Illustration de l impot de solidarite sur la fortune ISF

Budget : la taxation des ultra-riches n’entrainerait pas d’exil fiscal significatif

Un rapport du Conseil d’Analyse Economique (CAE), organisme indépendant chargé d’éclairer les choix du gouvernement en matière d’économies, montre que si la fiscalité du patrimoine a bien un effet d’accélération sur l’exil fiscal des plus hauts patrimoines, celui-ci reste marginal, sans conséquence notable sur l’économie française. De quoi venir alimenter les débats sur la contribution des plus riches au redressement budgétaire.
Romain David

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À quelques jours du vote de confiance, les divergences sur les remèdes à appliquer à des finances publiques grevées par le surendettement s’exacerbent. Samedi dernier, le Parti socialiste a dévoilé ses propositions budgétaires, avec 26,9 milliards d’euros de recettes nouvelles, passant notamment par une hausse de 30 à 32 % de la flat taxe et la mise en œuvre de la taxe Zucman – un impôt plancher de 2 % sur les patrimoines de plus de 100 millions d’euros, déjà adopté par l’Assemblée nationale –, pour un rendement estimé à 15 milliards d’euros. Loin, très loin des affirmations du Premier ministre, dont l’avenir dépend pourtant en partie des socialistes, et qui rejette la possibilité d’un nouvel impôt sur la fortune. « C’est une menace sur l’investissement en France, car que vont-ils faire ? Ils vont partir », a estimé François Bayrou lors de son interview télévisée du dimanche 31 août.

Pourtant, une courte étude du Conseil d’Analyse Economique (CAE), un organisme de réflexion indépendant chargé de conseiller Matignon, vient parasiter l’argumentaire du Premier ministre, tout en apportant du grain à moudre à la gauche. Cette note d’une trentaine de pages, rédigée par six économistes et publiée fin juillet, porte un regard très nuancé sur les effets des hausses d’impôts sur l’exil fiscal des plus riches.

Un taux de départ en dessous de la moyenne

Elle confirme le rôle économique de premier plan que jouent les ménages à hauts revenus du capital, bien au-delà de leur poids démographique. « Les entreprises contrôlées (au moins partiellement) par le top 1 % des ménages représentent 19,6 % du chiffre d’affaires total généré en France, 22,5 % de la masse salariale et 20,9 % de la valeur ajoutée. » Les 1 % les plus riches représentent environ 380 000 foyers en France.

Mais contrairement à une idée reçue, « les ménages avec de hauts revenus du capital s’expatrient relativement peu de France ». Si la tendance augmente avec l’importance des revenus, les 10 % les plus riches sont en dessous du taux de départ moyen en France (0,38 %). À titre de comparaison, seulement 0,28 % des personnes figurant dans le top 0,1 % des revenus du capital se sont expatriées fiscalement de France en 2017.

Par ailleurs, si l’on observe bien une corrélation entre l’évolution des règles d’imposition et la mobilité de ces ménages, nous sommes loin du mouvement d’exode agité par certains responsables politiques à droite de l’échiquier politique. Les auteurs de cette étude ont passé à la loupe le comportement des Français à l’occasion de deux refontes importantes des règles de fiscalité aux cours des quinze dernières années. Selon les données collectées, entre 2012 et 2013, les réformes fiscales de François Hollande, avec l’introduction d’une nouvelle tranche de 45 % dans le barème de l’impôt sur le revenu et l’augmentation des taux de prélèvements sociaux, n’ont conduit qu’à une hausse limitée des départs : + 0,6 point de pourcentage pour les individus les plus impactés par ces mesures, par rapport à ceux qui n’ont été que peu ou pas affectés. Soit 150 à 350 ménages qui ont quitté le sol français parmi les 1 % des plus riches contribuables.

Inversement, cinq ans plus tard, en 2017, la baisse du taux de départ des plus fortunés après la transformation de l’impôt sur la fortune en impôt sur la fortune immobilière (IFI) reste minime : seulement -0,2 point. Entre 2010 et 2018, le taux de retour n’a augmenté de 0,1 point, malgré les baisses d’impôts voulues par Emmanuel Macron.

Un impact économique peu significatif

L’étude relève également l’effet limité des départs sur l’activité économique. Avec la création d’un nouvel ISF visant 4 milliards d’euros de recettes supplémentaires, soit une hausse de 5,2 % du taux d’imposition des plus hauts revenus du capital, « l’exil fiscal entraînerait au plus une baisse de -0,03 % de chiffre d’affaires, -0,05 % de valeur ajoutée totale de l’économie française, et -0,04 % de l’emploi total. »

En revanche, les effets de l’expatriation des hauts patrimoines apparaissent plus marqués sur les entreprises détenues par ces personnes : « L’expatriation d’un actionnaire détenant plus de 10 % du capital d’une entreprise entraîne en moyenne une baisse de 15 % du chiffre d’affaires cinq ans après son départ, tandis que la masse salariale diminue de 31 % et la valeur ajoutée de 24 % ». Mais ces effets peuvent être compensés par des restructurations d’entreprises et des mécanismes de réallocation de l’activité.

L’optimisation fiscale, angle mort des propositions budgétaires

Dans leurs conclusions, les auteurs de cette note insistent sur « l’effet marginal » des expatriations sur l’économie française, « même en tenant compte du poids important des hauts patrimoines dans l’activité économique et entrepreneuriale ». En revanche, ils alertent sur les capacités d’adaptation des plus fortunés aux nouvelles règles du jeu fiscal, un élément largement sous-estimé, selon eux, lorsqu’il s’agit d’estimer le rendement d’un nouvel impôt. « Le débat public, en se focalisant sur l’exil fiscal, se trompe donc sans doute de cible. Au-delà de la question de l’expatriation, il nous semble essentiel de recentrer le débat sur les autres marges de réponse des hauts patrimoines à la fiscalité, notamment sur les stratégies d’optimisation pour échapper à l’impôt », écrivent-ils.

De quoi venir bousculer les prévisions de recettes présentées par les uns et les autres en fonction des pistes budgétaires proposées. « Pour chaque euro de recette mécaniquement prélevé par une hausse de la fiscalité sur les hauts patrimoines, 54 centimes disparaissent du fait des réponses comportementales ». Suivant cette logique, le rendement estimé de la fameuse taxe Zucman passerait de 15 milliards à moins de 7,5 milliards d’euros.

Mi-juillet, Amélie de Montchalin, la ministre des Comptes publics, avait expliqué devant les sénateurs vouloir renforcer la lutte contre l’optimisation fiscale, évoquant notamment une taxation des holdings, mesure susceptible de faire consensus au sein de la classe politique.

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