Télétravail : « On ne reviendra pas au monde d’avant », estime l’économiste Gilbert Cette

Télétravail : « On ne reviendra pas au monde d’avant », estime l’économiste Gilbert Cette

Le travail à distance est devenu un élément incontournable d’un grand nombre d’actifs. Les sénateurs se sont penchés sur son impact ce jeudi en donnant la parole à plusieurs experts. Ces derniers ont présenté des opinions contrastées à ce sujet, qui devrait rester à l’ordre du jour même après la fin de la pandémie.
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Par Joseph Stein

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Le monde d’après sera-t-il lui aussi marqué par le télétravail ? C’est cette question que plusieurs experts ont abordée le 1er avril lors d’une table ronde au Sénat, organisée conjointement par la délégation aux entreprises et celle à la prospective.

Le premier confinement a donné un coup d’accélérateur au travail en dehors du site de l’entreprise. « On a constaté une explosion du télétravail », relève Gilbert Cette, professeur d’économie associé à l’université d’Aix-Marseille, « environ un quart des travailleurs est en situation de télétravail ». Avant la pandémie, cette proportion était de 3 %, d’après Erwann Tison, directeur des études du think tank Institut Sapiens.

La table ronde a évoqué dans un premier temps les avantages du travail à distance. Parmi eux, on dénombre « des gains en termes de temps de transport », note Gilbert Cette, tout comme « des gains de productivité. Ils peuvent être très importants parfois, par la plus grande implication et satisfaction des travailleurs. Parfois, il y a aussi des pertes de productivité, quand le télétravail est mal préparé ou dans des situations de confinement extrêmes, quand les travailleurs ont leurs enfants autour d’eux. »

"Le recours au télétravail restera massif" dans le monde d'après, pour Gilbert Cette
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« Le recours au télétravail restera massif »

André-Yves Portnoff, conseiller scientifique du centre de réflexion Futuribles International, indique que le travail hors de l’entreprise répond à certaines aspirations des salariés. Il annonce qu’en 2021, « 68 % des Français considèrent le télétravail positif pour eux ». Ce que le consultant met en perspective avec le désir de pouvoir davantage choisir le moment et le lieu de travail, plébiscité par 68 % de Français en 2019.

L’économiste Gilbert Cette pense « qu’on ne reviendra pas au monde d’avant du point de vue du télétravail. Le recours au télétravail restera massif, voire plus grand encore ». Selon lui, la proportion de postes télétravaillables avancée en France ou dans d’autres pays – un tiers – est « un chiffrage bien modeste ». « 20 % des tâches dans les métiers non convertibles au télétravail peuvent être faites en télétravail », estime le consultant André-Yves Portnoff, faisant référence aux tâches administratives et de réflexion ne nécessitant pas la présence sur le lieu de l’entreprise.

Droit à la déconnexion

Gilbert Cette appelle les pouvoirs publics à « limiter au maximum l’adoption de normes réglementaires qui brideraient le développement du télétravail ». Pour mieux tenir compte des situations variables entre entreprises, l’économiste recommande la négociation entre partenaires sociaux, à l’échelon le plus proche des salariés. Il reconnaît malgré tout qu’une des missions des pouvoirs publics est de « garantir le droit à la déconnexion » des travailleurs, à savoir leur droit de ne pas être contactés pour motif professionnel en dehors des heures d’activité.

Cependant, le travail à distance présente également des limites, en particulier au vu de la manière dont il a été pratiqué au moment du confinement début 2020. Le télétravail engendre des inégalités. Cette modalité de travail ne concerne de fait pas tous les travailleurs : 90 % des ouvriers sont restés sur site, tandis que deux tiers des cadres travaillent de chez eux, explique André-Yves Portnoff. La sénatrice centriste Annick Billon rappelle qu’en outre, « on creuse les inégalités entre les femmes et les hommes », notamment du fait de la garde et des leçons aux enfants, lorsque les écoles sont fermées, qui pèse parfois principalement sur les femmes.

Télétravail : "Le marché des quartiers d'affaires est en chute", indique Brigitte Bariol-Mathais
05:11

Hybridation des espaces urbains

Avec la montée en puissance du travail à domicile, les quartiers d’affaires « ont du plomb dans l’aile », affirme Morgan Poulizac, conseiller scientifique de Futuribles International. Il émet l’hypothèse que « les quartiers monofonctionnels sont amenés à disparaître à moyen ou long terme ». Pour autant, on ne devrait pas assister à une désertion des grandes villes. Le consultant envisage un « rééquilibrage et un réaménagement du territoire », dans le cadre duquel les villes moyennes bien reliées aux métropoles attireraient des télétravailleurs.

Le travail à domicile a par ailleurs fait émerger des aspirations différentes concernant les logements, remarque Brigitte Bariol-Mathais, déléguée générale de la Fédération nationale des agences d’urbanisme. Elle signale que les télétravailleurs souhaitent avoir davantage « accès à un logement avec une meilleure qualité de vie, avec un jardin par exemple ».

Brigitte Bariol-Mathais soutient que les espaces vont s’hybrider du fait du télétravail, mélangeant des traits des lieux d’activité et des lieux de vie. Pour l’experte, avec l’objectif de ne plus artificialiser les sols introduit dans le plan Biodiversité de 2018, il existe en effet un « enjeu de reconquête des quartiers d’affaires, pour en faire des quartiers mixtes », contenant à la fois bureaux et logements.

"Le risque du télétravail", pour Pierre-Olivier Monteil, c'est "le sentiment de désengagement"
09:20


« Degré zéro du civisme »

« Le risque du télétravail, c’est que le télétravailleur est incité à voir le monde de sa lucarne, à distance, ce qui peut s’accompagner d’un sentiment de désengagement », déclare Pierre-Olivier Monteil, professeur d’éthique entre autres à l’université Paris-Dauphine. Finis les pauses-café et autres contacts avec les collègues, quand on travaille à distance. Or à travers ces moments de sociabilité, « on montre qu’on n’est pas au travail que pour produire, mais aussi pour être bienveillants les uns envers les autres », montre le philosophe.

Ces moments d’échanges au travail sont d’autant plus importants, qu’ils constituent « le point de départ de la pédagogie de la citoyenneté, le degré zéro du civisme », pour Pierre-Olivier Monteil, dans la mesure où ils permettent d’apprendre à « collaborer avec quelqu’un dans l’espace public que je n’ai pas choisi ».

Enfin, si le télétravail engendre des baisses d’émissions de gaz à effet de serre grâce à la diminution des déplacements vers le lieu d’activité, les conditions du travail à distance ne sont pas sans impact sur l’environnement. Un des facteurs problématiques à cet égard est le recours accru aux visioconférences. Pour réduire les émissions polluantes, il faudra alors prendre en compte tous les aspects du télétravail.

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