« Quand on a des maladies incurables, la place est bonne pour tout à coup annoncer des remèdes »

« Quand on a des maladies incurables, la place est bonne pour tout à coup annoncer des remèdes »

L’un est associé à la découverte du vaccin contre la rage, l’autre à celle du bacille de la tuberculose auquel il a laissé son nom. Le Français Louis Pasteur et l’Allemand Robert Koch se sont livrés un duel à distance à la fin du XIXe siècle. La rivalité nationaliste et scientifique entre les deux hommes est racontée dans un docufiction à découvrir sur Public Sénat ce week-end. Médecin et philosophe au CNRS (unité SPHERE), Anne-Marie Moulin nous livre son regard sur ce film et l’histoire de ces deux immenses chercheurs.
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L’histoire des sciences nous éclaire sur le présent, et nous aide parfois à mieux mesurer comment a évolué l’éthique, ou la coopération en matière de recherche scientifique. De la rivalité franco-allemande de la fin du 19e au programme de recherche internationale d’un vaccin contre le coronavirus Anne-Marie Moulin, médecin et philosophe évoque ici les changements intervenus depuis l’époque où Louis Pasteur et Robert Koch se livraient une bataille scientifique féroce.

 

En France on connaît bien le nom de Louis Pasteur, avec la pasteurisation et la découverte du vaccin contre la rage, mais Robert Koch est moins populaire. Pourtant si le film de Mathieu Schwartz montre qu’ils sont concurrents, leurs apports à la science sont d’égales importances : ils ont eu des parcours parallèles, l’un en France et l’autre en Allemagne ?

Je pense que ce sont deux hommes très différents. Robert Koch est un médecin de campagne, comme c'est très bien dit dans le film, alors que Pasteur est un brillant sujet qui a fait une carrière universitaire, il a été normalien, il a épousé la fille du doyen de Strasbourg : un personnage qui évolue dans un cadre très différent de celui de Koch.

Vous me dites aussi que Robert Koch est moins populaire. Oui c’est vrai, parce que Pasteur garde encore une renommée véritablement internationale. En France, il n'y a pas une ville qui n'a pas une rue Pasteur. À l'étranger, aux États-Unis par exemple, Pasteur est le premier savant français connu, si les gens n'en connaissent qu'un c'est Pasteur. Koch est beaucoup moins connu. Il est moins populaire, il est aussi une figure plus difficile à mettre en valeur. Et ce déjà de son vivant, par exemple l'épisode qui est bien raconté de son divorce, de sa passion pour sa deuxième femme, tout cela, surtout à l'époque, ce sont des choses qui empêchaient la figure du héros d'émerger totalement.

Ils n'ont pas vraiment collaboré mais ils se sont stimulés mutuellement. La rivalité a probablement servi à éperonner le zèle des uns et des autres.

 

vaccin moutons
L'expérience de Pouilly-Le-Fort
"Pasteur et Koch : un duel de géants dans le monde des microbes", de Mathieu Schwartz

Pasteur va mettre en scène ses découvertes. Il montre l’efficacité de la vaccination contre la maladie du charbon avec l’expérience publique de Pouilly-le-Fort en 1881 par exemple. Il insiste dans le film sur la nécessité de démontrer publiquement pour toucher la population. Est-ce une des caractéristiques de Louis Pasteur ?

Pasteur avait le sens de la mise en scène. Par exemple, on attribue son intérêt pour la rage au fait qu'enfant, il avait assisté à la cautérisation d’une personne qui avait été mordue: c'était supposé éviter la circulation du poison à partir de la morsure. On mettait le fer rouge dans la plaie, vous pouvez imaginer les hurlements. Pasteur y aurait assisté et ça l'aurait beaucoup marqué. C’est possible. Mais au-delà de ça, il y a certainement le choix de s’intéresser à une maladie spectaculaire. Je pense que ce sens du spectacle était fort. Et c'était un amoureux du verbe. Ses discours sont vivbrants, dans le style de son temps, volontiers assez grandiloquent.

 

C’est pour cela qu’il a marqué les esprits ?

Oui et au-delà de ça, c'est un universitaire mais c'est aussi un homme du peuple. Par ses racines populaires, il a baigné dans une tradition rurale. C’est donc quelqu'un qui était resté proche du peuple.

La deuxième chose, et la grande différence avec Koch, c'est que l'institut Koch et l'institut Pasteur n'ont pas eu du tout le même destin. Quand l'institut Pasteur a été construit, il y a eu une souscription qui a été ouverte dans tous les journaux, allant quasiment de l'extrême droite à la gauche. Les Français de tous bords ont versé leur aumône. En plus Pasteur, avec un certain génie, a conçu un institut qui était à la fois privé et à finalité publique. Il y avait une certaine roublardise dans la façon dont il a officiellement refusé l'aide de l'État tout en l'acceptant, et en faisant appel au peuple pour une souscription qui a extrêmement bien marché, et dont aujourd'hui le « Pasteurdon » a hérité pleinement.

Institut Pasteur
Institut Pasteur
"Pasteur et Koch : un duel de géants dans le monde des microbes", de Mathieu Schwartz

On voit avec ce film la découverte des bactéries responsables de plusieurs maladies à la fin du XIXe siècle. Est-ce un tournant pour la science ?

Je pense que c'est un moment charnière et que nous nous y référons encore souvent comme aujourd’hui avec l’épidémie du coronavirus. Mais il y a un léger biais dans le film. Les Allemands ont découvert beaucoup plus de bactéries que les Français : le bacille de la typhoïde, le vibrion du choléra, le bacille de la tuberculose, du charbon... 

Il y a eu des erreurs aussi, d'ailleurs on parle beaucoup moins des erreurs de Pasteur que de celles de Koch dans le film.

Une des raisons qui explique la réussite scientifique des Allemands c'est le fait que les Allemands avaient des techniques un peu différentes. Pasteur privilégiait les milieux liquides dans des tubes ou des ballons, on le voit d’ailleurs dans le film introduire un germe dans un liquide avec une pipette. Mais ensuite il est difficile de s'y retrouver quand on a une soupe de microbes.

Les équipes autour de Koch avaient un avantage technique, avec l'introduction de la gélose dérivée de l’agar-agar (gélifiant naturel) qui est encore utilisée aujourd'hui pour la culture des bactéries.

Une partie des instruments des laboratoires de bactériologie portent ainsi encore aujourd'hui des noms allemands : Petri pour la boîte de Petri par exemple.

Toute cette atmosphère technique vient de là. Il y avait une supériorité allemande. Les microscopes allemands sont aussi des microscopes bien meilleurs au point de vue optique que les microscopes français, et ça a continué bien au-delà de la période pasteurienne.

Boîte de Petri
Boîte de Petri
"Pasteur et Koch : un duel de géants dans le monde des microbes", de Mathieu Schwartz

Il y avait entre les deux laboratoires une rivalité, tout comme entre l'Allemagne et la France. Cette rivalité se manifestait par le fait par exemple que l'institut Pasteur n'a pratiquement pas eu de stagiaires allemands. L'institut Pasteur, très vite, a recruté des étudiants étrangers, en particuliers beaucoup de Russes, mais aussi des Américains, des Brésiliens etc. Un recrutement que j'ai étudié, qui est très varié, mais je n'ai pas le souvenir d'un Allemand qui soit venu étudier chez Pasteur.

A contrario, Pasteur a envoyé au moins une personne de chez lui pour faire un stage dans le laboratoire de Koch. Et le rapport envoyé par ce stagiaire en France est quasiment un rapport d'espionnage, un rapport d'espionnage scientifique. Il fait une petite étude sur place, et il en profite pour noter tous les renseignements qu'il peut de façon à, s'il y a une avance technique dans le laboratoire, en faire profiter le laboratoire de Pasteur.

 

La rivalité entre nations était extrême ?

On le voit dans le film à plusieurs reprises, Pasteur dit à ses disciples et collaborateurs : « surtout ayez vos hôpitaux à vous, vos propres cadavres ». La consigne est claire. Elle est appliquée plusieurs fois, à Alexandrie et à Marseille. Autrement dit on est très loin de l'idée de la collaboration et du mélange des équipes. Là on est complètement en désaccord avec l'éthique, au moins officielle, d’aujourd'hui. L’heure est maintenant à la coopération, à l'échange des informations, à la confrontation positive...

Du chemin a été parcouru mais c'est fragile. Je pense que le nationalisme est une force qui a animé l'enthousiasme des uns et des autres et les a fait travailler dur. En même temps, ce n'est pas seulement le virus de l'enthousiasme, c'est aussi le virus de la guerre.

Mais dans l'histoire des sciences le nationalisme est extrêmement important. Même aujourd’hui les articles d'histoire de la médecine le reflètent encore. Le chauvinisme n'est pas mort.

Koch et Pasteur
Robert Koch et Louis Pasteur
"Pasteur et Koch : un duel de géants dans le monde des microbes", de Mathieu Schwartz

On voit avec la tuberculine, que Koch est pressé par les gouvernants, qui veulent une avancée scientifique, pour le prestige national. Or cet emballement s’avère désastreux. Le remède contre la tuberculose ne fonctionne pas, elle ne guérit pas de la tuberculose. C’est un échec sous la pression pour Koch ?

Koch a eu un soutien politique en haut lieu, ce qui explique d'ailleurs son ascension rapide et la création de l'institut Koch. Le revers, c’est cette attente impatiente d'un nouveau médicament, d'une nouvelle étape, qui a probablement amené Koch à publier trop rapidement. Mais le traitement de la tuberculine a attiré des tuberculeux du monde entier, avec l'échec que vous savez.

Ce qui est injuste, c'est que finalement l'utilisation de la tuberculine a quand même eu beaucoup d'intérêt, en particulier parce que, certes la tuberculine n'a pas été le traitement magique de la tuberculose, mais ça a été un test : le test à la tuberculine. Quelque part c'est la découverte, plus complexe à expliquer, de l'allergie à la tuberculine. Quand l'organisme humain a été au contact avec le bacille de Koch, il réagit quand on lui met un peu de tuberculine en intradermique par exemple. Il signe le fait qu'il a été au contact avec le bacille. C'est quelque chose qui a largement été utilisé comme dépistage pendant très longtemps.

Avec cette tuberculine, Koch a ouvert une ère très intéressante, mais évidemment compliquée. Ça ouvre des perspectives pour l'immunologie fondamentale, mais ce n’est évidemment pas ce qui plaît à un grand public ou à un gouvernement.

 

Si on fait un parallèle avec la situation actuelle face au Covid-19, y a-t-il un risque d’emballement, d’erreur par volonté d’aller trop vite ? Est-ce déjà arrivé récemment ?

Bien sûr il y a des parallèles possibles. Quand on a des maladies incurables, la place est bonne pour tout à coup annoncer des remèdes.

J'ai vécu l'annonce de la cyclosporine pour traiter le sida. Ça a fait exactement l'effet de la tuberculine de Koch. Tout le monde a espéré que la cyclosporine qui était un antibiotique récemment découvert, soit la solution. La cyclosporine a d’ailleurs été proposée pour plein de maladies. Cest la tentation de la panacée, quand on a une nouvelle molécule sous la main. Je me souviens très bien de l'émeute de journalistes qui débarquaient pour discuter la question de la cyclosporine. Et puis le rêve s'est dégonflé. 

Les pouvoirs publics et les ministres guettent l'innovation qu'ils pourront soutenir et qui leur restera associée. On peut épingler la volatilité de l'opinion publique, le désir de gloire des scientifiques et puis le désir d'avancer aussi de la part du gouvernement.

Vue au microscope
Vue au microscope
"Pasteur et Koch : un duel de géants dans le monde des microbes", de Mathieu Schwartz

Les techniques ont évolué depuis le XIXe siècle, l’éthique scientifique également. Les expériences que l’on voit dans le film pourraient-elles encore avoir lieu aujourd’hui ?

Il y a une chose qui est intéressante c'est qu'à un moment donné, Pasteur propose à plusieurs reprises de se faire inoculer le vaccin contre la rage. Finalement on l'a dissuadé de le faire, mais il faut savoir que c'était très à la mode de faire ça.

Aujourd’hui on dit aussi que franchement Pasteur aurait pu se dispenser de faire l'inoculation finale de la moelle pleinement virulente à Joseph Meister (ndlr : après avoir fait plusieurs injections vaccinales à Joseph Meister, jeune garçon mordu par un chien enragé, Louis Pasteur lui a injecté le virus de la rage pour prouver l’efficacité du vaccin).

Tout le monde est d'accord aujourd’hui pour dire que c'était prendre un risque inutile que de lui inoculer la rage. Ça nous parait des temps révolus.

Mais en fait actuellement avec le coronavirus, il y a un projet qui a été élaboré par Harvard avec plusieurs laboratoires américains qui prévoit de vacciner une centaine de personnes en bonne santé et ensuite, de les "challenger", de leur inoculer le virus lui-même. C'est ce que Pasteur a fait au petit Meister.

On n’a plus l'habitude de ça, et dans une période d'incertitude y compris sur l'immunité qui est consécutive au nouveau coronavirus, on est quand même un peu impressionné qu'on revienne à des méthodes, qui, il y a quelques années, auraient paru absolument désuètes et impensables d'un point de vue éthique.

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