Ce n’est pas une surprise. Mais une confirmation. Les idées du Front national s’installent petit à petit en France. Son image, sous l’impulsion de Marine Le Pen, s’améliore. Un processus lent mais certain que montre le baromètre annuel de TNS-Sofres pour France Info/Le Monde/Canal +.
« Meilleure image »
32 % des personnes interrogées se disent « tout à fait » ou « assez » d'accord avec les idées du Front national, soit un point de plus en un an. 63 % sont en désaccord avec le FN. « Ce sondage confirme la pérennisation du FN dans l’espace politique français », affirme Jean-Yves Camus, spécialiste de l’extrême droite et chercheur à l’Iris. « Les thèmes qui marchent le mieux dans l’agenda politique frontiste sont toujours le rejet de la classe politique, la question de l’immigration et la place de l’Islam en France, dont Marine Le Pen a fait son cheval de bataille. Par contre la question de l’Union européenne et de l’euros ne marchent pas très fort », note le chercheur.
Autre chiffre marquant : 47 % des sondés pensent que le FN « ne représente pas un danger pour la démocratie », soit 8 points de plus qu’en 2012. L’image de la présidente du Front nationale n’y est pas étrangère. « Marine Le Pen a incontestablement une meilleure image que celle de son père. Cela rejaillit sur le parti », explique le spécialiste. L’entreprise menée par Marine Le Pen et son bras droit Florian Philippot est claire : dédiaboliser le front. « Elle a réussi un an et demi après son arrivée à la tête du parti à l’amener à son niveau électoral le plus élevé depuis sa création, avec 18 % à présidentielle. Il y a un début de normalisation, on n’en est pas à la dédiabolisation totale », nuance Jean-Yves Camus, pour qui « la question centrale est celle des racines du parti ». A la différence de « la Ligue du nord en Italie ou de l’Union démocratique du centre en Suisse qui sont des partis qui n’ont pas à se poser cette question de leur origine, car ils viennent des droites classiques », on renvoie toujours au FN ses origines. « C’est évidemment un boulet pour lui. Le parti est né à l’extrême droite. Il ne peut qu’espérer que cette marque infamante s’éloigne avec le temps », affirme le chercheur.
« Le FN n’a pas changé d’idéologie »
Avec le changement d’image constaté et quelques évolutions, le FN est-il toujours un parti d’extrême droite ? « Je maintiens que c’est un parti qui puise ses racines dans la longue tradition de l’extrême droite. Mais ce n’est pas fixé une fois pour toute. C’est incontestablement le parti qui polarise le plus la société française. La preuve, avec le nombre élevé de gens qui ne voudront jamais voter pour lui. C’est aussi le parti le plus à droite sur l’échiquier », souligne Jean-Yves Camus. Il ajoute : « Mais le Front national n’a pas changé d’idéologie. On est toujours sur la priorité nationale, on trouve de plus en plus les thématiques anti-multiculturalistes et anti-islam. La seule petite évolution, c’est que Marine Le Pen utilise de moins en moins les termes inversion des flux migratoires ». En revanche, elle prend soin de ne pas faire, à la différence de son père, de dérapages antisémites. « Elle sait bien que si ça n’a pas nuit électoralement à Jean-Marie Le Pen, ça a rendu impossible l’alliance avec la droite classique, car il y a une barrière morale », analyse le spécialiste de l’Iris.
L’autre question centrale est bien celle des alliances. Dans les sondages, 35 % des personnes interrogées, dont 40 % à l'UMP, jugent le FN en « capacité de participer à un gouvernement ». Soit une hausse de 10 points sur deux ans. 54 % des sympathisants UMP jugent que Marine Le Pen est une représentante d’une « droite patriote attachée aux valeurs traditionnelles ». « Ça confirme la porosité entre les militants et les électeurs frontistes et la droite classique. La ligne jaune, qui était très nette il y a 15 ans, est en train de s’estomper, principalement sur l’immigration et la place de l’Islam », souligne Jean-Yves Camus. Une porosité qui « est la conjonction d’un travail de Marine Le Pen, qui apparaît moins extrémiste que son père, et l’évolution sociétale globale ».
Risque de la banalisation pour le FN ?
Le chercheur estime « que cela semble valider aussi la stratégie de Jean-François Copé. Mais il y a toujours la dimension protestataire du vote FN qui aura pour conséquence de mettre l’UMP du côté des perdants ».
Inversement, l’hypothèse d’une alliance entre la droite républicaine classique et le FN est à double tranchant pour le front. « La grande alliance a quelque chose en germe qui serait mortel pour le FN : c’est sa banalisation. Elle n’a de cesse de critiquer l’UMP. En faisant alliance, toute dimension protestataire s’en irait », remarque le spécialiste de l’extrême droite. Le FN doit-il alors uniquement viser à dépasser l’UMP ? « Ce n’est pas possible. C’est un jeu compliqué », selon Jean-Yves Camus. D’autant que la campagne droitière de Nicolas Sarkozy ni la grave crise interne de l’UMP n’ont fait exploser le pari de Jean-François Copé, laissant au FN ramasser les miettes. Bientôt la crise de croissance pour le FN ? Pour espérer continuer son ascension, le chercheur pense que le FN doit « faire un jour de ce mouvement un parti qui participe au pouvoir tout en gardant un aspect antisystème ». La ligne de crête à suivre est étroite. Voire impraticable.