Et si le plus grand défi après avoir vécu plusieurs mois dans l’espace était de réussir son retour sur terre ? Si les conséquences physiques d’un séjour long dans l’espace font l’objet d’une documentation riche et d’un suivi au retour de l’astronaute, il en est tout autrement du suivi psychologique : « Sur une mission de six mois, il faut six mois pour s’en remettre physiquement. Musculairement, sur le cardio on peut récupérer. Mais moralement il n’y a pas beaucoup d’études ».
Des retours qui donnent parfois lieu à des moments cocasses, quand il s’agit d’ouvrir son courrier en retard, ou carrément décalés quand on retrouve le quotidien d’une vie banale. « Une fois qu’on revient, on nous serre la main et on se retrouve livrés à nous-mêmes. Moi je me rappelle avoir vécu des moments un peu bizarres, où l’on se retrouve au supermarché cinq jours après le retour sur terre. On se demande : « qu’est-ce que je fais là au milieu des gens ? Il y a cinq jours j’étais dans la station spatiale… ».
« Une fois qu’on revient, on nous serre la main et on se retrouve livrés à nous-mêmes », Thomas Pesquet
Une réadaptation à la vie sur terre dans laquelle Thomas Pesquet avoue qu’il « faut retrouver sa place, auprès de ses amis, de sa famille […]. Les gens ont continué à vivre, ils ne vous ont pas attendu. Il faut se réinsérer dans tout ça. Il faut faire attention. »
Dans la station, il faut se concentrer sur le boulot pour ne pas devenir fou
Mais se confronter à l’infiniment grand peut aussi avoir des conséquences psychiques fortes pendant la mission. Si l’astronaute revient souvent sur le caractère vertigineux de ses sorties extra-véhiculaires, et le danger qu’elles comportent, il n’esquive pas le risque que représente la confrontation à l’infinité du cosmos. « On n’est pas des philosophes, pas des intellectuels, on a vraiment un job à faire, on est assez terre à terre. On est très mal équipés pour raisonner avec des choses qui nous dépassent. On arrive à raisonner avec des choses à notre échelle, avec des concepts finis. On se donne parfois les moyens de raisonner au-delà, avec les mathématiques et la philosophie, mais ça nous échappe un peu ». Au risque pour l’astronaute de perdre pied : « On ne peut pas se confronter à des grands problèmes fondamentaux sans solution, on peut le faire un petit peu, mais si on le fait trop on devient fou ! » Et pour ne pas devenir fou, Thomas Pesquet a sa parade : « Tout le monde se raccroche à des choses qui sont à notre portée, qui sont mesurables, sur lesquelles on peut avoir un impact. C’est important pour ne pas devenir fou. Et parfois on regarde par la fenêtre et on prend un shoot d’adrénaline sur l’immensité du cosmos ; mais on deviendrait fou, si on regardait ça en permanence ».
Ne pas vivre dans le regret des missions spatiales
Mais l’écueil le plus redoutable, une fois de retour, reste pour Thomas Pesquet de vivre dans le regret des missions passées. De perdre un peu de goût pour la vie de tous les jours. Car de son aveu même : « C’est difficile de retrouver l’excitation, la saveur d’une mission spatiale. C’est la convergence des forces de tellement de gens, de tellement d’intelligence : les gens qui construisent les fusées, les satellites. Et puis il y a des années de préparation, d’entraînement ; et finalement le jour arrive. C’est comme les sportifs qui vivent les Jeux olympiques. Mais il ne faut pas vivre dans le regret. Le piège, c’est de vivre dans le regret »
« Le piège, c’est de vivre dans le regret », Thomas Pesquet
Ses projets à l’avenir auront sûrement un goût d’aventure. Si, pour l’instant, l’astronaute avoue se consacrer au service « après-vente » de la mission, nul doute qu’il se lancera dans d’autres défis, en orbite et sur terre : « Il n’y a pas grand-chose que je m’interdis de faire, j’ai plein de projets mais je n’ai pas fait beaucoup de choses en solitaire. Quand j’ai fait du bateau ou de l’alpinisme, c’était toujours en groupe. Il faudrait que je me lance dans des choses plus en solitaire. C’est peut-être une faiblesse de pas l’avoir fait ! »
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