Soignants appelés à se faire vacciner : pourquoi l’injonction du gouvernement passe mal

Soignants appelés à se faire vacciner : pourquoi l’injonction du gouvernement passe mal

Après l’appel de Jean Castex et d’Olivier Véran aux soignants à se faire plus vacciner, la question de leur obligation vaccinale est posée. Si la nécessité de la vaccination est partagée, le message passe très mal chez les soignants. « Passer de l’interdiction de vaccination pour les moins de 50 ans, à l’obligation en 10 jours, ce niveau de grand écart, c’est du grand art ! », pointe le sénateur PS Bernard Jomier.
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Il y a un an, ils étaient applaudis tous les soirs à 20 heures. Aujourd’hui, on est plus proche du coup de règle sur les doigts. En cause : le niveau de vaccination des soignants contre le covid-19. Seuls 30 % des personnels de santé ont été vaccinés pour le moment. Le chiffre atteint 40 % en Ehpad. Jeudi soir, le premier ministre Jean Castex a appelé « solennellement » le personnel des Ehpad à se faire vacciner « très rapidement ». Le ministre de la Santé, Olivier Véran, a de son côté écrit « une lettre à l’ensemble des soignants de notre pays pour les inciter très fortement à se faire vacciner. Et si ça ne suffisait pas, alors nous pourrions envisager une saisine du Comité consultatif national d’éthique » prévient-il. Avant, peut-être, de rendre obligatoire la vaccination pour les soignants. Selon Les Echos, le chef de l’Etat a demandé mercredi de faire en sorte que les soignants hospitaliers soient tous vaccinés.

En attendant, faute de « preneur », le ministre de la Santé va récupérer pour la population « 400.000 doses AstraZeneca livrées aux hôpitaux pour vacciner les soignants […] mais aussi les pompiers, les ambulanciers, les aides à domicile ». Elles seront utilisées « vendredi et ce week-end en particulier ».

« Le ministre jette l’opprobre sur toute une profession »

Dans le milieu médical, ces injonctions à la vaccination sont mal perçues. « Chez les soignants non-vaccinés, quelle est la proportion de soignants qui le sont par choix, et ceux qui ne peuvent pas accéder à la vaccination ? J’ai des tas de remontées de terrain de soignants qui n’ont pas pu avoir accès à la vaccination. Le ministre devrait s’y attarder avant de jeter l’opprobre sur toute une profession », s’énerve le médecin généraliste Jérôme Marty, président de l’Union française pour une médecine libre (UFML).

« Personnellement, je pense que c’est très maladroit. Parce que la résistance de certains soignants à la vaccination n’est pas récente. Elle date d’il y a longtemps. Et les soignants sont mis dans la situation d’être montrés du doigt, ce qui est assez paradoxal dans le contexte actuel », réagit Vincent Ioos, médecin réanimateur et pneumologue à l’hôpital La Fontaine à Saint-Denis.

« La confiance est rompue depuis longtemps entre les soignants et Olivier Véran »

« Je ne pense pas que ce soit un vrai sujet. Peut-être qu’il y a des situations, mais c’est très sporadique », pense pour sa part Hugo Huon, infirmier et membre du collectif Inter Urgences. Il appelle à « faire de la pédagogie. Il n’y a pas besoin de taper sur les doigts des gens. Ce sont des raisons organisationnelles qui expliquent le retard ». Il ajoute :

Quand on voit que les soignants doivent travailler alors qu’ils sont positifs, c’est souvent l’encadrement qui leur demande, que le covid n’est pas encore reconnu comme maladie professionnelle et la gestion de la crise, c’est inaudible pour les soignants d’entendre ça.

« Ça fait un an qu’il n’y a pas d’augmentation de lits, et ça ne choque personne. On continue même sur les diminutions. Donc d’abord, fais bien ton travail et après, on en reparlera ! » lance encore Hugo Huon. Il s’étonne « qu’ils disent que 30 % des soignants sont vaccinés, alors qu’on n’a jamais eu les chiffres sur le nombre de soignants contaminés ». « Quand il nous dit hier qu’il va faire un courrier, on lui rappelle que la confiance est rompue depuis longtemps entre les soignants et lui. En mars/avril, le ministre n’a pas pu lui-même protéger les soignants dont il avait la charge. 200 généralistes sont morts. Beaucoup ont manqué de moyens de protection », rappelle Jérôme Marty.

« Les soignants doivent se faire vacciner, mais l’obligation sera contre-productive »

Sur le principe de la vaccination, tout le monde sera en revanche sur la même ligne. Mais la méthode fait débat. « Sur le fond, je suis entièrement d’accord avec le ministre, les soignants doivent se faire vacciner », soutient Vincent Ioos, « mais l’obligation sera contre-productive et n’atteindra pas son but. Il vaut mieux passer par la pédagogie ».

Le réanimateur et pneumologue ajoute : « Si l’injonction vient des tutelles sanitaires, ARS ou Santé publique France, cela aura beaucoup plus d’effets qu’une injonction qui vient du politique. Car il y a une défiance importante, du fait de l’état du système de santé avant la pandémie ».

« « Faites ce que je dis, pas ce que je fais », ce n’est pas très audible »

« On est parfaitement conscients que des soignants ne sont pas vaccinés », souligne Jérôme Marty, qui ajoute : « C’est vrai que si certains soignants ne veulent pas se soigner, ce n’est pas compatible avec l’exercice d’une activité médicale ou paramédicale ». Le médecin préconise « d’organiser des réunions dès maintenant dans tous les services, et on met tout à plat. Et si ça ne fonctionnait pas, peut-être faudra-t-il arriver à l’obligation », reconnaît le responsable de UFML, qui rappelle que les médecins ont déjà « une obligation vaccinale avec l’hépatite B ».

« Il faut passer par plus de conviction. Mais si ça ne fonctionne pas, je serais favorable à une obligation », estime également Yvon Le Flohic, médecin généraliste dans les Côtes-d’Armor, qui suit de près l’épidémie depuis le début. « Par rapport à la population, on ne peut pas dire aux gens vaccinez-vous, et nous, on ne se vaccine pas, car peut-être on a un doute sur le vaccin. « Faites ce que je dis, pas ce que je fais », ce n’est pas très audible », met en garde le médecin.

« C’est irresponsable de la part des soignants qui refusent de se faire vacciner »

Au Sénat, où le covid-19 et ses conséquences sont suivis depuis des mois, le sénateur LR René-Paul Savary, n’est pas opposé au principe. « On peut se poser des questions de la vaccination obligatoire pour les personnels soignants. Il y a un vrai geste altruiste à avoir », estimait hier celui qui était vice-président de la commission d’enquête sur la crise du covid.

Mais pour le sénateur socialiste Bernard Jomier, « ce n’est pas le sujet aujourd’hui ». « C’est une déclaration particulièrement maladroite et malvenue. Que le ministre fasse un peu confiance aux soignants, ce sont eux qui sont en première ligne », lance l’ancien rapporteur de la commission d’enquête, qui préside aujourd’hui la mission d’information sur les effets des mesures anti-covid.

« C’est irresponsable de la part des soignants qui refusent de se faire vacciner. Un jour, parler d’obligation pourra se concevoir », poursuit ce médecin généraliste de profession, qui s’est lui-même fait vacciner « après une heure de queue ». Mais pas maintenant, car « le ministre est en train de dire que les soignants contaminent des gens par négligence ou intérêt. Or les soignants ont eu du mal à faire reconnaître qu’il fallait qu’ils soient vaccinés. L’ouverture à tous les soignants, c’est tout récent, il y a 10 ou 15 jours. C’était d’abord les plus de 50 ans. Passer de l’interdiction de vaccination pour les moins de 50 ans, à l’obligation de vaccination en 10 jours, à ce niveau de grand écart, c’est du grand art ! »

« Il y a un vrai problème de défiance à l’égard de l’industrie pharmaceutique »

Pour André Grimaldi, professeur émérite à l’hôpital de la Pitié Salpêtrière, à Paris, et l’un des fondateurs du collectif Inter Hôpitaux, plutôt qu’imposer tout de suite, il faut se pencher sur la psychologie des soignants pour « comprendre ce paradoxe » du refus de certains à se faire vacciner.

« Pour la grippe, ça ne date pas d’aujourd’hui que les soignants ne sont pas vaccinés en Ehpad. C’est scandaleux. Mais ce qui est décisif avec la vaccination, c’est la confiance. Et est-ce qu’un ministre qui vous dit que le masque, ce n’est pas utile voire dangereux, qui dit qu’il y a 10.000 lits de réanimation mais en réalité 5.000, vous lui faites confiance ? », demande ce spécialiste du diabète. Il continue : « Il y a un vrai problème de défiance à l’égard de l’industrie pharmaceutique », y compris chez les « soignants, qui voient bien cette industrie de près ».

« Cette distanciation des médecins crée un sentiment d’invulnérabilité »

« Ensuite on a drôlement vendu le vaccin AstraZeneca. On a dit d’abord que c’est un vaccin pas très efficace après 65 ans, qu’il donne des réactions pseudo-grippales. Puis on a dit qu’on va le garder pour les soignants… », ajoute André Grimaldi. Autre élément : « Les soignants sont jeunes pour la plupart et ont le sentiment, qu’au fond, le vaccin, c’est pour les vieux. C’est un raisonnement paradoxal ».

Enfin, dans la psychologie des soignants, « il y a l’idée que pour être un bon professionnel, il ne faut pas être dans l’émotionnel. Il y a une prise de distance. Le patient, ce n’est pas moi. Cette distanciation, réduire le malade à la maladie, crée un sentiment d’invulnérabilité » analyse le professeur. Ce qui aide « à tenir moralement. C’est une manière de se protéger ». En résumé, « les soignants ne sont pas des héros, mais ne sont pas non plus des salauds ». André Grimaldi n’est pas pour autant contre l’obligation. « A un moment oui, on peut y venir, mais pas tout de suite. Il faut répondre à tous les arguments d’abord » dit-il. Pédagogie, là encore.

« Eviter des contagions à l’hôpital »

Derrière la question de la vaccination, c’est aussi celle de la nosocomialité, c’est-à-dire quand on attrape le covid à l’hôpital, qui est posée. « On a alerté dès fin février 2020 sur cela. Et on n’a rien fait pendant des moins. Et aujourd’hui, on découvre ce problème, même s’il est moins prégnant », pointe Jérôme Marty. Yvon Le Flohic souligne que « la vaccination ne sera pas la seule solution. Il y a aussi les tests préventifs, le pooling salivaire. C’est l’addition de mesures imparfaites qui permettront de résoudre l’épidémie, et notamment le traitement préventif des clusters. L’ensemble des mesures permettront d’éviter des contagions à l’hôpital ».

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