Violences conjugales : « La justice n’est pas faite pour les victimes »

Violences conjugales : « La justice n’est pas faite pour les victimes »

Après les annonces du ministère de l’Intérieur sur sa volonté de mieux prendre en charge les plaintes pour violences conjugales, Public Sénat a voulu donner la parole à Marie, 23 ans. L’an passé elle a porté plainte contre son ex- compagnon.
Public Sénat

Par Elodie Hervé

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Dans son téléphone, entre deux photos de vacances se nichent ses vidéos de violences conjugales, des numéros d'amies et ds témoins mais aussi des photos de ces coups qu’elle a reçus. L'an passé, Marie, 23 ans dans un mois, a porté plainte contre son ex-compagnon pour violences conjugales. Il a été jugé en juin 2021. Seulement, il a été en partie relaxé pour un vice de procédure. « J’aurai aimé savoir dans quoi je m’embarquais avant de commencer cette procédure. Surtout quand je vois le résultat », lâche-t-elle d'une voix calme et posée. 

La première fois qu’elle se rend dans un commissariat de police, c’est en août 2019. La boule au ventre, elle porte plainte et décrit ce qu’elle a vécu à une personne peu attentive à son histoire. « J’ai eu très peur des conséquences et pour ma vie. Dès le lendemain, j'ai retiré ma plainte.»

Lors de séparations, la violence à l’encontre des femmes augmente, ce qui peut conduire à des féminicides. Depuis le début de l’année, au moins 75 femmes sont mortes sous les coups de leur (ex) conjoint. « J’avais besoin d’aide quand je suis retournée au commissariat le lendemain, continue Marie. Au lieu de ça, la policière m’a demandé de ne pas revenir ici la prochaine fois pour éviter la paperasse. Mots pour mots, elle m’a dit “vous nous faites perdre notre temps".»

La fiche dangerosité

Un an plus tard, Marie retourne porter plainte pour des faits similaires. Pendant trente minutes, elle va raconter son histoire. A ce moment-là, la personne qui l’écoute refuse de prendre les preuves qu’elle lui apporte. « Ils n’ont pas inscrit qu'un témoin était présent à l'une des scène de violences. »

Elle est orientée vers le CIDFF puis vers la brigade de protection des familles. Peu après, elle contacte le 3919 qui lui conseille de déposer un complément de plainte dans un commissariat spécialisé. « La prise en charge a vraiment été différente ». Dès son arrivée, elle reçoit une fiche dangerosité qui lui permet de prendre conscience des différentes violences que son conjoint lui fait subir. Sur le même principe que le violentomètre, cette fiche est une série de questions qui permet à la police de comprendre à quel point la victime est en danger immédiat, et de comprendre aussi quel est le profil de l'agresseur. 

« Cette fiche permet aussi de détecter les violences conjugales, souligne Zoé Royaux, avocate pénaliste et porte-parole de la Fondation des femmes. C'est souvent là l'un des grands problèmes parce que pour beaucoup "violences conjugales" signifie "violences physiques". Ces violences sont aussi souvent des violences économiques, psychologiques, etc. Cet outil est très utile mais encore faut-il qu'il soit utilisé et que les policiers soient formés à recevoir cette parole.»

Le rôle des associations

« Pour la première fois, j’étais écoutée et prise en charge, continue Marie. J’ai pu réaliser que ce que j’avais subi n’était pas normal et que j’avais bien fait de vouloir porter plainte. J’ai aussi vu la différence de traitement entre un commissariat qui voulait expédier vite ma plainte et une prise en charge optimale.» Cette fois-ci, les preuves qu’elle a avec elle sont ajoutées au dossier ainsi que le numéro du témoin. « Ce que j'ignorais à l'époque, c'est que tout ce que je pouvais dire ou ne pas dire serait utilisé contre moi pendant le procès. Je n’avais aucune expérience en droit, j’ai dû me renseigner seule. Par exemple, au premier commissariat, ils m’ont dit que ça ne servait à rien de faire une expertise pour constater les coups et blessures. Alors que dans le second commissariat, ils m’ont expliqué que c'était essentiel pour compter les jours d’ITT et que si je ne le faisais pas, il serait inscrit dans mon dossier que j’avais refusé. »

Pour pallier ce manque, Ghada Hatem, fondatrice de la Maison des femmes de Seine-Denis, reconnaît qu’il est important pour les personnes victimes de violences conjugales de se rapprocher des associations, le plus rapidement possible. Elle insiste sur la nécessité d’avoir un endroit pour se réfugier, et du temps nécessaire pour mettre en place les démarches.

« La procédure est longue et il est préférable d’être accompagnée pour tenir le coup. Les policiers et la justice vont demander des détails. Il va falloir raconter encore et encore le récit des événements. Cela peut paraître humiliant pour une victime. C’est pourquoi, il est très important de ne pas être seule et quand cela est possible de préparer en amont sa plainte. » 

L’unité médico-judiciaire

Le moment de l’unité médico-judiciaire arrive pour Marie. Dans une salle froide et dépourvue d'âme, la médecin va examiner chaque recoin de son corps, mesurer chaque cicatrice, chaque bleu. Compter les traces et les inscrire dans un rapport joint au dossier de l'instruction. 

« Face à elle, j’étais nue et c’est très impressionnant. La charge mentale sur la victime est très forte. C’est à nous de supporter encore et encore que l’on nous touche, que l’on nous observe pour espérer qu'à moment donné on finisse par nous croire. Sincèrement, il faut être préparé. »

Pour Marie, c’est là l’un des principaux problèmes de la manière dont le système judiciaire fonctionne en France. « La justice n’est pas faite pour les victimes. On nous demande de porter plainte, mais en face, si les agents ne sont pas formés et que l’on ne sait pas à quoi ressemble un procès, on est foutu. Si je n’avais pas fait de complément de plainte, on m’aurait reproché de ne pas avoir été à l’unité médico-judiciaire alors que j’ignorais même à quoi cela servait. »

Ghada Hatem ajoute que si la justice n’est pas faite pour les victimes c’est qu’elle est là pour « punir l’agresseur ». « Globalement, rien ne va être à la hauteur du traumatisme subi. Ce qui est demandé à la justice, c’est une réparation de ce trauma. Et cela, elle ne peut le donner. »

L’expertise psy

Après son dépôt de plainte et les rendez-vous avec les médecins de l’unité médico-judiciaire, Marie doit passer par une expertise psy. Le psychologue estime que le dossier est « trop grave » et qu’elle doit se présenter à un expert psychiatre.

Deuxième injustice pour elle. Alors que son agresseur aura une expertise de 20 minutes avec un psychologue, elle va se retrouver à raconter une partie de sa vie pendant quatre heures à un psychiatre. « Là encore, c’est assez éprouvant. Il pose des questions très indiscrètes sur ma vie sexuelle d’avant, celle où je ne connaissais pas encore mon agresseur. Quel est le rapport avec les violences conjugales que j’ai subies ? Rien. Là encore, ça a été utilisé contre moi pendant mon procès. Tout est à risque pour la victime. On doit justifier nos choix, nos décisions, alors que l’on demande juste à être entendue. »

Une enquête est menée à charge et à décharge. Pour les faits de violences conjugales ou de viols et en l’absence de preuves incontestables, les policiers cherchent souvent à prouver que la victime ne ment pas. Sa parole est mise en doute, au même titre que celle de l’agresseur présumé.

Cette remise en doute systématique est régulièrement dénoncée par les associations de défense des victimes. Dans la réalité des faits, les fausses accusations sont ultra-minoritaires. Si elles sont très difficiles à estimer, les études parlent de 2 % à 8 % des cas.

Protection des victimes

Pendant cette période entre sa plainte et le procès, Marie va vivre chez des amies. Son ex-conjoint va continuer à lui envoyer des SMS, à venir devant chez elle et à maintenir une emprise.

Pourtant, le juge des détentions et de la liberté n'émet pas d’interdiction d’entrer en contact avec Marie. De fait, aucune protection particulière ne lui sera proposée. Ni téléphone grave danger, ni ordonnance de restriction. « Le juge a estimé que comme nous ne vivions pas ensemble, je n’avais pas besoin d’être protégée. » Aux victimes, elle conseille de se rapprocher d’une avocate spécialisée, via une association, et de ne pas hésiter à demander des mesures de protection. Elle insiste aussi sur la nécessité d’être entourée. Soit par ses proches, soit par une association spécialisée, dont une liste est disponible à cette adresse.

Son ex-conjoint a aussi porté plainte contre elle pour atteinte à la présomption d’innocence, en octobre 2020. Une demande déboutée en janvier 2021.

Un procès qui a duré cinq heures

Cinq mois plus tard, son procès commence. Pendant cinq heures, elle va devoir réexpliquer son histoire. Jugé pour violences aggravées, violences volontaires et menaces de commettre délit, l’homme contre qui elle a porté plainte sera condamné pour les menaces de mort et menaces de délit. Il écope de six mois de prison avec sursis et deux ans de probatoire. Il va aussi être condamné à une obligation de soins et une obligation d’indemnisation.

En revanche, pour les faits de violences aggravées, il a été relaxé pour vice de procédure. Une nulité est aussi prononcée pour les violences volontaires. Au moment de la retranscription des plaintes de Marie, le parquet a fait une erreur sur les dates. « Il a reconnu une partie des faits à la barre et oui ça fait un peu mal de se dire qu’il ne sera pas condamné pour ça. Mais pour moi, la procédure s’arrête là. »

Marie a décidé de ne pas poursuivre en appel, ou de recommencer une nouvelle plainte pour ces faits. « Ce n’est pas possible pour moi de reprendre ce parcours-là. » Une autre plainte est en cours, cette fois-ci pour viols.

« Aujourd'hui, je n'ai plus peur »

Entre ses deux plaintes, il aura fallu un an à Marie pour oser pousser de nouveau les portes d'un commissariat. Puis, elle aura attendu un an avant que son procès se tienne. « La police peut déjà permettre à une plainte d'être prioritaire. Il suffit pour cela qu'elle soit épinglée "violences habituelles"». 

Pendant cette période, elle ne doit sa survie qu'à ses proches. Désormais, elle dit attendre des actes plus que des déclarations politiques. Pas pour elle. Mais pour toutes celles qui, comme elle, auront un jour besoin de la justice. « Il est temps que l'on pense la prise en charge des victimes de violences sur du très long terme. Aujourd'hui, je n'ai plus peur. Mais il se passe quoi s'il revient ? Vais-je devoir de nouveau demander à mes proches d'être là?»

En 2020, 102 femmes sont mortes sous les coups de leur (ex) conjoint, selon les chiffres du ministère de l'Intérieur. Parmi elles, près d’une sur cinq avait déjà porté plainte.

 

Ressources :

- Des numéros d’avocates spécialisées sur les violences conjugales

- Plateforme d’aide juridique pour les personnes victimes de violences

- Le 3919, du lundi au dimanche, 9h-19h

- Viols Femmes Informations 0 800 05 95 95, du lundi au vendredi, 10h-19h

- Le tchat de l’association « En avant toute(s) » gratuit et anonyme

 

 

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