Sanctions économiques : la Commission européenne propose de s’en tenir au charbon, anecdotique pour la Russie

Sanctions économiques : la Commission européenne propose de s’en tenir au charbon, anecdotique pour la Russie

Alors que la Commission a proposé aux 27 d’arrêter les importations de charbon russe, les retombées économiques ne devraient pas être très importantes pour le régime de Poutine. Or, sanctionner les importations de pétrole ou de gaz semble beaucoup plus complexe à court terme pour les économies européennes.
Louis Mollier-Sabet

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Face aux atrocités commises à Boutcha, Ursula von der Leyen tente « de maintenir la pression la plus importante possible à ce moment critique. » Hier, la présidente de la Commission a ainsi annoncé que la Commission européenne proposerait aux 27 un embargo européen sur le charbon, qui coûterait d’après elle 4 milliards d’euros par an à la Russie. D’autres mesures plus ciblées s’ajoutent à ce 5ème « package » de sanctions européennes contre la Russie, comme l’interdiction d’exporter des semi-conducteurs et des machines-outils en Russie, ou bien une interdiction pour les navires russes, ou détenus par des entités russes, d’accoster dans des ports européens, hors livraisons alimentaires, humanitaires ou énergétiques. La Grande-Bretagne a fait des annonces semblables ce mercredi après-midi en interdisant tout investissement britannique en Russie et en prévoyant une fin des importations de charbon russe d’ici à la fin de l’année.

>> Lire aussi : « Les troupes russes ont reçu des ordres spécifiques de cibler les civils », affirme Vadym Halaichuk, député ukrainien

Si les condamnations des exactions russes sont claires et unanimes du côté européen, la position sur les sanctions économiques paraît moins claire. L’interdépendance énergétique de l’Europe et de la Russie est profonde, à tel point que certains pays européens, notamment à l’Est du Vieux continent, ne peuvent se passer des exportations énergétiques russes. Une dépendance accentuée par la transition énergétique, qui met une pression supplémentaire sur le recours aux énergies fossiles, le charbon émettant par exemple 2 fois plus de gaz à effet de serre que le gaz naturel pour la même quantité d’électricité produite, par exemple. À l’inverse, les exportations énergétiques russes vers l’Union européenne représentent 8,5 % du PIB, une manne financière gigantesque – et vitale – pour le régime russe. Jusqu’à maintenant, les sanctions européennes avaient soigneusement évité de frapper sérieusement le secteur énergétique et Vladimir Poutine a même utilisé ce levier pour contourner certaines sanctions bancaires et refaire ses réserves de devises étrangères. Alors, cet embargo sur le charbon marque-t-il une rupture dans l’attitude des Européens face à un Poutine qui aurait franchi la ligne rouge ?

>> Pour en savoir plus : La (co) dépendance énergétique de l’Europe et de la Russie en chiffres

Le charbon, la sanction facile

Avec ces sanctions, l’Union Européenne semble clairement temporiser. Les 4 milliards sur un an dont l’Europe va de fait priver la Russie avec cette décision, paraissent en effet anecdotique face aux 125 milliards de dollars annuels que représentent les exportations de pétrole et de gaz russe vers l’Europe. À titre d’exemple, le compteur de la campagne citoyenne et écologiste « Beyond coal » fait état, en fin d’après-midi ce mercredi 6 avril, de 9,2 milliards d’euros versés par l’UE à la Russie depuis l’invasion de l’Ukraine pour importer du pétrole, 9,8 milliards pour importer du gaz et… 730 millions pour le charbon. Couper le robinet des importations européennes de charbon n’est donc clairement pas ce qui va assécher la manne énergétique qui fait tourner le régime de Poutine.

Certes le charbon russe représente 45 % des importations européennes, pour un peu plus de 10 % du mix énergétique européen, mais il est assez facile pour l’UE de diversifier ses sources d’approvisionnement, contrairement au gaz qui nécessite de lourds investissements en infrastructures. Tous les pays européens n’auront pas à fournir le même effort, puisque les pays de l’Est de l’Europe, comme la Pologne, la République tchèque ou l’Allemagne, dépendent fortement du charbon (entre 18 et 40 % de l’énergie brute disponible), et en particulier du charbon russe, alors que la France n’utilise le charbon que de manière anecdotique (2,8 % de l’énergie brute disponible). Ainsi, les pays les plus dépendants pourraient notamment se tourner vers l’Afrique du Sud ou l’Australie pour remplacer le charbon russe.

Le pétrole et le gaz, le nerf de la guerre

Les dirigeants européens ne sont pas dupes et savent que pour véritablement aller plus loin dans les sanctions, il faudrait toucher au pétrole ou au gaz russe. On y viendra « tôt ou tard » pour Charles Michel, alors qu’Ursula von der Leyen a réaffirmé que la Commission « travaill[ait] sur des sanctions supplémentaires sur les importations de pétrole. » Le Conseil d’analyse économique s’est montré relativement optimiste sur les éventuelles retombées économiques d’un embargo sur l’énergie russe, notamment pour la France, qui pourrait voir son PIB chuter de à 0,15 à 0,3 %, alors que la récession pourrait monter à 3 % pour l’Allemagne dans les scénarios les plus pessimistes.

Mais au-delà de la question du prix que coûterait un tel embargo, la question des quantités de pétrole que l’Union européenne arriverait à substituer aux importations russes reste entière, même si cela reste plus facile que pour le gaz. L’UE importe le quart de son pétrole depuis la Russie et celui-ci est autrement plus central dans le fonctionnement des sociétés européennes que le charbon, avec un gros tiers de l’énergie brute disponible en Europe provenant des produits pétroliers. De même, l’approvisionnement en gaz, qui est une énergie centrale pour certaines économies européennes, peut difficilement être remplacé à plus d’1/3 à court terme sans renier les engagements climatiques de l’Europe ou la sécurité d’approvisionnement énergétique de certains Etats-membres. Pris entre les impératifs humanitaires et géopolitiques d’une part, et les impératifs économiques, énergétiques et environnementaux de l’autre, l’Union européenne semble prise dans des injonctions contradictoires, à court terme au moins.

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