Service Civique : « 500 000 jeunes, c’est un patrimoine d’engagement pour le pays », déclare Béatrice Angrand

Service Civique : « 500 000 jeunes, c’est un patrimoine d’engagement pour le pays », déclare Béatrice Angrand

A l’occasion des 11 ans du Service Civique et du franchissement symbolique de la barre des 500 000 volontaires, Béatrice Angrand, présidente de l’Agence du Service Civique depuis 2019, revient sur l’histoire du dispositif, mais aussi sur sa pertinence et son avenir en pleine crise sanitaire.
Louis Mollier-Sabet

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Nous avons fêté le 10 mars dernier les 11 ans du Service Civique, ainsi que l’entrée en mission du 500 000ème volontaire depuis 2010. Rétrospectivement, était-ce l’objectif visé ou bien le Service Civique a-t-il séduit au-delà de ce que l’on pouvait imaginer ?

En 2010, pour l’entrée en vigueur du dispositif, 6000 jeunes ont fait leur service civique. C’était au moment du gouvernement Sarkozy et le Service Civique a traversé 3 quinquennats en faisant consensus. L’idée était d’effectuer une montée en charge progressive avec sur le long terme le projet de faire accéder au plus grand nombre mais sans objectif chiffré.

Il y a eu un tournant en 2015 où le gouvernement a cherché dans le Service Civique une pédagogie de la citoyenneté. On est donc passés de 29 000 jeunes en 2012, à 35 000 en 2014, puis 92 000 en 2016. L’impact sur la vie des jeunes, sur les structures qui les accueillent, sur les causes dans lesquelles ils s’engagent a été très convaincant et les budgets ont donc été maintenus pour accompagner cette montée en charge.

Ce sont donc des éléments extérieurs qui ont motivé cette « montée en charge » ?

Je ne suis pas d’accord, il n’y a pas que des éléments extérieurs. Des jeunes cherchent le moyen de s’engager, plein de jeunes voulaient donner du temps pour des causes et on ne le faisait pas à cause de problèmes financiers, il fallait vite entrer dans le monde du travail pour soutenir sa famille. Aujourd’hui ces jeunes cherchent des manières de s’engager différentes des engagements d’avant sur le mode du militantisme politique et syndical. Il y a une génération engagée qui veut plus s’engager dans la sphère privée, de manière ponctuelle, qui s’en vont et qui reviennent. Il faut donc donner un cadre clair aux structures qui pourraient les accueillir et qui soit respectueux de cette volonté.

Vous voyez l’engagement dans le service civique comme une alternative à l’engagement politique et syndical ?

Les jeunes choisissent des causes qui les intéressent : l’éducation pour tous, le décrochage scolaire, la culture, le sport, la solidarité intergénérationnelle ou le développement durable bien sûr. En échange, ils reçoivent une indemnité, une formation et ils ont accès à un tuteur qui les accompagne, qui leur fait prendre conscience des compétences qu’ils acquièrent et qui les aident à construire un projet d’avenir. Le coup de génie du service civique c’est qu’en échange de l’engagement il y a un accès à la formation et à ce projet d’avenir.

Ce « projet d’avenir » est un projet professionnel ?

Pas nécessairement, le projet d’avenir est un projet de sortie de service civique, qui peut déboucher sur emploi mais aussi sur tout type de formation. L’idée du service civique ce n’est pas de renforcer l’employabilité des jeunes, même si en fait au bout de 10 ans ce n’est plus la même chose qu’au début, c’est normal. Il y a un constat de fait : les jeunes gagnent en compétence et confiance en eux. Ensuite ils le « revendent » [entre guillemets] et le valorisent dans le monde du travail. C’est une conséquence de fait qui n’est pas dans l’objectif initial, mais dont il faut parler aussi.

Le service civique a-t-il vocation à s’insérer dans le monde professionnel ou faut-il résolument l’ancrer dans le monde associatif ?

Le service civique est de plus en plus connu et reconnu. Peu à peu il acquiert ce statut-là de période intermédiaire que l’on prend pour aider les autres et s’aider soi-même. Il peut servir à vérifier l’orientation que l’on a choisie ou même choisir son orientation. Cela entre dans l’ensemble de la société française parce que dans le monde du travail il y a plus d’attente que par le passé envers les personnes qui sont mobilisées sur le sens. Cette dynamique traverse les générations : de plus en plus de gens cherchent du sens à leur vie et les entreprises cherchent à donner du sens à ce qu’elles font aussi parce que ça leur donne accès aux salariés qui en ont besoin. Quand on arrive à un seuil aussi important de 140 000 volontaires chaque année depuis 3 ans, cela a forcément un impact sur la société.

Cette montée en charge ne met donc pas en danger le but initial du service civique ?

J’aimerais rajouter que le service civique peut être fait dans l’Etat et les collectivités territoriales. Il y a tellement de causes et de problèmes sociaux sur lesquels les jeunes ont envie de s’engager et sur laquelle la société a des besoins. Cela ne va pas dénaturer le service civique si plus de jeunes le font. Cela donne plus de travail à l’agence pour contrôler cette montée en charge, notamment dans le contrôle des postes, des tuteurs et de l’accompagnement. L’agence joue son rôle de vigie pour accompagner cette montée en charge. Mais c’est trois fois gagnant : pour le jeune, pour la structure qui accueille et pour la société. Pour les associations notamment ça apporte des énergies nouvelles : 1/3 des jeunes continuent à s’engager dans les associations. Et enfin pour commenter le chiffre de 500 000 c’est un patrimoine d’engagement pour le pays.

Avec la crise sanitaire, vous arriver à maintenir ce « patrimoine d’engagement » ?

En 2020 on avait un budget pour 145 000 jeunes et le Président de la République a annoncé le 14 juillet des moyens supplémentaires pour 100 000 jeunes d’ici fin 2021. Il y a eu un tarissement des recrutements au premier confinement et la courbe a repris une dynamique très forte avec une augmentation de plus de 20 % par rapport à 2019 entre septembre et décembre et ça se poursuit.

Beaucoup de jeunes ont été empêchés d’effectuer leur mission sur le terrain : plus d’1/3 a transformé sa mission de terrain en télé mission. Beaucoup se sont investis dans l’aide aux devoirs et l’aide aux élèves handicapés par les cours en distanciel, ou encore dans la lutte contre l’isolement des personnes âgées par vidéo ou par envoi de carte postale. 1/3 ont conservé leurs missions dans les grosses associations de solidarité comme la banque alimentaire, les Restaus du cœur, ou la Croix-Rouge, ou bien dans les premiers secours ou la solidarité envers les plus démunis et les personnes isolées et fragiles.

Cette crise a vraiment mis en lumière une capacité préexistante à s’engager. D’abord parce que les jeunes ont été très agiles en renouvelant leur mission pour pouvoir continuer à les mener. Ensuite parce que 60 000 jeunes se sont inscrits sur la réserve civique.

Cela n’a donc pas été trop dur de maintenir les missions malgré les mesures sanitaires ?

Aujourd’hui, pratiquement tout le monde est en mission, sauf ceux qui ont une santé fragile. Au moment où je vous parle il y a 66 000 jeunes engagés en service civique et il y a une vraie dynamique de jeunes qui s’inscrivent sur la réserve civique. Tout le travail de l’Agence du service civique est de tout faire pour proposer des missions. Si des jeunes cherchent il faut qu’on puisse leur répondre.

Il y a quand même eu une réorientation des thématiques au bénéfice de la lutte contre le décrochage, l’isolement des personnes âgées et des personnes fragiles ou la promotion des gestes barrières. Des villes ont par exemple créé des cohortes anti-covid avec des jeunes qui promeuvent les gestes barrières auprès de leurs pairs. Il y a aussi un certain nombre de missions qui se sont réinventées : dans les clubs de sport par les jeunes n’arrivent souvent pas à faire les 24h par semaine et ils consacrent donc une partie de leur temps au centre social de la ville. Ils se sont adaptés.

Ils ont un peu fait comme tout le monde finalement ?

Exactement. Ils ont pris conscience de ce que c’est être utile et s’ils n’arrivent pas à faire leurs heures ils donnent du temps ailleurs parce qu’ils veulent être utiles.

 

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