Espace numérique : le gouvernement souhaite créer un « cadre protecteur » mais « souple »

Le ministre délégué chargé de la Transition numérique et des télécommunications, Jean-Noël Barrot, a détaillé son projet de loi de protection des citoyens, des sociétés et des collectivités en France devant les sénateurs regroupés en commission spéciale. Une loi qui ne doit cependant pas remettre en cause les « compromis européens », prévient le ministre.
Thomas Fraisse

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« L’insécurité que nos concitoyens rencontre sur Interne sape leur confiance dans le numérique. Tous les Français sont concernés ». C’est par ces termes que Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de la Transition numérique et des télécommunications, a présenté l’importance de son projet de loi de l’espace numérique aux sénateurs. C’est dire si l’audition du Ministre, ce jeudi, par une commission spéciale formée pour l’occasion derrière la sénatrice centriste Catherine Morin-Desailly est importante. L’audition a permis, notamment, de clarifier le cadre des mesures gouvernementales ainsi que les ambitions de la France à l’échelle européenne.

Deux termes parcourent l’entièreté des articles présentés par Jean-Noël Barrot. Selon les mots du Ministre, la France doit d’abord créer un « cadre protecteur » pour les Français, notamment pour les mineurs, mais aussi pour les collectivités et les entreprises. Afin que ces dernières ne soient pas bridées dans leur nécessité de développement, la seconde politique vise à l’inverse à adapter ce cadre afin de lui ajouter un caractère de souplesse.

« Deux lignes rouges »

Permettre au Parlement français de légiférer sur l’espace numérique n’est pas une mince à faire. Depuis trois ans, l’Union européenne réfléchit de consort avec les 27 États – malgré les réticences du Luxembourg ou l’Irlande, terres d’accueil des géants du numérique – afin d’apporter un cadre économique et juridique à la législation d’Internet. Deux textes ont vu le jour sous l’égide du commissaire français à l’Union européenne Thierry Breton : le DSA, qui a été publié début mai, et le DMA, qui entrera en vigueur le 25 août prochain. Ainsi la France n’a pas une totale liberté dans ces politiques, sous peine de remettre en cause des traités européens, que le gouvernement français a lui-même porté l’année dernière lors de sa Présidence française de l’Union européenne. « Ce texte nous conduira à soutenir des propositions avec deux lignes rouges », prévient Jean-Noël Barrot devant la commission souhaitant cadrer les débats qui auront lieu dans les deux hémicycles. « C’est grâce à ces compromis européens que nous réussirons à obtenir des concessions de la part des géants numériques. Le poids du marché unique est le seul susceptible de faire plier et évoluer les pratiques des géants du numérique ». L’objectif sera donc de construire un droit français dans le respect strict des règles européennes. « Un véritable jeu d’équilibriste », ironise Patrick Chaize, rapporteur de la loi.

« La deuxième ligne rouge, c’est qu’on peut être tenté aller très loin, il faut être vigilent à ne pas empiéter trop loin sur les libertés fondamentales qui constituent le socle de notre démocratie ». Même si le Ministre a tendance à s’engager corps et âmes dans la protection des concitoyens, une voix intérieure le ralentit : celle du respect des libertés d’expression et de communication. Ainsi même si le projet de loi comprend une mesure permettant à l’Autorité de régulation des communication audiovisuelle et numérique (Arcom) de bannir des sites malveillants envers la démocratie française, « en matière de lutte contre la désinformation, il faut agir avec la main tremblante et dans le respect de la liberté d’expression ».

Faire de la France une terre d’accueil

Un volet essentiel du projet de loi présenté par le ministre est la protection des entreprises françaises, pour leur permettre d’évoluer dans un espace dénué d’abus de position dominante et de monopoles. « L’objectif est de déverrouiller l’espace dans lequel quelques acteurs se sont octroyés une position de monopole », se justifie le ministre. Ainsi, la France souhaite développer un encadrement poussé sur le cloud ou « l’informatique en nuage », selon le terme préféré par les sénateurs cet après-midi, c’est-à-dire des règles concernant l’espace de stockage et de gestion des données à distance sur Internet. Par exemple, le ministre souhaite faciliter l’interopérabilité entre les fournisseurs de services cloud. L’interopérabilité, qui permet de faciliter les échanges de données, permettait ainsi à une entreprise de changer plus facilement de fournisseur, sachant que le texte prévoit aussi de limiter les frais.

Mais pour que la France profite d’un fleuron informatique innovant et attractif à l’échelle européenne, les entreprises doivent également bénéficier d’un cadre « souple » afin d’attirer les entreprises étrangères, notamment américaines. « Pourquoi s’installer en France ? Lorsque des scandales ont éclaté aux États-Unis, ils ont serré les boulons d’une manière excessive conduisant les acteurs à ouvrir des succursales en Europe ou se délocaliser », avance Jean-Noël Barrot. Ainsi, la France se doit d’encourager tous les acteurs du numérique à investir en France, y compris Elon Musk, reçu mi-mai par Emmanuel Macron puis par Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances. « Nous évoquons avec lui toutes les possibilités d’implantation en France de sites industriels. Monsieur Musk et ces usines sera le client des entreprises qui en France vont créer des batteries électriques. Nous avons la nécessité pour le secteur automobile d’entretenir les meilleures relations avec les constructeurs ».

Protéger tous les Français

L’un des volets, dont les sénateurs ont beaucoup discuté ces derniers temps comme l’a rappelé Catherine Morin-Desailly – notamment avec le rapport du Sénat sur la pornographie – est le sujet de la protection des utilisateurs d’Internet, notamment les mineurs. Pour ces derniers, le projet de loi prévoit une régulation accrue par l’Arcom avec la vérification des âges des utilisateurs sur les sites pornographiques et une application stricte des amendes. Pour répondre au rapport du Sénat de septembre 2022, qui évoquait une incapacité de l’Arcom à réaliser cette compétence, Jean-Noël Barrot promet le recrutement de 10 nouveaux agents pour assurer cette nouvelle responsabilité.

Pour l’entièreté des Français, le texte lutte contre deux fléaux. D’une part, le premier plan d’action vise à annihiler le système d’arnaque par envoi de mails ou de SMS. Un filtre anti arnaque, aussi appelé « filtre national de cybersécurité », permettra d’éviter que 18 millions de Français chaque année soient victimes de cyber-arnaque. « Ce sont les plus vulnérables, qui se retrouvent spoliés de leurs économies ou entraînés dans la spirale infernale de l’usurpation de l’identité. Il faut couper le mal à la racine et dévitaliser le commerce de ces mafias qui se sont instrumentalisés ».

D’autre part, le ministre peste contre « les chefs de meute », qui « propagent la haine et la violence comme des incendies en désignant des victimes ». Le ministre poursuit : « Lorsque l’on regarde les agresseurs de Mila, d’Eddy de Pretto, de Hoshi, on trouve là des personnes se pensant à l’abri derrière des pseudonymes sans soupçonner qu’ils pouvaient être punis par des peines d’emprisonnement ». La lutte contre le cyberharcèlement sera donc renforcée grâce à des « sanctions lourdes » à hauteur de la gravité des faits.

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