Vaccination : « Il faut laisser les coudées franches aux élus locaux »

Vaccination : « Il faut laisser les coudées franches aux élus locaux »

Les élus locaux veulent être mis dans la boucle de la campagne de vaccination. Certaines régions sont même prêtes à commander des vaccins. A Alfortville, le maire PS Luc Carvounas va vacciner dès vendredi. Le sénateur LR René-Paul Savary dénonce « une culture de centralisation dont on n’arrive pas à se débarrasser ».
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A la recherche du temps perdu. Après un retard à l’allumage, le gouvernement tente de passer la seconde sur la vaccination. L’exécutif a revu sa copie, mis sous pression de l’opposition mais aussi des élus locaux. Les collectivités locales pressent en effet le gouvernement de s’appuyer sur les relais de terrain.

« Absence d’informations et de concertation »

L’Association des maires de France (AMF) demande « à nouveau » dans un communiqué « que les maires soient associés à l’organisation de la campagne de vaccination », dénonçant « l’absence d’informations et de concertation ». L’Assemblée des départements de France veut aussi contribuer à l’effort collectif et « jouer un rôle majeur dans la campagne vaccinale ». S’ils saluent un « renforcement de la coordination avec les préfets et les agences régionales de santé », l’association présidée par Dominique Bussereau propose l’« assistance » et les « moyens » des départements, avec notamment « leurs médecins territoriaux et de leurs personnels médico-sociaux » ou un « soutien logistique ».

Il faut « faire confiance aux élus locaux » résume sur Sud Radio Hervé Morin, président centriste de la région Normandie, qui compter aller plus loin. Il affirme être « en discussions avec un grand groupe pharmaceutique pour acheter des doses de vaccin ». L’association Régions de France propose justement ce mercredi, parmi neuf propositions pour décentraliser la campagne, de « ne pas empêcher les Régions qui le souhaitent d’acheter des vaccins » ou encore de « mettre en place un conseil des territoires constituant au niveau national une vraie instance de co-construction et d’évaluation avec les collectivités locales ». « La Région Pays de la Loire est à la disposition du gouvernement pour contribuer au succès de la campagne de vaccination » annonce ainsi sur Twitter sa présidente LR, Christelle Morançais, qui a écrit au ministre de la Santé Olivier Véran.

Sur France 2, le président LR du Sénat, Gérard Larcher, s’est fait comme à son accoutumée le porte-voix des doléances des élus. Pour arriver au chiffre de 500 centres de vaccination, comme annoncé par le gouvernement, « il faut s’appuyer sur les infrastructures des communes » appelle de ses vœux le sénateur des Yvelines. Gérard Larcher demande « d’entamer avec les collectivités territoriales un vrai dialogue pour aller plus vite, et débureaucratiser le pays ».

Gabriel Attal : « Cette campagne de vaccination, nous la réussirons avec les élus »

A écouter le gouvernement, tout va bien pourtant. « Cette campagne de vaccination, nous la réussirons avec les élus. C’est la raison pour laquelle elle a été élaborée en étroite concertation avec les associations d’élus et le Parlement. Des réunions se sont déroulées quasiment chaque semaine avec les associations d’élus, depuis plusieurs mois » soutient ce mercredi Gabriel Attal, porte-parole du gouvernement, après le Conseil des ministres. Il continue : «

Les élus peuvent tout à fait proposer des lieux qui permettent d’accueillir des vaccinations, qui pourront démarrer dès le mois de janvier.

Gabriel Attal ajoute que « des réunions se tiennent au niveau départemental, avec le préfet, les Agences régionales de santé et les élus locaux. Cette question de la proximité est très importante pour nous ». Regardez :

Gabriel Attal : "Cette campagne de vaccination, nous la réussirons avec les élus"
01:39

Certains maires n’ont pas attendu et sont prêts. A Cannes, le maire LR, David Lisnard, assure sur Twitter que sa ville est « opérationnelle » et met « à disposition de l’Etat la logistique, dont nos deux congélateurs aux normes à -80°, kits et deux « vaccinodromes » totalement équipés ».

A Alfortville, dans le Val-de-Marne, le maire PS Luc Carvounas est dans les starting-blocks. « Dès vendredi, je vais mettre en place dans ma ville le premier centre ambulatoire de vaccination d’Ile-de-France » se réjouit l’ancien sénateur et député, qui préside depuis peu l’Uncass (Union nationale des centres communaux d’action sociale). Conscient que « l’Etat n’a pas tous les moyens », sa commune est « prête à s’équiper en frigos pour mieux décentraliser la vaccination ».

« Ils changent de braquet, ils ont compris qu’ils faisaient une erreur terrible »

« Avec l’AMF, Villes de France, l’Association des maires de France, l’Uncass, on a tous dit la même chose : ça n’allait pas assez vite. Il aurait peut-être fallu que dans le Conseil de défense soit élargi à ceux qui ont le bon sens populaire, c’est-à-dire les maires », lance Luc Carvounas. Pour celui qui est aussi porte-parole du Parti socialiste, « le changement de planning de vaccination, en passant de cinq à trois phases, avec certains publics ciblés au début du printemps et non à la fin, est bien la preuve qu’il y avait un problème au départ. Les élus locaux, qui ont tiré la sonnette d’alarme, ont été entendus par le Président, qui a demandé d’accélérer », se félicite-t-il. Luc Carvounas ajoute :

On change de braquet. Mais comment on a pu en arriver là ? Il y a un problème de fonctionnement au niveau de l’Etat dans cette administration centrale qui ne s’est pas remise en question.

« Ils changent de braquet, ils ont compris qu’ils faisaient une erreur terrible » confirme le sénateur LR de la Marne, René-Paul Savary, qui était vice-président de la commission d’enquête du Sénat sur la gestion de la crise du Covid-19. Le sénateur sort d’un échange « avec le préfet, l’ARS et les parlementaires » de son département. « On voit bien qu’il y a des difficultés de logistique. Et déjà, il y a un nombre de doses insuffisant » pointe René-Paul Savary. « Ensuite, on voit que pour obtenir le consentement des personnes, il faut mobiliser les services du département, les élus locaux. Dans la seconde phase de vaccination, ce sont les élus locaux qui pourront organiser ça, par centre de vaccination, car ils connaissent bien la structure de leur territoire ». Mais pour le sénateur LR, ce retard est difficile à concevoir :

C’est incroyable de ne pas s’être organisé depuis 15 jours. Chaque jour gagné est un jour important sur le plan économique aussi.

Les régions qui achètent des vaccins, « pourquoi pas »

Les collectivités doivent-elles être dans la boucle au point de commander elles-mêmes des doses de vaccins, comme est en train de le faire Hervé Morin en Normandie ? « S’ils sont capables de les avoir plus rapidement, pourquoi pas ? C’est une course de vitesse. Plus on aura vacciné de gens, plus la situation sera maîtrisée. Je comprends tout à fait que certains essaient de vacciner leur population » réagit René-Paul Savary. Acheter des vaccins, « c’est le rôle normalement de l’Etat » reconnaît-il, « mais on est dans une période où ce qui est important, c’est de s’en sortir au plus vite. Si on reste figé sur son rôle, je ne suis pas sûr que ça conduise à la meilleure solution. Si certains veulent innover et aller un peu plus vite, pourquoi pas. Il faut leur donner leur chance. Je préfère que ce soient les régions qui essaient d’acheter des vaccins, que voir les pays étrangers nous dire « on a réussi ».

Mais plutôt que s’appuyer sur les régions, le gouvernement a préféré recourir au cabinet américain McKinsey pour l’aider à organiser la stratégie vaccinale, révèle le Canard enchaîné ce mercredi. Ce qui étonne René-Paul Savary : « Avec le nombre d’agences qu’on a, on n’est pas foutu de déterminer notre ligne stratégique pour vacciner au plus vite ? C’est inouï. On posera la question à Olivier Véran, quand on l’auditionnera » prévient le sénateur. L’audition est prévue le mardi 12 janvier.

« Absence de retour d’expérience, absence d’autocritique »

Après la quasi-absence de masques au début de l’épidémie, puis le loupé des tests en septembre, on assiste aujourd’hui à « une entrée en campagne de vaccination qui fait de la France la risée de tous nos voisins européens » dénonçait mardi le sénateur (apparenté PS), Bernard Jomier, sur publicsenat.fr. Le corapporteur de la commission d’enquête du Sénat pointe une « organisation extrêmement centralisée et extrêmement verticale ».

Même causes, mêmes effets. C’est ainsi que René-Paul Savary explique ce ratage. « On prend les mêmes logisticiens et on n’a pas tiré l’expérience de ce qui s’est produit pour les tests et les masques. C’est l’absence de retour d’expérience, d’absence d’autocritique. C’est ce qu’on a dénoncé dans notre commission. On a déjà dit qu’il fallait laisser les coudées franches aux élus locaux. Or il y a une culture de centralisation dont on n’arrive pas à se débarrasser » regrette le sénateur de la Marne.

« En France, on a un grave problème de fonctionnement depuis toujours », renchérit Luc Carvounas, « on a une administration centrale avec des hauts fonctionnaires qui considèrent qu’ils sont plus capés que les élus locaux ou que les représentants de la Nation, parfois traités avec mépris ou dédain ». Le maire d’Alfortville voit une autre origine à ces problèmes : « Le non-cumul des mandats. Je savais que c’était une connerie. On a le résultat aujourd’hui » lance-t-il au sujet de la réforme de François Hollande… « Je n’ai pas de problème à le dire, je ne l’ai pas votée », ajoute-t-il, mais « on a aujourd’hui des parlementaires hors-sol ». « C’est moins vrai au Sénat » ajoute cependant l’ancien sénateur, « car aujourd’hui, le Sénat apparaît comme un bien plus précieux. C’est le Sénat qui peut nous apporter, dans les moments de crise, la plus belle expertise ». Reste que pour l’heure, la France est à la traîne, avec 7.000 personnes vaccinées le 5 janvier. La veille, l’Allemagne était déjà à 265.000 vaccinés.

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