Scandale Orpea : « L’État a les moyens d’engager un véritable bras de fer. »

Scandale Orpea : « L’État a les moyens d’engager un véritable bras de fer. »

Alors que le groupe de maisons de retraite privées commerciales est sommé de rembourser 55,8 millions d’euros à l’État qui l’accuse de « détournement de fonds publics », Orpea tente d’échapper au remboursement total de cette somme en invoquant le manque structurel de personnel qualifié. La vice-présidente de la commission des Affaires sociales du Sénat dénonce un manque de volonté politique de la part de l’État.
Public Sénat

Par Clara Robert-Motta

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Orpea va-t-il passer à la caisse ? Depuis les révélations fracassantes du livre Les Fossoyeurs du journaliste Victor Castanet, le groupe de maisons de retraite privées commerciales est dans la tourmente. Selon des informations de nos confrères du Monde, Orpea est mis en demeure de rembourser 55,8 millions d’euros à l’État, qui l’accuse de « détournement de fonds publics », mais le groupe multinational refuse de rembourser une partie des sommes qui lui sont demandées, car elles sont, pour lui, liées à une pénurie structurelle de personnel qualifié.

Pour le groupe Orpea, son recours à des auxiliaires de vie « faisant fonction » d’aides-soignants provient d’un « problème systémique du secteur et non spécifique à Orpea », explique-t-il au Monde. Cette pratique est autorisée si les « faisant fonction » suivent une formation pour devenir aides-soignants. Ce qui n’était pas le cas. Selon sa direction, Orpea n’aurait eu d’autres choix que d’embaucher un personnel sous-qualifié à cause d’une pénurie de soignants adaptés.

Tour de passe-passe pour les « faisant fonction »

Pour comprendre le mécanisme complexe, il faut s’intéresser au financement des établissements d’hébergement pour les personnes âgées dépendantes (Ehpad). Celui-ci repose sur trois sections : soins, dépendance et hébergement. Les dotations « soins » et « dépendance » sont financées par les administrations publiques, tandis que la section hébergement est majoritairement à la charge des résidents.

Orpea est accusé d’avoir déclaré des auxiliaires de vie sous le statut de « faisant fonction » aides-soignants tandis qu’ils ne réalisaient pas les actes de soins affiliés à cette fonction, mais bien des actes type « hôtellerie ». Les salaires qui auraient dû être financés par la dotation « hébergement » l’auraient donc été par les subventions publiques via la section « soins ».

« Orpea devrait prendre ses responsabilités. C’est scandaleux et perfide de se défausser sur l’Etat de la sorte. »

Elisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des Affaires sociales

Pour la sénatrice Elisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des Affaires sociales, la ficelle est un peu grosse. « Orpea devrait prendre ses responsabilités, juge la sénatrice centriste. C’est scandaleux et perfide de se défausser sur l’Etat de la sorte. »

Même son de cloche du côté de la sénatrice écologiste, Raymonde Poncet-Monge. « Je trouve Orpea culotté de se cacher derrière le manque structurel de personnel, s’indigne la vice-présidente de la commission des Affaires sociales. En utilisant cette défense, le groupe favorise une confusion par rapport à ce qui lui est reproché. Il ne faut pas confondre glissement de tâches et glissement de section. »

30,1 millions d’euros détournés ?

Le glissement de tâches, c’est le fait que des auxiliaires de vie fassent le travail normalement réalisé par les aides-soignants. Le glissement de section est l’arrangement comptable qui aurait permis au groupe de détourner des subventions de la Sécurité sociale et des conseils départementaux afin de payer des salaires qui n’auraient pas dû être financés par ces institutions publiques. Sur les 55,8 millions d’euros réclamés par l’Etat, 30,1 millions d’euros sont liés à cette « affectation de charges de personnels irrégulière » (27,8 millions de la Sécurité sociale et 2,3 millions des conseils départementaux).

» Lire aussi : Orpea : que contient le rapport au vitriol de l’IGAS ?

Cet arrangement comptable réalisé au niveau du groupe permettrait de minorer ses dépenses privées et de gonfler ses résultats financiers, expliquent l’IGAS et l’IGF dans leur rapport. Une manœuvre qui outrage la sénatrice Elisabeth Doineau pour qui « l’argent public n’est pas fait pour aller dans la poche des actionnaires. » Pour Raymonde Poncet-Monge, secrétaire de la mission d’évaluation et de contrôle de la Sécurité sociale, ce « détournement de fonds publics » pourrait être évité si l’Etat prenait des mesures de contrôle plus importantes. « L’État a favorisé cette marchandisation de la vieillesse par sa défaillance du contrôle », juge-t-elle.

Depuis la parution du livre Les Fossoyeurs, la déflagration du scandale a poussé le gouvernement à réagir de façon très ferme. La ministre chargée de l’Autonomie, Brigitte Bourguignon, avait annoncé la demande de remboursement dès le mois de mars. Si aujourd’hui, Michelle Meunier, rapporteure de la mission d’enquête sénatoriale sur le contrôle des Ehpad, constate que le processus de remboursement avance, elle reste prudente. « Il est vrai que l’ardoise est importante, le groupe Orpea tente de négocier afin que cela lui coûte le moins cher possible ».

» Lire aussi : Brigitte Bourguignon détaille au Sénat les mesures du gouvernement sur les Ehpad

La sénatrice écologiste, Raymonde Poncet-Monge, dénonce, elle, un manque de volonté politique de l’Etat. « Il n’est pas normal que l’Etat n’ait pas demandé le remboursement complet, pourtant l’Etat a les moyens d’engager un véritable bras de fer. » En effet, la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), chargée de gérer les crédits de la Sécurité sociale attribués au secteur du grand âge, ne réclamerait pas, d’après Le Monde, la restitution de 20 millions d’euros d’excédents de dotations publiques que le groupe privé n’a pas consommés entre 2017 et 2020.

La CNSA a également réclamé 5,7 millions d’euros pour des remises accordées par des fournisseurs entre 2017 et 2020 sur l’achat de matériels payés avec des dotations publiques. Si Orpea s’est dit prêt à rembourser ce montant, il est bien inférieur à ce qu’avaient estimé l’IGF et l’IGAS dans leur rapport (entre 13 et 18 millions d’euros).

Pour les élues de la commission des Affaires sociales, le constat est clair : il faut un meilleur contrôle des Ehpad. De son côté, Michelle Meunier, sénatrice PS, la CNAM doit devenir une caisse agissante et attend avec impatience la grande loi « autonomie » promise par le gouvernement.

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