Rachel, Les boues rouges, Voyage en barbarie, du film à la réalité : quand les documentaires changent le monde

Rachel, Les boues rouges, Voyage en barbarie, du film à la réalité : quand les documentaires changent le monde

De la vie de Rachel et son destin bouleversé par l’autisme, au scandale des boues rouges déversées en Méditerranée, en passant par les camps de torture du désert du Sinaï, les documentaires abordent tous les sujets. Découvrir le monde, des destins, des parcours, des atrocités : à travers les documentaires c’est une vision de la société qui s’exprime, et parfois… fait réagir.
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Certains documentaires ont cette force. Ils bouleversent. Ils mettent en lumière une situation, comme dans Rachel, l'autisme à l'épreuve de la justice. Ce film retrace le destin de Rachel, mère de trois enfants, qui se heurte à la méconnaissance de l’autisme par les services sociaux. Soupçonnée de maltraitance, elle se verra retirer la garde de ses enfants après un parcours qui relève de la spirale infernale. Un film émouvant qui a fait beaucoup réagir les téléspectateurs. « Il y a eu plein de gens qui ont proposé de se mobiliser pour Rachel. J’ai eu énormément de mails de gens qui disent : ‘qu'est-ce qu'on peut faire pour cette maman ?’ » explique la réalisatrice Marion Angelosanto. Depuis la diffusion du film sur Public Sénat, elle administre une page Facebook autour du film et « à chaque fois qu'il y a des rediffusions, il y a pas mal de mails, des gens qui sont touchés par cette histoire ».

Libération de la parole et mobilisation citoyenne

Des réactions de téléspectateurs, Laëtitia Moreau et Olivier Dubuquoy en ont aussi reçu. Réalisateurs du documentaire Zone rouge, sur les rejets toxiques en Méditerranée de l’usine d’alumine de Gardanne (13) depuis plus de 50 ans. Ils y révèlent notamment les astuces de communication utilisées par les industriels pour minorer les conséquences des rejets. Un film qui a agi pour certains comme une « prise de conscience » selon Laëtitia Moreau. « Le film a été une caisse de résonance au niveau national. Il a fait passer cette histoire qui était restée à un niveau anecdotique, provincial, à un vrai problème de société d'une ampleur nationale voire internationale ».

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"Zone Rouge", de Laetitia Moreau et Olivier Dubuquoy

Il n’est pas toujours simple de dénoncer, d’oser parler. « La parole ne circule pas beaucoup et d'ailleurs une des choses qui m'a frappée en travaillant sur le sujet, c'était la difficulté à trouver des témoignages locaux » explique Laëtitia Moreau. Alors le film est aussi là pour libérer la parole. « Lors de ces projections il y a eu des prises de paroles très fortes, et des gens qui communiquaient entre eux, qui partageaient des expériences proches mais sur lesquelles finalement il n'y avait jamais eu d'échanges collectifs ».

Car un documentaire c’est aussi parfois un acte militant. Pour Olivier Dubuquoy, lanceur d’alerte sur le sujet des boues rouges, devenu réalisateur, le documentaire était aussi un outil pour faire connaître et mobiliser. Géographe, Olivier Dubuquoy a rendu publiques des informations, et contribué à faire connaître la toxicité des rejets. Grâce au film, de nouveaux soutiens se sont manifestés, et une pétition en ligne a été organisée. « Il y a eu plus de 500 000 signataires ». Il a pu ainsi « structurer une communauté autour de la lutte et pouvoir régulièrement l'informer ». L’intérêt explique-t-il c’est « de pouvoir utiliser ce nombre de signataire pour faire de temps en temps une ‘gentille’ pression. Ça participe de la légitimité de la lutte ». Grâce au documentaire, des citoyens ont découvert cette pollution, et ont pu se manifester, apporter leur soutien.

Du film à l’action

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"Voyage en barbarie" de Cécile Allegra et Delphine Deloget

Dans le cas de Voyage en Barbarie de Cécile Allegra et Delphine Deloget, le documentaire a bouleversé des vies. Dans ce film, les documentaristes révèlent un trafic d'êtres humains qui sévit alors en toute impunité en Égypte, dans le Sinaï. Les témoignages poignants de survivants d’actes de torture font prendre conscience de l'horreur. « C'est l'existence d'un système concentrationnaire » souligne Cécile Allegra.

Confrontée à cette réalité, la réalisatrice décide de s’engager. « J'ai contribué à faire venir les deux jeunes (ndlr : qui témoignent dans le documentaire) bloqués au Caire. Ils sont arrivés en France et ils ont maintenant une vie, une formation. Ils vivent leur vie. Ça a été une conséquence directe du film. Mais c'est aussi un an de travail de plaidoyer de ma part auprès des institutions ». Pour agir, Cécile Allegra a décidé de créer l’association Limbo. « On a deux buts : celui de soutenir des survivants et celui d'aller secouer les institutions pour expliquer ce système concentrationnaire ».

Autour d’elle dans l’association, un noyau dur d’une quinzaine de personnes et de nombreux militants, la plupart ont découvert la situation en visionnant le documentaire. Leur engagement en découle, en plus de leur vie professionnelle.

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"Voyage en barbarie" de Cécile Allegra et Delphine Deloget

Aujourd’hui l’action de l’association est reconnue et le documentaire est un point d’appui important selon Cécile Allegra : « Si on n'avait pas fait Voyage en barbarie et si ça n'avait pas été diffusé les gens continueraient à douter, même s’il faut inévitablement répéter et répéter... Un film ne suffit pas, c'est sûr et certain, mais ça ouvre un espace de débat et une vraie discussion ».

Peu de conséquences politiques

Tous les réalisateurs interrogés le disent : le documentaire fait connaître, fait réagir. Des actions citoyennes naissent dans la foulée, des prises de conscience aussi, mais les changements politiques sont rares. Le documentaire est utile mais pas suffisant. « L'impact qu'a un film il est celui que vous lui donnez. Il faut accompagner le film le plus loin possible » rappelle Cécile Allegra.

Le constat de Laëtitia Moreau, coréalisatrice de Zone rouge est sans appel : « C'est la leçon qui est la plus tragique du film en réalité, c'est qu'il n'y a pas eu de prises de position des politiques au niveau national, ni local ». Son coréalisateur, lui s’y attendait, militant, il voyait le film comme un outil, mais il croit plus « aux actions directes, dans la non-violence bien sûr ».

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"Zone Rouge", de Laetitia Moreau et Olivier Dubuquoy

Céline Darmayan, réalisatrice d’un documentaire sur l’accouchement à domicile, est plus positive : « Ça a surtout des impacts sur des individus et donc si ça a des impacts sur des individus c'est politique ». Entre leurs mains avait mobilisé une communauté militante pour le choix de l’accouchement à domicile, et bénéficié d’un soutien engagé avec un financement participatif. Pourtant, elle l’avoue, l’impact est difficile à mesurer. Elle constate simplement : « Aujourd'hui, le statut des sages-femmes qui accompagnent l’accouchement à domicile reste le même, il n'a pas changé. Les politiques n'ont pas changé ».

Un film aux conséquences diverses

Malgré de fortes capacités mobilisatrices, les documentaires ne font donc pas toujours avancer leur « cause » politiquement. La connaissance de l’autisme et sa prise en charge n’ont pas avancé à la suite du documentaire Rachel, l’autisme à l’épreuve de la justice. Mais le film a eu des impacts très concrets, mais des impacts négatifs. La réalisatrice Marion Angelosanto témoigne « La situation de Rachel avec ses enfants et le placement de ses enfants ne s'est pas du tout amélioré ». Rachel s’est vue retirer ses enfants en 2015 sur décision judiciaire. Le film a pesé dans le sort de la famille selon la réalisatrice. Pour elle, les dernières décisions de justice sont « très clairement liées à la diffusion de ce documentaire ».

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"Rachel, l'autisme face à la justice", de Marion Angelosanto

Elle explique : « De façon inédite, les enfants ont été placés pour deux années consécutives. Normalement c'est un an renouvelable ». Marion Angelosanto n’hésite pas à parler de « représailles ». « Il se jouait sur la table de montage l'histoire telle que je voulais la raconter et ça avait déjà un impact très négatif tout de suite ».

Pour autant, elle reste positive et ne regrette rien : « Cette histoire elle a été racontée comme elle le voulait elle. Ça correspondait à son histoire. Ça a fait du bien à cette cause ». Raconter des histoires, faire passer des messages, et tenter de changer les choses restent les maîtres-mots de tous ces documentaristes.

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"Rachel, l'autisme face à la justice", de Marion Angelosanto

Qu’il s’agisse du destin brisé d’une mère à qui on enlève ses enfants, ou du combat d’habitants contre l’usine accusée de polluer leurs vies, les documentaires diffusés et soutenu par Public Sénat ne se contentent de montrer les travers du monde. Il fait réfléchir, mais il peut aussi faire bouger les lignes.

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