Bruno Lemaire visits Blue SOlutions site, Ergue-Gaberic, France, May 17, 2024

Bercy épingle les dépenses des collectivités territoriales : « C’est un réflexe pavlovien pour Bruno Le Maire que de se défausser sur les territoires »

Des documents transmis par le ministère de l’Economie et des Finances au Sénat et à l’Assemblée nationale, dans le cadre de la préparation du budget 2025, laissent craindre un nouveau dérapage du déficit. Bercy pointe notamment la hausse des dépenses des collectivités territoriales, un sujet récurrent de tension entre l’exécutif et les parlementaires.
Romain David

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Le budget des collectivités territoriales bientôt passé à la paille de fer ? Dans un courrier adressé aux présidents des commissions des finances des deux assemblées du Parlement, ainsi qu’aux rapporteurs généraux du budget, Bruno Le Maire, le ministre démissionnaire des Finances, pointe « l’augmentation extrêmement rapide des dépenses des collectivités ». Enième alerte de l’exécutif face à la progression des dépenses de fonctionnement et des investissements dans les territoires, ce courrier s’inscrit cette fois dans le contexte infiniment complexe et hautement inflammable du budget 2025, dont la mise en forme et le vote pourraient être bousculés par l’absence de majorité à l’Assemblée nationale.

L’envolée des dépenses des collectivités pourrait grever de « 16 milliards d’euros » la trajectoire de déficit présentée par la France à Bruxelles pour l’année 2024, selon cette lettre, dont le contenu a été dévoilé par Les Echos. En tenant compte de la baisse des recettes fiscales, le déficit public pourrait atteindre 5,6 % du PIB cette année, contre les 5,1 % initialement annoncés, voire 6,2 % en 2025. À ce stade, la direction générale du Trésor estime qu’une économie de 30 milliards d’euros répartie entre le projet de loi de finances (PLF) et le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) permettrait à la France de respecter ses engagements.

« Les collectivités représentent 8 à 9 % d’une dette de 3 000 milliards d’euros »

Des chiffres que conteste vivement André Laignel, le vice-président de la très puissante Association des maires de France (AMF). « Jamais les collectivités ne seront à 16 milliards à la fin de l’année, dans la mesure où nous sommes aujourd’hui à 9 milliards d’euros en autofinancement », pointe-t-il auprès de Public Sénat. « Nous sommes face à une manœuvre commanditée par des ministres démissionnaires, avec des chiffres sans fondement, un rideau de fumée destiné à déplacer la responsabilité du déficit catastrophique de l’Etat vers les collectivités », s’agace-t-il.

« L’essentiel des problématiques du déficit est lié au fonctionnement de l’Etat et à la gestion de l’Etat, et on vient nous parler des collectivités locales, en sachant parfaitement, cela est connu, qu’elles réalisent généralement leurs programmes d’investissement dans les deux ans avant fin du mandat. La hausse à laquelle nous assistons est classique », analyse Claude Raynal, le président (PS) de la commission sénatoriale des finances.

« Ce courrier est excessif et ne tient pas la route », abonde le sénateur communiste Éric Bocquet, vice-président de la commission des Finances. « Les collectivités représentent 8 à 9 % d’une dette de 3 000 milliards d’euros, c’est un pourcentage qui ne varie pas depuis trente ans. Par ailleurs, sur les 1 000 milliards de dettes que nous devons au quinquennat d’Emmanuel Macron, hors les 400 milliards dépensés pour le covid-19, il y a 600 milliards à l’actif de Bruno Le Maire qui est à Bercy depuis 2017 ! »

« C’est un réflexe assez pavlovien pour Bruno Le Maire que de se défausser sur les collectivités », raille le vice-président LR du Sénat Mathieu Darnaud.

Des collectivités sous pression

Selon un rapport de la Cour des comptes publié fin juillet, l’épargne des collectivités a baissé de 4 milliards en 2023, une chute très marquée du côté des départements, et qui s’explique par l’inflation et le recul du marché de l’immobilier, deux phénomènes qui jouent sur les recettes de la fiscalité locale. Pour autant, les dépenses de fonctionnement des collectivités ont progressé de 6,1 % la même année, là encore sous la poussée de l’inflation mais aussi en raison de la revalorisation du point d’indice des fonctionnaires.

Les collectivités ont maintenu un niveau d’investissement important, de l’ordre de 72,8 milliards d’euros, orienté pour l’essentiel vers des dépenses d’équipement, notamment de voirie. Les chiffres mis à disposition par la Direction générale des finances publiques pour 2024 – et qui s’arrêtent pour l’instant à fin juillet – font état d’une hausse de 7 % des dépenses de fonctionnement, soit 7,5 milliards d’euros supplémentaires. Il s’agit pour une large partie des frais de personnel (+ 2,5 milliards d’euros), d’achats et de charges externes (+ 2,3 milliards d’euros).

Rappelons que la loi oblige les collectivités à voter des budgets à l’équilibre, à l’euro près, sous peine de voir leurs copies retoquées par les préfets. Votée en décembre dernier, la loi de programmation des finances publiques leur demande de réduire leurs dépenses de 0,5 point par an entre 2024 et 2027. Au début de l’été, Bruno Le Maire a appelé les territoires à maintenir un objectif de deux milliards d’euros d’efforts d’ici la fin de l’année.

« Cette trajectoire n’a aucun sens. Actuellement nous sommes à + 6, si l’on veut tomber à -0,5 %, il faudrait engager des réductions de personnel de l’ordre de 7 %. Personne ne le fera », estime André Laignel. « Ces objectifs sont impossibles à tenir face aux dépenses contraintes. Je rappelle que les collectivités font face à de nombreux transferts de charges qui relèvent de décisions réglementaires », pointe le sénateur Mathieu Darnaud.

« Il n’y a jamais eu autant d’argent distribué aux collectivités »

Mais ce diagnostic est loin d’être partagé par les élus de l’ancienne majorité présidentielle. « La décentralisation nous a coûté un pognon de dingue ! », s’emporte un macroniste de premier plan, paraphrasant une fameuse sortie du président de la République. « Il n’y a jamais eu autant d’argent distribué aux collectivités, les baisses d’impôts ont été compensées, et pourtant les collectivités se désengagent de tout. Dans ma région, je fais quatre inaugurations par semaine, à chaque fois l’Etat reste le premier financeur », résume cet élu qui n’épargne que les départements, « sous l’eau parce qu’ils assument 90 % des politiques sociales. »

Selon Les Echos, Bruno Le Maire appuie pour une diminution de la dotation globale de fonctionnement des collectivités en 2025 en cas d’absence d’économies d’ici la fin de l’année. Six ans après les contrats de Cahors, qui visaient à rationaliser les dépenses des collectivités mais qui ont durablement empoisonné les relations entre les élus locaux et le gouvernement, le sujet s’avère explosif. « Ce serait le retour, sous une autre forme, d’un carcan budgétaire », estime Éric Bocquet. « On ne s’y prendrait pas mieux pour étouffer les collectivités. Avec un tel budget, il y aura une censure immédiate, de la part de tous les partis ! », prédit André Laignel.

Coupes budgétaires

Il faut dire que les alertes adressées par le ministère de l’Economie et des Finances viennent s’ajouter aux inquiétudes suscitées par les premiers arbitrages budgétaires. Les « lettres plafonds » envoyées fin août par Gabriel Attal à son gouvernement – démissionnaire -, prévoient de reconduire en 2025 les crédits de la loi de finances 2024, mais en changeant les équilibres d’un portefeuille ministériel à l’autre. Or, certains arbitrages pourraient directement se répercuter sur les territoires, comme la baisse des investissements prévus pour le plan « France 2030 » (-13 %). Autres crédits en recul : ceux de l’Agriculture, de l’alimentation, des forêts et des affaires rurales (-6 %) et ceux des Outre-mer (-4 %).

Ces premiers équilibres n’ont pas manqué de soulever une importante levée de boucliers du côté des associations d’élus. « Tout cela est totalement déraisonnable. Soit on remet la France sur les rails du développement, soit on l’étouffe et on rentre en récession », résume André Laignel. « Bercy considère les collectivités comme une charge, nous, nous les considérons comme un levier de développement. Je rappelle qu’elles représentent 70 % de l’investissement public ».

« Moins 40 % pour le fonds vert, baisse des crédits de l’Agence de l’environnement (Ademe)… Avec quelle légitimité un Gouvernement démissionnaire peut-il prendre de telles décisions, qui ne relèvent pas, à l’évidence, de la gestion des affaires courantes ? », dénonce dans un communiqué Villes de France. Même agacement pour l’Association des petites villes de France (APVF) qui fédère les communes de moins de 25 000 habitants. « La transition écologique doit demeurer une priorité. Dès lors, elle doit être considérée comme un investissement d’avenir, créateur d’emplois et de richesses. La baisse possible du Fonds vert, de 2,5 milliards d’euros à 1 milliard d’euros […] ainsi qu’un coup de rabot sur Ma Prime Rénov’, ou bien encore le fonds chaleur de l’Ademe, enverraient un signal très négatif. »

Les congrès annuels des associations d’élus risquent d’être assez agités cet automne.

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