Réglementation des plateformes de streaming : « Nous jouons l’avenir des acteurs historiques européens », pour le président du groupe M6

Réglementation des plateformes de streaming : « Nous jouons l’avenir des acteurs historiques européens », pour le président du groupe M6

Alors qu’un projet de loi visant à rapprocher le CSA et l’Hadopi devrait prochainement être présenté en Conseil des ministres, les sénateurs ont aujourd’hui mené des auditions à propos de l’évolution de la régulation des acteurs du paysage audiovisuel français face aux plateformes numériques. Nicolas de Tavernost, président, et Karine Blouët, secrétaire générale, du groupe M6 ainsi qu’Isabelle de Silva, présidente de l’Autorité de la concurrence ont tous souligné le déséquilibre qui se creuse entre des chaînes françaises soumises à une réglementation stricte et des plateformes internationales comme Netflix.
Louis Mollier-Sabet

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Le 31 mars 2020, l’Assemblée nationale devait examiner le projet de loi audiovisuel, mais c’est la pandémie de Covid-19 qui a finalement occupé l’agenda du Parlement. Un an plus tard, certaines dispositions du projet de loi ont pu être mises en place par voie réglementaire, mais face aux évolutions récentes du secteur audiovisuel, les acteurs de l’audiovisuel français réclament une mise à jour de la régulation. Laurent Lafon, président de la commission de la Culture a lui aussi regretté « le report d’une réforme ambitieuse » de la législation actuelle. Cette nécessité d’une évolution de la régulation découle notamment de l’émergence des plateformes internationales dites « OTT », comme Netflix, qui ont bouleversé le secteur et changé la donne pour des groupes audiovisuels comme M6-RTL.

« Les plateformes profitent d’une réglementation très souple. »

« Ces plateformes contournent ce qui était de la protection de la loi avec la régulation de l’attribution des fréquences TNT », explique ainsi Nicolas de Tavernost, président du Groupe M6. Il poursuit sur le fossé qui sépare des géants internationaux comme Netflix, de groupes français ou européens certes bien installés, mais à une échelle bien moindre : « Ces acteurs mondiaux n’ont plus aucune correspondance avec nous en termes d’activité, de taille, de capitalisation ou de chiffre d’affaires. Nous estimons que Netflix investit 1 milliard de dollars dans la technologie seulement. Nous, M6, nous investissons 17 millions d’euros dans le streaming. »

Cette concurrence des plateformes lancées par les GAFAM crée un « rapport de force » fondamentalement déséquilibré pour le président du groupe M6 : « L’audiovisuel français représente entre 7 et 8 % de l’audiovisuel mondial et le rapport de force ne pourra plus s’inverser. Cela sera horriblement difficile de sanctionner les plateformes par exemple. » Là-dessus, Isabelle de Silva rappelle qu’au niveau européen un « certain rééquilibrage » commence à voir le jour : « Au niveau européen, les plateformes sont désormais soumises à des obligations d’investissement dans les contenus. » La présidente de l’Autorité de la concurrence concède tout de même « qu’il serait nécessaire d’aller plus avant » dans cette régulation.

« Cette réglementation est une réglementation des années 1980. »

Réglementation de l'audiovisuel : "seule la TNT supporte ces obligations." Nicolas de Tavernost
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Nicolas de Tavernost semble prendre le problème par l’autre bout en dénonçant « une réglementation des années 1980 » qui pénaliserait les acteurs « historiques » de l’audiovisuel français. Dans le viseur du président de M6 figure d’abord la régulation de la TNT : « La TNT mérite d’être défendue. Elle est quasi-universelle avec une couverture de 97 % du territoire. Elle est gratuite et elle est écologique. Un téléspectateur qui regarde la télévision par la TNT consomme 2 fois et demie moins d’énergie que quand il consomme par les boxes. Pourtant la TNT supporte toutes les obligations », résume-t-il. Le renouvellement des fréquences serait trop rigide : une fois qu’un groupe achète le droit de diffuser sur une fréquence de la TNT il s’est engagé pour 5 ans sans pouvoir revendre ce droit entre-temps. « En l’absence de visibilité, il est difficile de s’engager sur des programmes d’investissement important de couverture du territoire par exemple », poursuit Nicolas de Tavernost.

En somme, la TNT (tout comme la radio) serait soumise à un ensemble de réglementations « extrêmement violentes », notamment sur les contenus diffusés, puisque certains contenus sont interdits à certains jours de la semaine à la télévision ou que la diffusion de musique à la radio est soumise à des quotas et à des obligations de rotations. « Si je veux passer Benjamin Biolay toute la journée c’est très compliqué. La radio a donc la même compétition de streaming avec Spotify », développe le président du groupe M6-RTL.

De même, la publicité régulée de la TNT aurait du mal à faire face à l’offre de publicité ciblée que peut fournir YouTube par exemple : « La publicité digitale a bouleversé l’écosystème. Les réseaux sociaux ont une importance telle qu’ils ont pour eux le ciblage, la puissance de frappe et le prix. Les organismes comme YouTube peuvent pratiquer des prix extrêmement compétitifs par rapport à la télévision et la radio. » Alors même que la publicité sur la TNT ne peut pas être ciblée, dans la mesure où elle ne peut pas, par exemple, être adaptée à la zone géographique de diffusion.

Face à Netflix, « on fait tout pour que ça ne marche pas. »

Salto : "On fait tout pour que ça ne marche pas." Nicolas de Tavernost
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Des groupes français condamnés face aux géants comme Netflix ? Pas nécessairement pour le président du groupe M6 : « Nous n’avons pas de difficultés sur le plan technique. […] Il ne faut pas rendre les armes, nous avons besoin d’un effet de taille. » La réponse proposée par Nicolas de Tavernost paraît presque trop simple par rapport à l’ampleur du déséquilibre qu’il a dépeint avant : « Les acteurs français locaux sont les seuls à pouvoir résister à l’arrivée des plateformes. Nous avons intérêt à avoir des contrepoids. » Il cite par exemple la création de Salto, plateforme française de vidéos à la demande détenue par France Télévisions, TF1 et M6 : « Nous sommes les premiers à faire ça en Europe : plutôt que de rester dans notre coin nous allons voir nos collègues et concurrents du privé et du service public. »

Là où le bât blesse c’est que ce genre « d’effort » de coopération et de synergie « est un parcours du combattant », d’après le président du groupe M6 : « Les complexités de l’autorité de la concurrence sont d’une rigueur que vous n’imaginez pas. C’est une complexité que n’a pas Disney quand il s’associe à Fox pour créer Disney Plus. On fait tout pour que ça ne marche pas : dans les règles actuelles, et c’est pour ça qu’il faut les changer, faire un effort comme Salto est un parcours du combattant. »

Concentration : « La réglementation n’est plus pertinente »

La présidente de l’Autorité de la concurrence, en charge de ces règles au niveau national, ne pose pas dans l’audition suivante un diagnostic diamétralement opposé à celui de l’acteur industriel qu’est Nicolas de Tavernost : « Les plateformes ont pu se déployer dans une liberté de la réglementation quasi-totale. »

Sur la réglementation aussi, Isabelle de Silva admet « qu’il faut faire évoluer les réglementations de jours et contenus interdits » et que la réglementation sur la concentration des acteurs de l’audiovisuel « n’est plus pertinente ». C’est cette réglementation sur la « concentration » d’un marché – c’est-à-dire sur le fait qu’un acteur économique ne possède pas trop de pouvoir sur un marché donné – qui a pu rendre difficile des opérations de rapprochement entre acteurs français du secteur comme Salto.

« Il faut remettre ces règles à plat » conclut-elle, tout en tempérant quelque peu les propos du président du groupe M6 : « Le système n’a pas si mal fonctionné sur les années écoulées. Dans le cas de M6 on est d’ailleurs sur un véritable succès de développement. »

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