C’est la face cachée du Parlement. Les « clubs parlementaires » (voir notre article sur le sujet) sont des structures informelles qui mettent en relations députés et sénateurs avec des organismes professionnels, des représentants d’intérêt variés. En un mot, des lobbys. La Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), structure créée après le scandale Cahuzac, livre dans un rapport 10 préconisations pour aboutir à plus de transparence et éviter tout conflit d’intérêts.
La Haute autorité avait été saisie en octobre dernier par le président PS de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, qui lui avait demandé ce rapport. En février, le comité de déontologie du Sénat avait de son côté émis une série de recommandations pour clarifier les relations des sénateurs avec les clubs parlementaires.
« Les mesures d’encadrement actuelles demeurent très lacunaires voire sont inexistantes »
Les thématiques des clubs « sont diverses puisqu’à côté des médiatiques Club des amis du cochon et Club des amateurs de havane, ils traitent notamment de l’espace, du numérique, de la gastronomie française, des eaux minérales, du transport écologique, du sport, de l’accession à la propriété, des partenariats public-privé ou encore de la santé » écrit la HATVP dans son rapport.
L’autorité administrative indépendante, présidée par Jean-Louis Nadal, a recensé une quarantaine de clubs. Certains sont organisés via des agences de relations publics, comme Com’Publics, qui en gère un grand nombre, Boury, Tallon & Associés ou Anthenor Public Affairs. Le rapport « met en évidence l’hétérogénéité de ces structures informelles ». « De manière générale, il en ressort que les mesures d’encadrement actuelles demeurent très lacunaires voire sont inexistantes » ajoute-t-elle.
« Amendements émanant du club »
« Les entreprises, syndicats ou fédérations professionnelles y trouvent la possibilité de bénéficier d’interlocuteurs identifiés au Parlement pour expliquer leurs métiers et leurs contraintes. Cette information peut déboucher, le cas échéant, sur une reprise de contact ultérieure quand l’actualité législative le nécessite » explique pudiquement la HATVP. Certaines structures présentent ainsi « des amendements comme émanant du club lui-même ».
Si « les parlementaires rencontrent, au sein des clubs, des représentants d’intérêts et des acteurs de la société civile pour s’informer, ce qui est tout à fait nécessaire » souligne le rapport les clubs parlementaires, dans la mesure où ils constituent une forme de lobbying, doivent être plus transparents » soutient la Haute autorité. « Il faut noter que d’autres responsables publics peuvent y participer, notamment des membres du gouvernement » glisse la Haute autorité dans le rapport.
Création d'un registre des représentants d'intérêts
La Haute autorité pour la transparence de la vie publique fait 10 recommandations : création d'un registre des représentants d'intérêts obligatoire et commun au gouvernement et au Parlement – mesure qui est déjà dans le projet de loi anticorruption Sapin II, en cours d’examen au Sénat ; ne plus utiliser le terme de « parlementaire », ni le logo de l'Assemblée ou du Sénat ; ne plus organiser d'événements dans les locaux des assemblées ; faire figurer dans les communications aux parlementaires les noms des entreprises finançant les manifestations ; les informer du coût des invitations ; interdire la domiciliation des clubs à l’Assemblée ou au Sénat ; rappeler les règles sur les moyens mis à disposition des parlementaires (frais postaux, papier à entête) ou encore renforcer les groupes d'études qui rassemblent les parlementaires dans le cadre du Sénat ou de l’Assemblée sur un sujet donné et sans moyen issu du secteur privé.
Le rapport souligne aussi qu’« il serait souhaitable que conformément à la proposition du Comité de déontologie parlementaire du Sénat, du 2 décembre 2015, (…) les parlementaires procèdent à une déclaration orale de leur appartenance à ces clubs, à l’occasion de débats en commission ou en séance publique ».
Du simple parlementaire au président de groupe
Les annexes du rapport détaillent les informations obtenues sur la quarantaine de clubs recensés (voir le détail à partir de la page 64 du rapport). On constate que les clubs couvrent des réalités très variées. Leur présidence peut aussi bien être occupée par de simples parlementaires, que des présidents de groupe.
Le président du groupe Les Républicains du Sénat, Bruno Retailleau, occupe ainsi la présidence du club parlementaire du numérique, dont le but est de « dialoguer avec les professionnels du numérique (...) ; sensibiliser les parlementaires aux enjeux de l’économie numérique ; diffuser la culture du numérique au sein des pouvoirs publics ».
Didier Guillaume, président du groupe PS de la Haute assemblée, préside aux côtés d’Antoine Herth (député LR), Catherine Quéré (députée PS) et Chantal Jouanno (sénatrice UDI), le club parlementaire « objectif bio ». Ses financeurs ou partenaires sont, selon le rapport, la fédération nationale de l’agriculture biologique, Synabio, Bio Consom’acteurs ou le mouvement inter-régional des Amap.
On se bouscule autour de la Table française et de son club. Pas moins de 304 parlementaires y sont inscrits. Le président du groupe PS de l’Assemblée nationale, Bruno Le Roux, Alain Suguenot (député LR), Gérard Miquel (sénateur PS du Lot) et Catherine Dumas (ex-sénatrice UMP) ont l’honneur de présider la table. Pour contribuer à l’honorable objectif de « valorisation de la gastronomie française « de la fourche à la fourchette » », on trouve parmi les financeurs et partenaires l’Association des maitres restaurateurs, les Brasseurs de France, la Chambre professionnelle des boulangers-pâtissiers de Paris et d’IDF, Danone Eaux, la Fédération des fromagers de France, la Fédération française des spiritueux, Gault & Millau, ou encore la grande distribution avec le groupe Casino, Nespresso et Pernod Ricard.
Bière, vin et amis du Cochon
Au Club des Amis du Cochon, on compte pas moins de 172 parlementaires pour défendre la filière porcine.
L’amicale parlementaire de la maroquinerie qui échange « autour des grands enjeux de l’industrie française de la maroquinerie » est présidée par Colette Langlade (député PS) et Gérard Bailly (sénateur LR). Elle compte 22 parlementaires.
L’origine géographique des parlementaires peut aussi expliquer leur activité au sein d’un club. La sénatrice PS du Pas-de-Calais, Catherine Genisson, et le député LR du Bas-Rhin, André Schneider, président « l’amicale parlementaire brassicole », autrement dit les brasseries productrices de bière, quand François Patriat, sénateur PS de Côte-d’Or et défenseur actif de la filière viticoles, préside l’Association nationale des élus de la vigne et du vin avec le député PS du Gers Philippe Martin, ancien ministre de l’Ecologie. 107 parlementaires en sont membres.
Le club de l’accession à la propriété est présidé par la sénatrice PS Marie- Noëlle Lienemann, ancienne secrétaire d’Etat au Logement, le député écologiste et vice-président de l’Assemblée nationale, François de Rugy, et Dominique Estrosi-Sassone, sénatrice LR. Au total, 93 parlementaires y sont recensés selon la HATVP. On trouve du monde parmi les financeurs et partenaires du club, entre banques, BTP et bayeurs : Caisse d’épargne IDF, Crédit Mutuel, La Banque Postale, Groupe Bouygues Construction, Crédit agricole immobilier, Eiffage immobilier, Grand Paris Habitat, l’Union sociale pour l’Habitat, la Fédération des promoteurs immobiliers ou encore le cabinet d’avocats d’affaires Fidal.
Coca-Cola, Slip Français et Nespresso
Le club des parlementaires de l’économie circulaire est présidée par Chantal Jouanno (sénatrice UDI) et François-Michel Lambert (député écologiste UDE) et défend « trois thèmes de réflexion : la réforme territoriale, la prévention des déchets et la filière recyclage ». Ses membres ne s’en cachent pas. Ils avaient envoyé un communiqué lors de la création du club, qui défend le réemploi des biens de consommation et le partage. De gros industriels se retrouvent dans les financeurs et partenaires : Nespresso, L’Oréal, Coca-Cola, Tarkett, mais aussi EcoEmballage, Suez Environnement, Veolia Propreté ou Paprec.
Le club « produire en France » travaille sur les thèmes du « produire en France » bien sûr, de la « simplification des entreprises » et de la « commande publique ». Constitué de 150 membres, il est présidé par le président du groupe communiste de l’Assemblée, André Chassaigne, Jean Grellier (député PS) et Yves Jégo (député UDI), qui s’est fait l’un des chantres du Made in France. Le Slip Français, Scania, ou Alstom sont les financeurs ou partenaires.
Club « vive le foie gras »
Le club Parlement & Communication, dont le but est de « réfléchir régulièrement avec des dirigeants d’entreprises, des experts et des représentants du monde politique sur l’évolution des idées, des techniques et des marchés dans le domaine de l’information et de la communication » n’a pas eu pour le moment de succès. Il n’a ni président ni membre, selon le rapport. Mais il a déjà des financeurs et partenaires de poids : France Télévisions, Radio France, Médiamétrie, NBC Universal Global Networks, TDF ou Vivendi.
Quant au club « vive le foie gras », dont le thème est la « filière des palmipèdes gras » (sic), on ne sera pas surpris que ses 121 membres se retrouvent lors de « déjeuners débats » autour du CIFOG, le Comité interprofessionnel des palmipèdes à foie gras.