Crise agricole : « Les agriculteurs subissent des injonctions contraires » sur les prix et « les efforts environnementaux »

Après le mouvement de colère des agriculteurs, le président de l’assemblée permanente des chambres d’agriculture était auditionné par la commission des affaires économiques du Sénat. Sébastien Windsor dresse la liste des principaux défis à relever pour l’agriculture et concilier l’augmentation des revenus, la simplification du métier et l’adaptation au réchauffement climatique.
Henri Clavier

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 « La politique d’accompagnement au changement est sûrement un des oublis de la politique agricole », affirme Sébastien Windsor, président de l’assemblée permanente des chambres d’agriculture, qui plaide pour un modèle différent basé sur l’accompagnement plutôt que sur la contrainte. Comme exprimé lors du mouvement de colère des agriculteurs, des rémunérations trop faibles, des normes contradictoires ou des difficultés à l’installation sont évoquées. « Il y a une saine pression pour aboutir sur ces sujets avant le salon de l’agriculture et intégrer une partie dans le projet de loi d’orientation agricole, ce sont deux grands endroits où on a imaginé pousser un certain nombre de changements », explique Sébastien Windsor. Pour rappel, les chambres d’agriculture sont chargées de plusieurs missions d’accompagnement des agriculteurs notamment en termes d’amélioration des performances économiques sociales et environnementales des exploitations.

 « Le mouvement est parti en Occitanie qui est sûrement dans une situation un peu différente de celle du reste de la France »

Dans son propos liminaire, le président de l’assemblée permanente des chambres d’agriculture est revenu sur les origines de la crise, en particulier la question du revenu des agriculteurs. « Le mouvement est parti en Occitanie qui est sûrement dans une situation un peu différente de celle du reste de la France, probablement parce que c’est l’une des zones où le revenu agricole est le plus bas, une des zones les plus touchées par le réchauffement climatique », explique Sébastien Windsor qui pointe les différences de situation selon le type de culture et les zones géographiques. « Tous les paysans que j’ai vus ne m’ont parlé que de revenus », s’étonne pourtant Jean-Claude Tissot, sénateur socialiste de la Loire et lui-même agriculteur.  « Il y a peut-être un petit décalage entre les agriculteurs et ceux qui les représentent », tacle le sénateur écologiste Yannick Jadot.

Le président des chambres d’agricultures françaises a néanmoins nuancé son propos expliquant que certaines productions, comme les fruits et légumes, étaient particulièrement sous pression, mais qu’une majorité d’agriculteurs n’était pas encore sujette à des problèmes de trésorerie.

 « Pas encore de problème de trésorerie », mais un « risque d’effet ciseaux »

S’il n’y a « pas encore de problème de trésorerie », Sébastien Windsor reconnaît un « risque d’effet ciseaux ». « On voit des coûts de revient qui sont en train de passer au-dessus des prix de vente », avertit Sébastien Windsor. Concrètement, les agriculteurs sont exposés à la baisse du prix de la production et donc à une perte de rentabilité. Le strict respect de la loi Egalim est demandé par les agriculteurs afin de mieux partager la valeur entre producteurs et distributeurs. Si « c’est plutôt le syndicalisme agricole qui porte ce sujet », Sébastien Windsor estime qu’il pourrait être pertinent de réformer l’Observatoire des prix et des marges, mais en dehors du champ de compétence des chambres d’agriculture.

Surtout, le président de l’assemblée permanente des chambres d’agriculture évoque la nécessité d’augmenter les prix si l’objectif est de s’orienter vers une agriculture plus durable et de meilleure qualité. « Le partage de la valeur ne se fera pas s’il n’y a pas une forme de régulation, mais il faut faire en sorte que ce ne soit pas les produits hauts de gamme qui en fassent les frais », explique Sébastien Windsor qui ajoute qu’on ne peut pas « demander aux agriculteurs de monter en gamme sans les payer plus cher ». En période d’inflation, concilier des prix bas et une production de meilleure qualité paraît difficile pour les agriculteurs parfois exposés à une concurrence déloyale. Sébastien Windsor plaide en ce sens pour un accroissement des efforts sur les questions de l’étiquetage et de la provenance des produits. « Si on n’a pas d’étiquetage, comment demander au consommateur de faire un choix éclairé ? » s’interroge Sébastien Windsor. « Les agriculteurs subissent des injonctions contraires on leur dit : « Faites des efforts environnementaux » et « produisez pour moins cher », déplore le président de l’assemblée permanente des chambres d’agriculture.

Un difficile renouvellement de la profession

Ces difficultés à assurer la rentabilité des exploitations sur le temps long et à accompagner le changement du modèle agricole compliquent le renouvellement de la population d’agriculteurs. D’ici 10 ans, plus de 50 % des agriculteurs en exercice partiront en retraite. Une attractivité en berne, largement liée aux difficultés de reprise des exploitations. On note également une évolution du profil sociologique des nouveaux agriculteurs, qui sont de moins en moins issus du monde agricole, avec un impact direct sur la capacité d’installation. « Les renouvellements se faisaient essentiellement, il y a dix ans, par des enfants d’agriculteurs. Aujourd’hui, des montants de reprise en dessous de quelques centaines de milliers d’euros n’existent plus », souligne Sébastien Windsor. Avec des exploitations qui s’agrandissent, l’accès au foncier est de plus en plus complexe pour les individus extérieurs au monde agricole. « Est-ce qu’on va se retrouver dans l’impasse avec des jeunes qui ne pourront pas reprendre des installations qui ont trop grossi ? » interroge d’ailleurs Yannick Jadot.  « Il faut aider l’agriculteur à bâtir son propre modèle et que ce modèle soit cohérent, mais aussi être vigilant à ne pas trop complexifier le diagnostic à l’installation et ne pas demander 5 ou 6 études dont le coût peut-être de 60 000 euros l’étude », répond Sébastien Windsor.

Des injonctions contraires transmises par les normes applicables aux agriculteurs

Dans son rôle d’accompagnement dans l’adaptation au réchauffement climatique et dans la promotion d’un développement durable, Sébastien Windsor fustige, encore une fois, des injonctions contraires pour les agriculteurs. « Il y a une incompréhension forte sur les produits phytosanitaires dans l’absolu, je suis assez d’accord pour dire que les agriculteurs doivent réfléchir tous les cinq ans à leur utilisation », concède le président de l’assemblée permanente des chambres d’agriculture. Cependant, ce dernier pointe un système kafkaïen obligeant les agriculteurs à obtenir un certificat pour l’utilisation des produits phytosanitaires qui nécessite de participer à deux conseils stratégiques phytosanitaires espacés d’au moins deux ans. « Un peu compliqué à comprendre pour l’agriculteur », estime Sébastien Windsor.

Autre exemple, celui de la plantation de haies, encouragée par les chambres d’agriculture. Identifiée comme des réservoirs à biodiversité, la plantation de haies permet aux agriculteurs d’obtenir un bonus financier dans le cadre de la politique agricole commune (PAC). Néanmoins, pour toucher le bonus prévu par la PAC, « il faut une certification qui coûte 1 000 euros », explique Sébastien Windsor. Un investissement peu avantageux au regard des aides apportées par la PAC. Alors que la simplification a été identifiée comme un axe essentiel pour résoudre la crise agricole, les chambres d’agriculture feront preuve de vigilance sur les différents travaux législatifs à mener. « On regarde les mesures de simplification, la moitié est européenne et l’autre moitié française. Celles qui sont françaises nécessiteront de passer par la loi notamment pour le conseil stratégique phytosanitaire, les zones de non-traitement ou encore les zones humides », prévient Sébastien Windsor.

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C’était une des victimes de la grogne des agriculteurs, en janvier et février dernier. Le plan Ecophyto, troisième du nom, qui avait pour objectif de réduire de moitié le recours aux pesticides d’ici à 2030 par rapport à la période 2011-2013, avait été « mis sur pause » le 1er février. Il était décrié par les agriculteurs, qui manifestaient leur colère contre l’excès de normes et le manque de rentabilité de leurs activités. Une nouvelle version du plan devait voir le jour pour le Salon de l’agriculture, fin février. C’est finalement le 6 mai qu’il sera présenté. Marc Fesneau, le ministre de l’Agriculture, en a présenté les grandes lignes dans un entretien au Parisien, ce vendredi 3 mai. Plan Ecophyto quatrième version : un nouvel indicateur Sur le papier, le nouveau plan Ecophyto ne change pas son objectif : réduire de moitié le recours aux pesticides d’ici à 2030, par rapport à la période 2011-2013. Ce qui change, c’est l’indicateur utilisé. 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Du côté des LR, la somme convient : « 250 millions, c’est ce que je proposais », explique Laurent Duplomb, « mais il faut se poser les bonnes questions ». Pour le sénateur qui est aussi agriculteur, cet argent doit aller aussi à des initiatives incluant les agriculteurs, comme les fermes Dephy, qui cherchent à réduire l’usage de pesticides en développant des alternatives. Enfin, le nouveau plan Ecophyto contient une partie indemnisation, pour les riverains et les victimes de pesticides. « [Ce plan] prend les gens pour des imbéciles » La nouvelle mouture du plan est loin de satisfaire les écologistes et l’association de défense de l’environnement Générations Futures. Pour elle, l’abandon du NoDU, c’est « casser le thermomètre pour faire baisser la fièvre ». « Le HRI1 est un indicateur trompeur puisqu’il affiche une baisse de 32 % entre 2011 et 2021 alors que le NoDU a, lui, augmenté de 3 % de l’usage des pesticides pendant la même période », explique-t-elle dans un communiqué du 3 mai. « [Ce plan] prend les gens pour des imbéciles en prétendant ne rien avoir changé à la politique de réduction des pesticides en France ! », peut-on y lire. Son porte-parole François Veillerette, regrette : « La France a longtemps été considérée à l’avant-garde des pays portant une ambition de réduction des pesticides. Avec cette nouvelle stratégie elle rejoint les pays qui mettent tout en œuvre pour que rien ne change, faisant régresser notre pays de 15 ans ! ». Daniel Salmon partage la même colère. « C’est un très mauvais plan », juge-t-il, « c’est un grand recul malgré l’enfumage du ministre. 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