Rapprochement Suez-Veolia : « Au moins, la guerre est finie », saluent des sénateurs

Rapprochement Suez-Veolia : « Au moins, la guerre est finie », saluent des sénateurs

En annonçant avoir trouvé un compromis dans l’optique d’un rapprochement, Veolia et Suez ont mis un terme à plus de huit mois d’affrontements. Une issue que les sénateurs du comité de suivi sur les conséquences de la fusion avaient « discernée » au cours de leurs auditions, mais dont ils se méfient.
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Par Pierre Maurer

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« Le temps de l’affrontement est terminé, le temps du rapprochement commence. » En écrivant ces mots ce lundi, Antoine Frérot, le président-directeur général (PDG) de Veolia, a mis fin à une guerre ouverte sur le terrain judiciaire depuis près de huit mois entre les deux géants français de l’eau et des déchets : Suez et Veolia. Le second déployait tous ses moyens depuis l’année dernière pour racheter le premier, après avoir acquis 29,9 % de ses actions en octobre 2020. Restait désormais à obtenir les 70 % restant. Veolia avait donc lancé une OPA hostile. S’en est suivie une multiplication de recours en justice, invectives par voie de presse, coups de pression et de semonce… Jusqu’à ce lundi 12 avril et l’annonce d’un accord de principe pour que Veolia absorbe en partie son rival afin de donner naissance à un « champion mondial de la transition écologique ».

« On le sentait, mais surtout on le souhaitait »

« C’est bien. Au moins la guerre est finie, ce qui était une inquiétude. Il était important que ça se tasse. Si on veut faire un groupe puissant, il vaut mieux que ça ne se fasse pas sous la pression », réagit un peu rassuré, Jean-François Longeot, le président centriste de la commission du développement durable au Sénat, à l’origine avec la présidente LR de la commission des Affaires économiques Sophie Primas du comité de suivi sur les conséquences économiques et environnementales de la fusion entre Veolia et Suez. Les enjeux pour les collectivités territoriales sont tels que le Sénat a mis sur pied une mission de suivi sur ce dossier et multiplié les auditions ces derniers mois des différents protagonistes de cet affrontement épique entre les deux « fleurons » français. Rapporteur de la mission, le socialiste Hervé Gillé estime que « le fait qu’un accord soit trouvé, est plutôt une bonne chose ». « Il y avait des tensions fortes, il fallait une issue pour que l’OPA soit la moins importante possible », ajoute-t-il.

Pour ce qui est de l’aspect économique, les deux entreprises se sont finalement accordées sur un prix de 20,50 euros par action Suez, alors que Veolia proposait initialement 18 euros, un montant jugé insuffisant par son rival qui exigeait 22,50 euros par titre. Le prix finalement retenu valorise l’ensemble de Suez à environ 13 milliards d’euros. Veolia rachètera une large partie des activités de Suez à l’international pour peser, au total, 37 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Le futur Suez, concentré sur la France, sera repris par des actionnaires majoritairement français et fera moins de la moitié de la taille du groupe actuel, soit de l’ordre de 7 milliards de chiffres d’affaires sur les 17 milliards actuels. Les sénateurs l’avaient senti poindre. « On commençait à discerner un accord pendant les dernières auditions, quelques pistes commençaient à se mettre en place. Il y a aussi eu une médiation complémentaire qui a été mise en place via Gérard Mestrallet, ancien PDG d’Engie. Le débat qui a été proposé par le groupe socialiste a également permis de remettre en perspective les enjeux. En somme, il y avait un ensemble d’acteurs convergeant », explique Hervé Gillé. « Quand Veolia a proposé d’acheter à 18 euros l’action, mais que Suez en voulait 22 euros, on voyait que ce n’était pas fermé », abonde Jean-François Longeot. « On le sentait, mais surtout on le souhaitait », insiste-t-il. Il glisse : « Je pense que Bruno Le Maire n’y est pas pour rien ».

Le ministre de l’Economie s’est réjoui dans la foulée de l’annonce d’un « accord à l’amiable ». « Cet accord préserve la concurrence au service des clients entre deux grandes entreprises industrielles nationales […] Il garantit leur bon développement sur les marchés nationaux et internationaux. Il préserve l’emploi », s’est félicité le ministre. « Bruno Le Maire était préoccupé par la dégradation du climat et voulait une sortie par le haut », assure Hervé Gillé. L’affaire avait pris un tournant politique, le ministre intervenant à plusieurs reprises, et encore fin mars, pour estimer qu’un accord restait « possible » entre les deux rivaux.

« Risque de financiarisation »

S’il calme le jeu, cet accord qui doit donner lieu à un processus aboutissant en mai n’éteint pas les inquiétudes. Notamment des salariés. Le secrétaire CGT du comité d’entreprise européen de Suez, Franck Reinhold von Essen, a exprimé un « réel sentiment de trahison », estimant que « les moyens de négocier autre chose existaient ». Ultime espoir vite douché par le président de Suez. Philippe Varin a dit comprendre la « déception » des salariés après l’accord de principe mais a évoqué le « principe de réalité ». « Je me réjouis que nous ayons trouvé un accord de principe sur les trois éléments que nous avions fait valoir », à savoir le prix, le périmètre du nouveau Suez et les garanties sociales, a-t-il souligné. Côté social, l’accord prévoit quatre ans de maintien de l’emploi et des acquis sociaux dans le nouveau Suez qui « aura un effectif significatif, à peu près la moitié du groupe, 45 000 personnes », a aussi souligné Philippe Varin. Le groupe intégrera les activités actuelles de Suez dans l’eau municipale et le déchet solide en France, ainsi que d’autres activités de l’entreprise notamment dans l’eau à l’international.

Pas vraiment de quoi rassurer les sénateurs. « Il y a un engagement qui est pris sur 4 ans. Mais ce qui m’inquiète c’est que dans la perspective de l’OPA, le groupe Suez va se recentrer et perdre une influence importante passant de 16 milliards à 6,9. J’ai peur qu’il n’ait pas la taille critique pour maintenir les emplois à long terme », s’inquiète Hervé Gillé, redoutant « la sédimentation de cette OPA ». Il poursuit : « Du fait d’un repositionnement, il va y avoir un engagement de fonds d’investissement dont on a aucune garantie pour le développement de vrais projets industriels. Il y a un risque de financiarisation… »

Sur les emplois, Jean-François Longeot n’est lui non plus « pas rassuré ». « Monsieur Frérot dit qu’il n’y aura pas de casse. Mais avec cette fusion, est-ce que vous gardez plusieurs sièges sociaux, plusieurs PDG, plusieurs services financiers par exemple ? », s’interroge le sénateur. « J’ai rendez-vous vendredi dans une usine d’incinération, je sais que les salariés sont inquiets », confie-t-il. Le directeur général de Suez estimait que la fusion entraînerait la suppression de quelque 5 000 emplois dans leur groupe seulement au niveau national. Hervé Gillé regrette en outre la piètre « qualité des discussions avec les partenaires sociaux. Ils se sont retrouvés devant un fait accompli. Peut-on dans une démocratie se contenter de luttes et d’affrontements de ce type ? Ce n’est vraiment pas brillant… », déplore le socialiste.

« Un système qui montre ses limites »

Autre aspect porteur d’inquiétude : le manque de concurrence qu’entraînera la constitution d’une telle entité. « À partir du moment où vous êtes concurrent avec vous-même… Vous faites ce que vous voulez… », sourit Jean-François Longeot. La situation agace Hervé Gillé, qui regorge d’exemples déjà en vigueur. « On va voir quel est le niveau d’exigence des autorités de la concurrence. Mais on a déjà certaines situations dans lesquelles les élus n’ont pas de choix entre plusieurs entreprises. Par exemple, tous les incinérateurs sont à Veolia. Dans certains départements, les tarifs de Veolia ont été différenciés entre la métropole et le reste du département. On a donc plusieurs niveaux de coûts sur l’incinération. C’est un système qui montre ses limites… », argue-t-il.  « Le souci des collectivités, c’est comment ça va se passer ? On a des contrats à renouveler, est-ce qu’on aura plusieurs offres ? », complète Jean-François Longeot.

Quant à l’annonce de la constitution d’un « champion mondial de la transformation écologique » dans un marché de plus en plus soutenu et concurrentiel, Hervé Gillé rit jaune. « La dernière directrice générale d’Engie a été débarquée parce que son plan industriel plus écologique n’avait pas la rentabilité espérée par les actionnaires. Ça doit nous inquiéter », alerte-t-il. Incertain, il termine : « On nous parle toujours d’un groupe écologique, mais est ce que cette promesse sera tenue ? »

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