu auprès de nos confrères de LCI que ce chiffre était à prendre avec des pincettes, s’agissant d’une estimation. 

Pas plus d'absentéisme que dans d'autres corps de métier ?

Et comme dans tous les corps de métier face à l’épidémie de coronavirus, les possibles motifs d’absence sont nombreux, insiste Francette Popineau, secrétaire générale du Snuipp-Fsu. « On a des enseignants absents pour raisons de santé, qui sont arrêtés du fait du covid, pour cause de garde d’enfants ou parce qu’eux ou leurs proches ont des pathologies à risque » détaille la syndicaliste. Claire Krepper de l’UNSA pointe également les « problèmes d’équipement et d’absence de formation pour assurer la continuité pédagogique à distance », qui ont pu conduire une minorité de professeurs à ne pas faire de suivi continu pendant le confinement. 

« Ca laisse planer l’idée que quand on est fonctionnaire on peut se planquer » regrette Francette Popineau. « C'est mal connaître la réalité de notre métier. » La syndicaliste rappelle que les directeurs d’école « envoient aux inspecteurs l'organisation qu’ils ont trouvée pour la faire valider. L’école est très contrôlée. » « On doit quand même des comptes à notre hiérarchie, on ne fait pas ce qu’on veut » confirme Hélène, la professeur d’anglais. 

« L’enseignant fait souvent une double journée »

Et si le retour en classe ne se fait que progressivement malgré le déconfinement, ce n’est pas du fait des professeurs, assurent les syndicats. « Nos directeurs n'arrêtent pas de faire et défaire des organisations au fil des changements de pied du protocole et des annonces du ministre. Les collègues s’adaptent comme ils le peuvent » insiste Claire Krepper. « Nous avons plus d’élèves à distance que d’élèves en présence. Il nous faut donc aussi assurer le distanciel. L’enseignant fait souvent une double journée ». 

« On a juste envie d'y retourner »

Dans le collège d’Hélène, « la reprise est ultra-progressive. On n'a pas assez d’agents pour entretenir et désinfecter les salles comme le veut le protocole. On ne peut utiliser que six salles par jour. On n’est pas beaucoup dans l’établissement » reconnaît l’enseignante, qui a revu uniquement sa classe de 6ème pour l’instant et continue l'enseignement à distance avec les autres niveaux. « Ce n’est pas de la mauvaise volonté ! On a tous juste envie d’y retourner, et ce depuis des semaines. Tout nous a manqué, les rapports sociaux, mais aussi de pouvoir raccrocher avec nos gamins ». 

Dès lors, pourquoi cette polémique ? « Nous nous demandons qui a lancé ce débat et dans quel but » s’interroge Claire Krepper. « Quel est l’objectif de focaliser l’attention sur les peut-être 5% de collègues qui auraient pu se trouver mis en difficulté par la situation de crise sanitaire et seraient qualifiés de “prof décrocheurs” ? » Pour Francette Popineau, ce débat arrange le ministère. « Il n’y a eu aucune anticipation de la fermeture. Les professeurs ont assuré l’enseignement à distance du jour au lendemain sans aucune formation. Le ministre les a mis dans l’embarras, et là il déplace la focale (...) Ce n’est pas très fair play ». 

Plus de nouvelles pendant deux mois

« Je suis un peu étonnée que les syndicats montent au créneau », tempère Valérie Marty. L’ancienne présidente de la Fédération des parents d'élèves de l'enseignement public (PEEP) et responsable locale de parents d’élèves dans le 92 tient à distinguer le primaire du second degré. « Dans le premier degré, les enseignants ont fait le maximum pour maintenir le lien. Dans le second degré les choses étaient quand même différentes. Avec le confinement, les parents se sont plus souvent connectés aux ENT (espace numérique de travail, n.d.l.r.) qui leur permettent de suivre les notes, les devoirs, pour essayer de suivre comment s'organisait la classe. Et là les parents ont pu constater quand un enseignant ne donnait plus du tout de nouvelles pendant deux mois. C’est réel. » 

« Dans le secondaire c’est tout ou rien » soupire une maman d’élève adhérente de la PEEP. « Vous avez des professeurs hyper-investis, et d’autres dont on a entendu parler la première semaine, et la semaine dernière. Entre les deux, rien. Et ce sont des profs de langue, donc c’est embêtant ». Cette mère d’un lycéen scolarisé dans les Hauts-de-Seine estime tout de même que 85% des professeurs du lycée en question ont assuré la continuité pédagogique durant le confinement.

« Je ne connais pas de prof qui a disparu »

Pour le sénateur LR Max Brisson, ancien inspecteur académique et spécialiste des questions d’éducation, le débat sur les « profs décrocheurs » est vain. « La langue de bois voudrait dire que tous les professeurs sont excellents, ce n’est évidemment pas vrai. Mais zoomer sur les tire-au-flanc est injuste. Il y a d’excellents professeurs qui sont dans le renouvellement permanent, et ceux qui essaient de faire correctement leur travail, qui sont l’immense majorité ». Pas de tire-au-flanc parmi les collègues d’Hélène en tout cas. « Je ne connais pas de prof dans mon collège ni parmi mes amis profs qui ait disparu ! » assure la prof d’anglais. 

 

*Le prénom a été modifié









 

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